Cour d’appel de Paris, le 4 juillet 2025, n°24/12087

La Cour d’appel de Paris, 4 juillet 2025, statue sur les effets de l’ouverture d’un redressement judiciaire, intervenue en cours d’instance d’appel, sur une action en acquisition de clause résolutoire et sur une demande de provision. Un bail commercial avait été conclu, des arriérés étaient allégués, puis un commandement visant la clause résolutoire avait été délivré. Le bailleur a saisi le juge des référés afin de voir constater la résiliation de plein droit, ordonner l’expulsion et obtenir une provision.

Le président du tribunal judiciaire de Meaux, 29 mai 2024, a constaté l’acquisition de la clause résolutoire, ordonné l’expulsion et alloué une somme provisionnelle. L’appel a été interjeté, puis le tribunal de commerce de Meaux, 9 décembre 2024, a ouvert un redressement judiciaire à l’égard du preneur. La cour a invité les parties à s’exprimer sur l’article L. 622-21 du code de commerce, l’appelante soutenant l’interdiction des poursuites et l’irrecevabilité subséquente des demandes.

La question posée par l’arrêt tient à la portée de l’interdiction des poursuites consécutive au jugement d’ouverture sur une action, non définitivement tranchée, tendant à la constatation d’une clause résolutoire pour impayés antérieurs, ainsi que sur la demande de provision engagée devant le juge des référés. La solution adoptée retient le blocage complet de ces prétentions, au profit de la compétence du juge-commissaire pour la créance.

La cour rappelle d’abord le texte applicable, qu’elle cite ainsi: « I.- Le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action en justice […] tendant : 1° A la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ; 2° A la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent. II.- Il arrête ou interdit également toute procédure d’exécution […] III.- Les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont en conséquence interrompus ». Elle en déduit que « l’action introduite par le bailleur […] en vue de faire constater l’acquisition de la clause résolutoire […] ne peut, dès lors qu’elle n’a donné lieu à aucune décision passée en force de chose jugée, être poursuivie après ce jugement ». Elle ajoute encore: « l’instance en référé tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une provision n’est pas une instance en cours interrompue […] de sorte que la cour d’appel […] doit infirmer cette ordonnance et dire n’y avoir lieu à référé, la demande en paiement étant devenue irrecevable ». Enfin, la compétence du juge-commissaire est affirmée en ces termes: « Il revient en effet au seul juge-commissaire de se prononcer sur la déclaration de créance ».

I. L’interdiction des poursuites et l’action en clause résolutoire

A. Le champ du blocage légal et la nécessité d’une autorité de chose jugée
Le texte visé embrasse deux objets distincts, la condamnation pécuniaire et la résolution pour impayés. La cour reproduit le dispositif légal et articule son raisonnement autour de la condition d’une décision définitive antérieure à l’ouverture. Elle énonce: « l’action […] ne peut […] être poursuivie après ce jugement » lorsqu’aucun caractère irrévocable n’est encore acquis. L’instance d’appel, pendante lors du jugement d’ouverture, ne bénéficie pas d’un régime dérogatoire. La conséquence est l’infirmation de la décision des référés qui avait constaté la résiliation et ordonné des mesures d’exécution.

Cette lecture consacre une exigence de sécurité juridique et de neutralité procédurale dès l’ouverture. La faculté de constater une clause déjà acquise reste enfermée dans le périmètre de l’autorité de chose jugée antérieure, à défaut de quoi l’interdiction frappe l’action, quelle que soit sa qualification d’origine. Le fait générateur de la clause, antérieur au jugement d’ouverture, ne suffit pas en lui-même.

B. La qualification de la demande de provision et la logique de l’irrecevabilité
La cour opère une distinction utile sur la mécanique procédurale du référé-provision. Elle précise: « l’instance en référé tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une provision n’est pas une instance en cours interrompue […] de sorte que la cour d’appel […] doit infirmer […] et dire n’y avoir lieu à référé ». L’absence d’interruption ne signifie pas continuation au fond; elle autorise la juridiction à tirer les conséquences de l’interdiction en prononçant l’irrecevabilité.

Le verrou n’est donc pas technique mais substantiel. La démarche respecte le monopole d’examen des créances par la juridiction de la procédure collective, la cour rappelant que « le seul juge-commissaire » est compétent. La demande en paiement, même sous la forme d’une provision, redevient une pure question d’admission, relevant du circuit de la déclaration de créance.

II. Appréciation critique et incidences pratiques en matière de bail commercial

A. Conformité systémique et hiérarchie des compétences
La solution se conforme à l’économie du livre VI, qui tend à centraliser la gestion du passif et à geler les poursuites individuelles. Elle matérialise le principe d’égalité des créanciers, en empêchant le bailleur d’obtenir, par le canal de la clause résolutoire, un avantage procédural sur un fait générateur antérieur. L’affirmation selon laquelle « Il revient en effet au seul juge-commissaire de se prononcer sur la déclaration de créance » s’accorde avec l’office de ce juge, pivot de l’admission et du règlement.

L’argumentation présente aussi une cohérence pratique. Elle évite la contradiction d’un juge des référés appréciant une créance alors que l’instance collective s’ouvre. Le débit de procédures parallèles est ainsi maîtrisé, tout en laissant subsister, le cas échéant, les outils propres aux contrats en cours devant les organes de la procédure.

B. Portée pour les loyers et indemnités en période collective
L’arrêt trace une ligne claire pour les impayés antérieurs, qui relèvent de la déclaration et de l’admission. Il ne préjuge pas du traitement des créances postérieures utiles, notamment les loyers ou indemnités d’occupation nés de l’exécution nécessaire du bail après ouverture, lesquels sont soumis aux règles spécifiques de paiement prioritaire. Le bailleur demeure invité à se tourner vers les organes de la procédure, et non vers le juge des référés, pour obtenir satisfaction.

La question de la clause résolutoire acquise avant l’ouverture reçoit une précision indirecte. À défaut de décision définitive antérieure, la poursuite de l’action est prohibée. En présence d’une autorité de chose jugée antérieure, la discussion se déplace vers le terrain de l’exécution et des autorisations, sous le contrôle du juge de la procédure. La présente solution consolide ainsi un partage de compétences lisible et protecteur de l’égalité procédurale.

Au total, l’infirmation prononcée et le « n’y avoir lieu à référé » généralisé rappellent, avec pédagogie, que l’interdiction des poursuites s’applique doublement, à l’action en résolution pour impayés antérieurs et à la demande de provision. L’arrêt, en citant expressément que « la demande en paiement [est] devenue irrecevable », conforte le recentrage devant la juridiction spécialisée et dessine un mode d’emploi sûr pour les litiges locatifs à l’ombre d’une procédure collective.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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