Un administré a saisi la commission de médiation de la Seine-Saint-Denis d’une demande tendant à la reconnaissance de son droit à un logement en urgence. Par une décision du 20 avril 2022, cette commission a refusé de le reconnaître comme prioritaire, décision confirmée sur recours gracieux le 29 juin 2022. L’intéressé a alors formé un recours pour excès de pouvoir contre ces décisions devant le tribunal administratif de Montreuil, lequel a rejeté sa demande par un jugement du 14 novembre 2023. Le requérant a tenté de se pourvoir en cassation contre ce jugement, mais son pourvoi a été déclaré non admis par une ordonnance du président de la 5ème chambre de la section du contentieux du Conseil d’État le 10 octobre 2024, au motif d’un défaut de ministère d’avocat. C’est dans ce contexte que l’administré a formé un recours en révision contre cette ordonnance, conduisant à la décision du 19 mars 2025. Il était ainsi demandé au Conseil d’État de se prononcer, d’une part, sur la régularité de l’ordonnance de non-admission au regard des garanties procédurales offertes au demandeur à l’aide juridictionnelle et, d’autre part, sur le caractère sérieux des moyens soulevés à l’encontre du jugement du tribunal administratif. La Haute Juridiction administrative censure l’ordonnance de non-admission, estimant qu’une erreur dans la notification du rejet de la demande d’aide juridictionnelle vicie la procédure et justifie la révision. Statuant ensuite sur le pourvoi initial, elle juge qu’aucun des moyens présentés n’est de nature à en permettre l’admission.
La décision commentée offre ainsi une illustration de la dualité du contrôle opéré par le juge de cassation, lequel se montre aussi rigoureux sur le respect des garanties procédurales qu’il peut être strict dans l’appréciation des moyens de fond. Si le Conseil d’État garantit fermement le droit d’accès au juge en censurant une irrecevabilité procédurale (I), il n’en conserve pas moins son rôle de filtre en confirmant in fine le rejet du pourvoi pour absence de moyen sérieux (II).
I. La censure d’une irrecevabilité procédurale par le biais du recours en révision
Le Conseil d’État, par cette décision, réaffirme la place centrale des garanties procédurales en admettant le recours en révision fondé sur un vice de notification (A), protégeant ainsi spécifiquement les droits du demandeur à l’aide juridictionnelle (B).
A. La réaffirmation de la protection du justiciable dans l’accès au juge de cassation
Le recours en révision, procédure exceptionnelle, est notamment ouvert, selon l’article R. 834-1 du code de justice administrative, si la décision attaquée méconnaît les règles de procédure relatives à sa forme. En l’espèce, le requérant contestait une ordonnance de non-admission qui avait rejeté son pourvoi au motif qu’il n’avait pas été présenté par un avocat au Conseil d’État, formalité pourtant obligatoire en cassation. Or, le juge de cassation ne peut relever d’office une telle irrecevabilité sans inviter préalablement le requérant à régulariser sa situation, sauf dans des cas précis. Le Conseil d’État rappelle sa jurisprudence constante en la matière en énonçant que « l’irrecevabilité tirée de ce qu’un pourvoi en cassation a été introduit sans le ministère d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ne peut être opposée à des conclusions soumises à cette obligation si le requérant, informé de cette obligation par la notification de la décision attaquée (…) et ayant formé une demande d’aide juridictionnelle, n’a pas été informé du rejet de celle-ci ». Cette solution consacre une protection élevée du droit à un recours effectif, en conditionnant la sanction de l’irrecevabilité à la parfaite information du justiciable quant à sa situation.
B. L’application extensive des garanties procédurales au demandeur à l’aide juridictionnelle
Le mécanisme protecteur prend ici un relief particulier en raison de la situation du requérant, qui avait sollicité le bénéfice de l’aide juridictionnelle. Cette demande interrompt le délai de recours et celui pour constituer avocat. La décision de rejet de l’aide fait courir un nouveau délai, mais à la condition que sa notification soit régulière. Le Conseil d’État relève en l’espèce que la décision du bureau d’aide juridictionnelle « lui a été notifiée à une adresse erronée, ne correspondant pas à celle qu’il avait communiquée au bureau d’aide juridictionnelle ». Une telle erreur de notification est dirimante. Elle fait obstacle à ce que le délai de régularisation puisse commencer à courir. Par conséquent, le pourvoi ne pouvait être considéré comme irrecevable au moment où l’ordonnance de non-admission a été prise. En déclarant cette ordonnance non avenue, la Haute Juridiction souligne qu’une diligence minimale s’impose à l’administration dans ses communications avec les justiciables, a fortiori lorsque celles-ci ont pour effet de purger des délais de recours. La solution garantit que l’accès à la justice ne soit pas entravé par une défaillance administrative.
II. Le maintien du filtrage des pourvois fondé sur l’absence de moyen sérieux
Après avoir annulé l’ordonnance de non-admission, le Conseil d’État examine le pourvoi initial (A), mais en refuse l’admission en écartant implicitement les critiques formulées contre l’appréciation des premiers juges (B).
A. L’examen des moyens par le juge de l’admission après révision
L’admission du recours en révision a pour seul effet d’anéantir l’ordonnance de non-admission. Le Conseil d’État, statuant à nouveau, doit donc se livrer à l’examen préalable d’admission prévu par l’article L. 822-1 du code de justice administrative. Cette procédure de filtrage vise à ne laisser prospérer que les pourvois qui sont recevables et fondés sur au moins un moyen sérieux. La victoire procédurale obtenue par le requérant ne préjuge donc en rien de l’issue de son pourvoi sur le fond. La décision illustre parfaitement cette dissociation : la censure de l’irrégularité formelle redonne au justiciable une chance de voir son pourvoi examiné, mais ne lui garantit pas le succès. Le juge de l’admission retrouve sa pleine compétence pour apprécier si les arguments soulevés par le requérant sont de nature à justifier la tenue d’un procès en cassation. Cette étape demeure un filtre rigoureux, comme la suite de la décision le démontre.
B. Le rejet implicite des critiques formées contre l’appréciation des juges du fond
Le requérant soulevait quatre moyens, alléguant notamment que le tribunal administratif avait commis des erreurs de droit et dénaturé les pièces du dossier en appréciant sa bonne foi, et qu’il avait retenu à tort son patrimoine plutôt que ses seuls revenus. Ces arguments portaient sur l’appréciation souveraine des faits par les juges du fond et sur l’interprétation des conditions d’éligibilité au droit au logement opposable. Sans analyser en détail chacun de ces moyens dans les motifs de sa décision, le Conseil d’État les écarte par une formule lapidaire : « Aucun de ces moyens n’est de nature à permettre l’admission du pourvoi ». Cette motivation, bien que concise, signifie que la Haute Juridiction n’a décelé ni erreur de droit flagrante, ni dénaturation, ni erreur de qualification juridique dans le jugement du tribunal administratif de Montreuil. Le juge de cassation refuse ainsi de substituer son appréciation à celle des juges du fond sur des éléments qui relèvent essentiellement de l’analyse des faits de l’espèce, rappelant ainsi le caractère strict de son contrôle et la finalité du mécanisme d’admission des pourvois.