Deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 26 juin 2025, n°23-10.123

La Cour de cassation, deuxième chambre civile, 26 juin 2025, casse partiellement l’arrêt rendu par la cour d’appel de Grenoble le 2 décembre 2022. Le litige concernait la prise en charge d’une maladie professionnelle, la fixation de la consolidation et le point de départ des arrérages d’une rente d’incapacité. Un salarié, employé de 1974 à 1996, a déclaré en 2016 une pathologie, assortie d’un certificat mentionnant une première constatation médicale au 16 septembre 1997. La caisse a reconnu la maladie au titre professionnel, déclaré l’état consolidé au 19 février 2016, et notifié une rente fondée sur un taux d’incapacité de 90%. La victime a contesté la consolidation et le point de départ des arrérages; ses ayants droit ont repris l’instance après un décès survenu le 22 avril 2022. La cour d’appel de Grenoble a retenu une consolidation au 5 mai 1999, mais limité les arrérages au 19 février 2014 par application de l’article L. 431-2. Les ayants droit soutenaient que les arrérages courent du lendemain de la consolidation, sans réduction par la prescription biennale; subsidiairement, ils invoquaient la prescription quinquennale du droit commun. La Cour de cassation censure l’arrêt sur ce point, affirmant: « Ce délai biennal n’a pas d’incidence sur la période des arrérages recouvrables ». Elle rappelle, d’une part, que « les arrérages courent du lendemain de la date de consolidation de la blessure ». « Il résulte de la combinaison des premier et troisième de ces textes que le droit de la victime au bénéfice d’une prestation ou indemnité se prescrit par deux ans à compter de la date à laquelle elle a été informée par un certificat médical du lien possible entre sa pathologie et une activité professionnelle ».

I. Délimitation du droit à prestation et des arrérages

A. Les arrérages rattachés au lendemain de la consolidation
La cour de renvoi devra intégrer la règle cardinale, ainsi formulée: « la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, dont le taux d’incapacité permanente est supérieur à 10%, peut prétendre au bénéfice d’une rente, dont les arrérages courent du lendemain de la date de consolidation de la blessure ». Le rattachement des arrérages à la consolidation confère un ancrage temporel objectif, indépendant des aléas déclaratifs postérieurs.

L’espèce l’illustre nettement, la consolidation étant fixée au 5 mai 1999. La limitation opérée par les juges du fond au 19 février 2014 a dénaturé ce mécanisme, en substituant à la règle de départ des arrérages une borne artificielle liée au délai de prescription. La censure s’imposait en conséquence: « En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

B. La prescription biennale cantonnée au droit d’agir à prestation
Le délai biennal vise l’action pour obtenir le bénéfice de la prestation, non la période des arrérages dus une fois le droit ouvert. Le visa combiné des articles L. 431-2, L. 434-2, L. 461-1, R. 434-25 et R. 434-33 éclaire cette distinction. Le texte décisif le dit sans ambiguïté: « Il résulte de la combinaison des premier et troisième de ces textes que le droit de la victime au bénéfice d’une prestation ou indemnité se prescrit par deux ans à compter de la date à laquelle elle a été informée par un certificat médical du lien possible entre sa pathologie et une activité professionnelle ».

La conséquence pratique est claire. Le respect du délai biennal conditionne l’opposabilité du droit à prestation, mais ne réduit pas la période des arrérages qui « courent du lendemain de la date de consolidation ». La formule de principe, reprise expressément, scinde l’exigibilité des arrérages et la prescription de l’action en reconnaissance du droit.

II. Portée et appréciation de la solution

A. Une clarification structurante au profit de la sécurité juridique
La décision consacre une lecture systémique des textes et consolide la protection des bénéficiaires. En refusant d’adosser la période des arrérages à la prescription biennale, elle évite une double peine résultant d’un diagnostic tardif ou d’une notification différée. La règle posée garantit la cohérence avec la finalité réparatrice du régime des maladies professionnelles.

Cette clarification renforce la prévisibilité contentieuse. Les caisses ne peuvent amputer rétroactivement la période indemnisable par un détour procédural. La sécurité juridique s’en trouve accrue, sans affaiblir la vigilance requise quant au point de départ du délai biennal, précisément arrimé à l’information médicale.

B. Des questions résiduelles renvoyées à la juridiction de renvoi
La Cour n’épuise pas l’ensemble du débat, ainsi qu’elle l’indique « sans qu’il y ait lieu de statuer sur l’autre grief du pourvoi ». Reste en particulier la détermination des limites temporelles d’exécution des créances périodiques en présence, au regard du droit commun de la prescription extinctive.

La cour d’appel de renvoi devra donc liquider la période des arrérages en partant du lendemain du 5 mai 1999, puis examiner, le cas échéant, l’incidence d’une prescription de droit commun sur les arriérés. Le cadre tracé distingue nettement ouverture du droit, cours des arrérages et extinction de l’action, ce qui fournit une grille opératoire robuste pour les litiges analogues.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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