Cour d’appel de Rennes, le 2 juillet 2025, n°22/03081

La Cour d’appel de Rennes, 2 juillet 2025, 5e chambre, tranche un contentieux né d’un bail meublé, portant sur la validité d’un congé pour vendre et sur l’indemnisation d’un trouble de jouissance. Un bail meublé a pris effet le 5 mars 2020 moyennant un loyer de 550 euros. Le 1er octobre 2020, des messages ont été échangés au sujet d’une éventuelle poursuite de l’occupation. À compter de novembre 2020, des nuisances olfactives liées au tabac, en provenance de l’étage inférieur, ont été signalées. Un technicien est intervenu début décembre. Un congé pour vendre a été signifié le 3 décembre 2020, avec effet au 4 mars 2021, avant le dépôt du rapport technique du 7 décembre 2020. La locataire a contesté le congé et sollicité des réparations. Le juge des contentieux de la protection de Saint‑Brieuc, 11 avril 2022, a annulé le congé, considéré le bail reconduit jusqu’au 5 mars 2023 et alloué une indemnité morale. L’appel a été interjeté par le bailleur, et un appel incident par la locataire.

Le débat a porté, d’abord, sur la portée juridique d’échanges de messages au regard des articles 25‑7 et 25‑8 de la loi du 6 juillet 1989, puis sur la régularité et la réalité du motif du congé pour vendre. Il a porté, ensuite, sur l’imputabilité du trouble de jouissance invoqué, au regard des obligations de délivrance, de décence et de jouissance paisible. La cour valide le congé, refuse la reconduction sur deux ans, écarte le préjudice de jouissance, fixe une indemnité d’occupation au montant du loyer et déboute les parties de leurs demandes de dommages et intérêts.

I – Reconduction du bail et régime du congé pour vendre

A – L’inopérance d’une reconduction anticipée par échanges informels

Le cœur du désaccord concernait la portée d’échanges de messages, cinq mois avant l’échéance, quant à la poursuite de l’occupation. Le raisonnement retenu s’enracine dans le texte spécial applicable au bail meublé. La cour rappelle d’abord que « Aux termes dudit article, si les parties au contrat ne donnent pas congé dans les conditions prévues à l’article 25-8, le contrat de location parvenu à son terme est reconduit tacitement pour une durée de 1 an. » La renouvelabilité du meublé ne se présume ni au‑delà d’un an ni par simple manifestation d’intention anticipée.

Appliquant ce cadre, la cour écarte clairement tout effet novatoire des échanges électroniques, en des termes sans ambiguïté. Elle énonce que « Il ne peut être déduit de ces échanges entre le bailleur et le preneur survenus près de 5 mois avant la fin du bail meublé qu’ils se sont accordés pour ce que le jugement qualifie à tort de renouvellement du bail. » Elle ajoute, dans le prolongement nécessaire du texte, que « De surcroît, il ne peut être tacitement reconduit, si aucune des parties ne donne congé, pour une durée supérieure à un an au vu des dispositions de la loi du 6 juillet 1989. » Le raisonnement repose sur la distinction stricte entre reconduction légale d’un an et renouvellement conventionnel, lequel ne se déduit pas d’un assentiment probable, encore moins avant terme.

Cette solution protège l’économie du régime du meublé et évite de figer la situation par des engagements imprécis. Elle s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle attentive à la forme et à la temporalité des manifestations de volonté. Elle invite, en pratique, à formaliser tout renouvellement et à s’en tenir, à défaut, au mécanisme de reconduction d’ordre public.

B – La validité du congé et la charge de la preuve de la fraude

La cour s’attache ensuite à la conformité du congé pour vendre aux exigences de l’article 25‑8. Elle rappelle le standard légal en des termes particulièrement didactiques: « Aux termes de l’article 25-8 précité, dans sa version applicable au litige, prévoit que lorsqu’il donne congé à son locataire pour reprendre le logement, le bailleur justifie du caractère réel et sérieux de sa décision de reprise. » Elle précise les exigences de forme et de contenu: « À peine de nullité, le congé donné par le bailleur doit indiquer le motif allégué et, en cas de reprise, les nom et adresse du bénéficiaire de la reprise ainsi que la nature du lien existant entre le bailleur et le bénéficiaire de la reprise qui ne peut être que le bailleur, son conjoint, le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité enregistré à la date du congé, son concubin notoire depuis au moins un an à la date du congé, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint, de son partenaire ou de son concubin notoire. » Le contrôle juridictionnel est affirmé avec netteté: « En cas de contestation, le juge peut, même d’office, vérifier la réalité du motif du congé et le respect des obligations prévues au présent article. Il peut notamment déclarer non valide le congé si la non-reconduction du bail n’apparaît pas justifiée par des éléments sérieux et légitimes. »

Sur la preuve de la fraude alléguée, l’arrêt retient une règle de charge probatoire décisive: « Il est constant que la charge de la preuve du caractère frauduleux du congé incombe au locataire qui l’invoque. » La cour confronte la chronologie et les pièces: intervention technique sollicitée sans délai, congé délivré avant le rapport, défauts situés dans le lot inférieur selon l’expertise, contraintes bancaires établies et démarche de vente engagée. Elle en déduit, sans équivoque, l’absence de manœuvre et le sérieux du projet: « Dans ces conditions exemptes de toute suspicion de fraude aux droits de la locataire, autre que purement théoriques, et à la lueur des explications données par le bailleur, il est suffisamment établi que le non-renouvellement du bail est justifié par des éléments sérieux et légitimes. » La conséquence logique en est l’expiration du bail à l’échéance du préavis et la fixation d’une indemnité d’occupation au niveau du loyer, ce qui préserve l’équilibre contractuel sans sur‑indemnisation.

II – Jouissance paisible, logement décent et conséquences indemnitaires

A – Absence de manquement du bailleur face à un trouble imputable au dessous

Au titre des obligations du bailleur, la cour rappelle le cadre à la fois civil et spécial. Elle cite d’abord la règle générale: « Selon l’article 1719 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et, s’il s’agit de son habitation principale, un logement décent, d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée et d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail. » Elle ajoute l’exigence de décence: « En application de l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989, le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé. »

L’instruction révèle toutefois une diligence immédiate du bailleur et l’imputabilité technique du défaut aux parties privatives du lot inférieur. La cour accorde une foi privilégiée au rapport spécialisé, et écarte les éléments contraires produits: « Les conclusions de cette société spécialisée ne peuvent être remises en cause par l’inspection des services de la ville ou le constat d’huissier produit en ce que les conclusions émanent d’un professionnel qui a réalisé un rapport de situation afin de parvenir à cette conclusion. » Le retard des travaux tient à l’inertie du propriétaire situé en dessous et non à une abstention fautive. Dès lors, le préjudice de jouissance n’est pas mis à la charge du bailleur, ce qui confirme la cohérence du raisonnement avec la causalité matérielle du trouble.

B – Indemnité d’occupation, frais et rejet des demandes indemnitaires

La solution validant le congé entraîne mécaniquement l’extinction du titre d’occupation et la substitution d’une indemnité. Le dispositif retient une indemnité d’occupation équivalente au loyer contractuel, courant du lendemain de l’échéance jusqu’à la libération effective. Cette modulation rejoint l’économie de la loi et assure une compensation mesurée du défaut de restitution.

Enfin, la cour rejette les demandes de dommages et intérêts croisées, tant au titre d’un préjudice moral et financier qu’au titre de l’abus de droit. Elle rappelle un principe constant de procédure civile, d’une portée générale: « il convient de rappeler que l’exercice d’une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équipollente au dol, ce que [le demandeur] ne démontre pas. » La solution circonscrit rigoureusement la réparation au seul poste d’occupation sans titre et règle les frais irrépétibles en conséquence, à la charge de la partie succombante.

Par cet arrêt, la Cour d’appel de Rennes clarifie utilement la portée des échanges informels avant terme, renforce l’exigence probatoire pesant sur celui qui allègue la fraude au congé pour vendre, et articule de manière équilibrée les obligations du bailleur avec l’imputabilité matérielle des troubles. L’ensemble s’inscrit dans une interprétation pragmatique des textes spéciaux du bail meublé et dans un contrôle effectif mais mesuré de la finalité du congé.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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