Par un arrêt du 13 décembre 2005, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les conditions de recevabilité d’un recours en annulation formé par une association contre une décision de la Commission en matière d’aides d’État. En l’espèce, les autorités allemandes avaient notifié à la Commission un projet de loi modifiant un régime d’aides à l’acquisition de terres dans les nouveaux Länder, initialement déclaré partiellement incompatible avec le marché commun à l’issue d’une procédure formelle d’examen. La Commission a autorisé le régime modifié sans ouvrir une nouvelle procédure formelle d’examen. Une association, ayant pour objet la défense des intérêts de propriétaires expropriés et qui avait participé activement à la première procédure, a formé un recours en annulation contre cette décision d’autorisation. Par un arrêt du 5 décembre 2002, le Tribunal de première instance a jugé le recours recevable, retenant que l’action visait à la sauvegarde des droits procéduraux de l’association et que celle-ci était individuellement concernée en raison de son rôle de négociatrice lors de la procédure antérieure. La Commission a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, contestant l’analyse du Tribunal sur la recevabilité du recours. Il revenait donc à la Cour de justice de déterminer si une association, ayant participé à une procédure formelle d’examen d’un régime d’aides, est individuellement concernée par une décision ultérieure autorisant ce même régime après modification, sans ouverture d’une nouvelle procédure. La Cour de justice répond par la négative, annule l’arrêt du Tribunal et rejette le recours comme irrecevable. Elle considère que le Tribunal a commis une erreur de droit en requalifiant l’objet du recours et en conférant à l’association un statut de négociatrice. Pour contester le bien-fondé de la décision, l’association aurait dû démontrer que la position de ses membres sur le marché était substantiellement affectée, ce qui n’était pas établi.
La solution de la Cour repose sur une application stricte des conditions de recevabilité des recours en annulation en matière d’aides d’État (I), ce qui conduit à limiter de manière significative l’accès au juge pour les associations défendant des intérêts collectifs (II).
I. Le rappel rigoureux des conditions de la recevabilité du recours en matière d’aides d’État
La Cour de justice censure l’analyse du Tribunal de première instance en écartant une interprétation extensive de la qualité pour agir (A) et en réaffirmant l’exigence d’une affectation substantielle de la position concurrentielle pour établir un intérêt individuel (B).
A. La censure de l’interprétation extensive de la qualité pour agir par le Tribunal
Le Tribunal de première instance avait jugé le recours recevable en se fondant sur deux motifs principaux. Premièrement, il avait interprété le recours, qui portait sur le fond, comme visant en réalité à faire « sauvegarder les droits procéduraux » que l’association tirait de l’article 88, paragraphe 2, du traité CE. La Cour de justice rejette fermement cette requalification, estimant que de telles « constatations du Tribunal, figurant aux points 47 et 49 de l’arrêt attaqué, […] apparaissent comme ne reposant sur aucun fondement objectif ». En effet, l’association n’avait pas explicitement invoqué une violation de ses droits procéduraux. La Cour refuse ainsi que le juge puisse substituer son propre moyen à celui des parties pour sauver la recevabilité d’un recours, garantissant par là même le respect du principe du contradictoire.
Deuxièmement, le Tribunal avait considéré que l’association était individuellement concernée en raison de sa « position de négociatrice » lors de la première procédure formelle. La Cour écarte également cette analyse. Elle estime que le rôle de l’association, bien qu’actif, « ne dépasse pas l’exercice des droits procéduraux reconnus aux intéressés à l’article 88, paragraphe 2, CE » et ne saurait donc « être assimilé à celui du Landbouwschap ou du CIRFS » dans des affaires antérieures où un véritable rôle de partenaire social ou de négociateur avait été reconnu. Par ce raisonnement, la Cour opère une distinction claire entre la simple participation, même intense, à une procédure, et une véritable implication dans l’élaboration de la mesure contestée.
B. Le retour à l’orthodoxie de l’affectation substantielle de la position concurrentielle
Ayant écarté les constructions du Tribunal qui facilitaient la recevabilité, la Cour de justice revient à une application classique des critères de l’article 230, quatrième alinéa, du traité CE. Puisque le recours de l’association visait le bien-fondé de la décision d’aide, elle devait démontrer qu’elle était individuellement concernée selon les critères de la jurisprudence `Plaumann`. Dans le contexte des aides d’État, cela implique de prouver que la « position sur le marché du requérant serait substantiellement affectée par l’aide faisant l’objet de la décision en cause ».
La Cour examine donc si les membres de l’association remplissent cette condition. Elle constate que, même en admettant que certains de ses membres soient des concurrents des bénéficiaires de l’aide, leur position n’est pas pour autant substantiellement affectée. La Cour justifie cette conclusion par le fait que les concurrents potentiels sont en réalité « tous les agriculteurs de l’Union européenne ». Les membres de l’association ne se distinguent donc pas d’une multitude indéfinie d’autres opérateurs économiques. Cette appréciation très restrictive de l’affectation substantielle rend en pratique extrêmement difficile pour un membre d’un marché largement ouvert de démontrer l’atteinte à sa situation concurrentielle, consolidant une approche exigeante de l’intérêt à agir.
II. La portée restrictive de l’arrêt quant à l’accès au juge pour les personnes morales
En appliquant avec rigueur les conditions de recevabilité, la Cour de justice confirme le caractère limité des voies de recours ouvertes aux tiers (A), ce qui renforce une conception étroite de l’intérêt à agir des associations (B).
A. Le refus d’une protection procédurale élargie en l’absence de nouvelle procédure formelle
La décision de la Cour a pour conséquence de limiter la protection juridictionnelle des tiers intéressés lorsque la Commission décide de ne pas ouvrir la procédure formelle d’examen. La jurisprudence antérieure permettait aux intéressés de contester une décision prise sur le fondement de l’article 88, paragraphe 3, du traité CE afin de protéger leurs droits procéduraux. Or, en l’espèce, la Cour refuse de considérer que le recours de l’association, portant sur le fond, puisse être interprété comme visant implicitement à dénoncer le non-respect de ses droits procéduraux.
Cette approche formaliste crée une situation délicate pour les requérants. Si les arguments de fond sur l’incompatibilité de l’aide sont précisément ceux qui auraient dû conduire la Commission à constater l’existence de « difficultés sérieuses » et donc à ouvrir la procédure formelle, le refus de la Cour de lier les deux aspects empêche le juge de contrôler la décision de la Commission de ne pas ouvrir la procédure. En pratique, cela signifie qu’un tiers qui estime qu’une aide soulève des difficultés sérieuses doit explicitement axer son recours sur la violation de ses droits procéduraux, au risque de voir son action rejetée comme irrecevable s’il se concentre sur les aspects de fond. Cette distinction rigide affaiblit le contrôle juridictionnel sur la phase préliminaire de l’examen des aides.
B. La consolidation d’une conception étroite de l’intérêt individuel à agir des associations
Cet arrêt confirme la difficulté pour les associations de voir reconnaître leur intérêt individuel à agir. La Cour réaffirme qu’une association constituée pour la défense d’intérêts collectifs n’est généralement recevable que si ses membres le sont à titre individuel ou si elle peut justifier d’un intérêt propre. En rejetant la qualification de « négociatrice » et en appliquant strictement le critère de l’affectation substantielle, la Cour rend ces deux hypothèses difficiles à établir.
Le jugement illustre que la participation active à une procédure administrative ne suffit pas à créer un intérêt propre à agir. De plus, en considérant que la concurrence exercée par « tous les agriculteurs de l’Union européenne » dilue l’impact de l’aide sur les membres de l’association, la Cour établit un standard de preuve très élevé. Une telle approche risque de priver de recours les associations représentant des opérateurs sur des marchés vastes et ouverts. La décision s’inscrit ainsi dans une ligne jurisprudentielle constante mais critiquée, qui privilégie la limitation du contentieux au détriment d’un accès plus large à la justice pour les groupements qui, par leur nature, sont pourtant des interlocuteurs pertinents dans le contrôle des actions des institutions européennes.