Par un arrêt préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur l’interprétation des règles de calcul du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée pour un assujetti mixte. En l’espèce, une entreprise du secteur du bâtiment exerçait une activité de construction pour le compte de tiers, soumise à la taxe, ainsi qu’une activité de construction de biens immobiliers pour son propre compte, en vue de leur revente ultérieure. Conformément à la législation nationale, qui faisait usage d’une faculté ouverte par la sixième directive, cette activité de revente était exonérée de taxe sur la valeur ajoutée. L’entreprise était donc un assujetti mixte, tenu de calculer un prorata de déduction pour la taxe ayant grevé ses frais généraux, communs à ses deux branches d’activité.
Dans le cadre de ce calcul, la société avait initialement exclu de son chiffre d’affaires le produit des ventes d’immeubles construits pour son propre compte. Elle considérait que ces opérations devaient être qualifiées d’« opérations accessoires immobilières » au sens de l’article 19, paragraphe 2, de la sixième directive, ce qui justifiait leur neutralisation dans le calcul du prorata. Toutefois, à la suite d’un changement de pratique administrative, les autorités fiscales nationales ont contesté cette analyse, estimant que ces ventes ne constituaient pas des opérations accessoires. Cette nouvelle position a eu pour conséquence de réduire le droit à déduction de la société sur ses frais généraux. Saisie du litige, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour de justice sur la notion d’« opération accessoire immobilière » et sur la compatibilité de la limitation du droit à déduction avec le principe de neutralité fiscale, alors même que l’entreprise avait acquitté la taxe au titre des livraisons à soi-même pour la construction desdits immeubles. La question posée revenait à déterminer si l’activité de vente d’immeubles, exercée par une entreprise de construction dans le prolongement de son activité principale, pouvait être considérée comme accessoire afin d’optimiser son droit à déduction, et si une réponse négative ne portait pas atteinte au principe de neutralité fiscale.
La Cour répond que la vente par une entreprise de construction d’immeubles qu’elle a elle-même réalisés ne constitue pas une « opération accessoire immobilière » dès lors qu’elle est « le prolongement direct, permanent et nécessaire de son activité taxable ». Elle ajoute que le principe de neutralité fiscale ne fait pas obstacle à ce que le droit à déduction de la taxe sur les frais généraux soit seulement partiel lorsque l’opération de vente finale est exonérée. La Cour de justice refuse ainsi une interprétation extensive de la notion d’opération accessoire (I), avant de confirmer la primauté des règles de déduction spécifiques aux assujettis mixtes sur une conception absolue du principe de neutralité (II).
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**I. Le refus de la qualification d’opération accessoire pour l’activité de vente immobilière**
La Cour de justice adopte une définition stricte de l’opération accessoire, fondée sur la nature de l’activité plutôt que sur son volume. Pour ce faire, elle établit comme critère déterminant celui du prolongement de l’activité principale (A), ce qui la conduit à écarter logiquement une analyse fondée sur les moyens employés pour l’activité de vente (B).
**A. L’application du critère du prolongement direct, permanent et nécessaire**
La Cour rappelle que la finalité de l’exclusion des opérations accessoires du calcul du prorata de déduction, prévue à l’article 19, paragraphe 2, de la sixième directive, est « d’éviter qu’ils puissent en fausser la signification réelle ». Il s’agit de neutraliser des opérations qui ne reflètent pas l’activité professionnelle habituelle de l’assujetti. S’appuyant sur sa jurisprudence antérieure, la Cour réaffirme qu’une activité ne peut être qualifiée d’accessoire si elle « constitue le prolongement direct, permanent et nécessaire de l’activité taxable de l’entreprise ».
Appliquant ce critère à l’espèce, elle observe que pour une société de construction, l’édification d’immeubles pour son propre compte en vue de leur vente n’est pas une activité fortuite ou accidentelle. Au contraire, cette activité découle directement de son savoir-faire principal et participe d’une stratégie commerciale délibérée, s’inscrivant dans son objectif d’entreprise. La vente des immeubles construits n’est donc pas une simple conséquence occasionnelle, mais bien le débouché naturel et programmé de l’activité de construction. Le caractère permanent et nécessaire est ainsi établi, ce qui empêche de considérer ces ventes comme de simples opérations accessoires. Cette approche garantit une application uniforme de la notion en se concentrant sur le lien intrinsèque entre les activités de l’assujetti.
**B. L’indifférence de la consommation de biens et services pour l’activité de vente**
La juridiction de renvoi demandait également si la qualification d’opération accessoire dépendait de la mesure dans laquelle l’activité de vente, prise isolément, impliquait une utilisation significative de biens et de services soumis à la taxe sur la valeur ajoutée. La Cour écarte cette approche, la jugeant superfétatoire. Ayant établi que l’activité de vente immobilière constituait le prolongement direct, permanent et nécessaire de l’activité de construction, l’analyse était pour elle terminée.
La Cour estime en effet que dès lors que le premier critère est rempli, « il n’y a pas lieu d’apprécier in concreto la mesure dans laquelle cette activité de vente, considérée isolément, implique une utilisation de biens et de services pour lesquels la taxe sur la valeur ajoutée est due ». Cette précision est importante car elle simplifie le raisonnement et évite aux opérateurs et aux administrations fiscales de devoir procéder à une ventilation analytique complexe et potentiellement source de nouveaux litiges. La Cour privilégie un critère fonctionnel et structurel, lié à la nature de l’activité, plutôt qu’un critère quantitatif fondé sur la consommation de ressources. La qualification d’une opération dépend donc de sa place dans le modèle économique global de l’entreprise, et non de son propre « poids » en termes de coûts taxés.
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**II. La validation de la limitation du droit à déduction au regard du principe de neutralité fiscale**
Après avoir écarté la qualification d’opération accessoire, la Cour examine si la limitation du droit à déduction qui en résulte est conforme au principe de neutralité fiscale. Elle y répond par l’affirmative, en distinguant la portée du principe de neutralité en droit dérivé (A) et en justifiant la différence de traitement par un objectif d’égalité plus large (B).
**A. La portée circonscrite du principe de neutralité fiscale**
La société requérante soutenait que le refus de la déduction intégrale de la taxe sur ses frais généraux violait le principe de neutralité, dès lors que l’activité de construction initiale avait été taxée via le mécanisme de la livraison à soi-même. La Cour ne suit pas cette argumentation et opère une distinction conceptuelle importante. Elle rappelle que si le principe de neutralité fiscale est un principe fondamental inhérent au système commun de la taxe, il n’est en réalité que « la traduction par le législateur communautaire, en matière de TVA, du principe général d’égalité de traitement ».
Or, tandis que le principe général d’égalité de traitement possède une valeur constitutionnelle en droit de l’Union, le principe de neutralité fiscale, lui, « nécessite une élaboration législative qui ne peut se faire que par un acte de droit communautaire dérivé ». Par conséquent, ce principe peut faire l’objet de précisions et de limitations dans la législation elle-même. Les règles de calcul du prorata de déduction pour les assujettis mixtes, telles que définies aux articles 17 et 19 de la sixième directive, constituent précisément l’une de ces limitations légales. En soumettant une partie de son activité à une exonération, l’entreprise se place volontairement dans une situation où son droit à déduction est légalement et structurellement limité. Le principe de neutralité ne peut donc être invoqué pour contourner les règles expresses du prorata prévues par la directive.
**B. La justification de la restriction par le respect de l’égalité de traitement**
La Cour achève son raisonnement en démontrant que la limitation du droit à déduction, loin de violer le principe d’égalité, en assure au contraire le respect au niveau du marché. Elle souligne que le principe général d’égalité de traitement « exige que les situations comparables ne soient pas traitées de manière différente, à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée ».
En l’espèce, le législateur danois, en appliquant les règles du prorata à l’entreprise de construction, a souhaité la placer dans une situation fiscale équivalente à celle des promoteurs immobiliers. Ces derniers, dont l’activité principale est la vente exonérée d’immeubles, ne peuvent pas déduire la taxe qui leur est facturée par les entreprises de construction auxquelles ils font appel. Accorder un droit à déduction intégral à une entreprise de construction qui vend elle-même ses immeubles créerait une distorsion de concurrence en sa faveur. La limitation du droit à déduction vise donc à garantir que des opérateurs économiques concurrents, se livrant à la même activité finale de vente immobilière exonérée, soient traités de manière identique au regard de la taxe non déductible. Le principe de neutralité est ainsi appliqué non pas à l’échelle d’une seule entreprise, mais à celle de l’ensemble du secteur économique concerné.