Tribunal judiciaire de Bordeaux, le 16 juin 2025, n°25/01077

L’ordonnance de référé rendue le 16 juin 2025 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux statue sur des demandes formées par une locataire commerciale à l’encontre de sa bailleresse. L’enjeu immédiat tient à des travaux de terrassement et de clôture entrepris sur la parcelle, susceptibles de neutraliser l’unique accès carrossable de l’atelier, dans un contexte locatif marqué par une antériorité contentieuse sur l’obligation de délivrance. La locataire avait été autorisée à assigner en référé le 16 mai 2025. La défenderesse, régulièrement appelée, n’a pas comparu.

Les faits utiles se concentrent sur la destination contractuelle des lieux, « commerce de véhicules et à usage de garage automobile et carrosserie », et sur l’existence d’un seul accès carrossable, dont l’obstruction rendrait l’exploitation impossible. S’y ajoutent une condamnation à élargir une ouverture prononcée le 21 octobre 2021 et confirmée par la cour d’appel de [Localité 5] le 21 novembre 2023, ainsi qu’une liquidation d’astreinte par le juge de l’exécution le 17 septembre 2024. En procédure, la locataire sollicitait la suspension des travaux, subsidiairement une expertise sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, une astreinte pour assurer l’exécution de l’arrêt d’appel, et des sommes au titre des frais irrépétibles et d’une provision ad litem. La décision commentée tranche plusieurs questions : l’étendue des pouvoirs du juge des référés en matière d’astreinte d’exécution et de cessation d’un trouble manifestement illicite, puis l’opportunité d’une mesure d’instruction in futurum et l’allocation d’une provision ad litem.

I – Le périmètre des pouvoirs du juge des référés entre exécution et prévention du trouble

A – L’incompétence pour l’astreinte d’exécution d’une décision d’un autre juge

S’agissant de la demande d’astreinte visant l’exécution d’un arrêt antérieur, le juge se réfère d’abord aux textes sur l’astreinte. Il en déduit que « Il ressort de ces dispositions que le juge de l’exécution est seul compétent pour prononcer une astreinte en exécution d’une décision rendue par un autre juge ». La formulation ferme, qui privilégie le juge de l’exécution, s’inscrit dans une logique de spécialisation de l’office exécutif, en dépit du principe selon lequel tout juge peut assortir sa propre décision d’une astreinte.

Cette orientation, immédiatement appliquée à l’espèce, conduit à écarter la compétence du juge des référés. Le motif est explicite : « La demande portant ici sur une décision prononcée par le tribunal judiciaire puis la cour d’appel, le juge des référés n’a pas compétence pour statuer ». La distinction opérée entre l’astreinte attachée à la décision à intervenir et l’astreinte destinée à assurer l’exécution d’une décision déjà rendue paraît cohérente. Elle évite la dispersion des pouvoirs d’exécution et recentre le contentieux sur le juge de l’exécution, gardien de l’unité et de l’efficacité coercitive.

B – La suspension des travaux au titre du trouble manifestement illicite

Sur la suspension, le juge retient le cadre de l’article 835, alinéa 1, en rappelant que « [il] permet au juge de référés, même en présence d’une contestation sérieuse, de prescrire les mesures conservatoires ou de remis en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ». Le contrôle de proportion procède de la destination contractuelle des lieux et du caractère unique de l’accès carrossable. L’atteinte est ici qualifiée au regard de l’obligation de délivrance conforme, dont la méconnaissance prive la locataire de la jouissance prévue au bail.

La motivation articule les constats d’huissier et la finalité des travaux entrepris. Elle souligne que ceux-ci « vont avoir pour effet de lui interdire le seul accès carrossable à son atelier », ce qui emporte un trouble manifeste. La caractérisation du risque est nette : « Cette privation de jouissance, imminente ou consommée, caractérise un péril imminent pour la pérennité de l’activité de la locataire, qui justifie qu’il soit fait droit à sa demande de suspension des travaux ». La mesure ordonnée assure la conservation de la situation contractuelle utile, dans l’attente d’un examen au fond, sans préjuger des responsabilités.

II – L’expertise in futurum et les accessoires procéduraux utiles à la protection du droit

A – L’intérêt légitime et la neutralité probatoire de l’article 145 du code de procédure civile

Le juge retient le critère classique de l’article 145, en rappelant que « La mise en oeuvre de cette disposition suppose l’existence d’un litige dont l’objet et le fondement sont suffisamment caractérisés, et l’impossibilité pour le demandeur de réunir lui même des éléments de preuve ». L’existence d’un litige est établie par les travaux litigieux et par les incidences alléguées sur la jouissance des lieux loués. L’impossibilité de se constituer preuve complète résulte des constatations techniques requises sur l’accès, les désordres, et les travaux nécessaires.

La mission confiée est détaillée, orientée vers la description, l’analyse des conséquences sur l’accès et l’évaluation des remèdes. Le juge prend soin d’affirmer la neutralité de la mesure : « Il y a lieu en conséquence d’ordonner une expertise, dans les termes précisés au dispositif, sans que la présente décision ne comporte de préjugement quant aux responsabilités et garanties encourues ». La solution est conforme à la finalité probatoire et préventive de l’article 145, permettant de sécuriser la preuve avant tout procès, tout en ménageant le contradictoire par un pré-rapport et des dires.

B – La provision ad litem et la prise en charge des frais irrépétibles

Le juge rappelle la condition d’allocation d’une provision procédurale, en indiquant que « Cette provision peut être allouée à la seule condition que le principe d’une obligation non sérieusement contestable soit acquis, dans la mesure où dans ce cas, il appartiendra finalement au débiteur de l’obligation de supporter les frais et dépens du procès ». Le contexte contentieux antérieur, la portée de l’obligation de délivrance et la défaillance procédurale de la bailleresse soutiennent le caractère peu contestable du principe d’obligation, justifiant l’octroi d’une somme destinée à couvrir les frais de l’expertise.

La condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile s’inscrit dans la même logique d’équité procédurale. Le juge retient qu’« Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la demanderesse les sommes, non comprises dans les dépens, exposées par elle dans le cadre de l’instance ». L’articulation entre la consignation pour l’expertise, la provision ad litem et l’indemnité au titre des frais irrépétibles assure une protection financière minimale du droit invoqué. Elle consolide la portée concrète des mesures de référé ordonnées en conservation et en preuve.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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