Cour d’appel de Paris, le 24 juillet 2025, n°24/15918

La Cour d’appel de Paris, Pôle 1 – Chambre 3, 24 juillet 2025, tranche l’incidence d’un redressement judiciaire sur une action en référé emportant résiliation d’un bail et condamnation provisionnelle. L’affaire naît d’un bail professionnel conclu le 18 mai 2017 pour une activité médicale exercée dans des locaux dédiés, avec loyer payable d’avance sur une base trimestrielle.

Après des impayés, un commandement de payer visant la clause résolutoire est délivré le 9 mai 2022. Le bailleur assigne en référé le 1er août 2023 pour faire constater la résiliation de plein droit, obtenir l’expulsion, la séquestration des meubles et une indemnité d’occupation, outre une provision substantielle au titre de l’arriéré.

Par ordonnance du 27 août 2024, il est constaté l’acquisition de la clause résolutoire au 9 juin 2022, ordonnée l’expulsion et allouée une provision, avec fixation d’une indemnité d’occupation égale au loyer mensualisé. Les délais de paiement sont refusés et plusieurs demandes accessoires sont écartées. Un appel est relevé le 6 septembre 2024.

Un redressement judiciaire est ensuite ouvert le 26 septembre 2024. Le mandataire judiciaire intervient en cause d’appel, faisant valoir l’article L. 622-21 du code de commerce. La cour rappelle d’abord que: « I.- Le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n’est pas mentionnée au I de l’article L. 622-17 et tendant:

1° à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ;

2° à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent. » Elle énonce ensuite: « Il résulte de ce texte que l’action introduite par le bailleur avant l’ouverture du redressement ou de la liquidation judiciaire du preneur, en vue de faire constater l’acquisition de la clause résolutoire prévue au bail commercial pour défaut de paiement des loyers ou des charges échus antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure ne peut, dès lors qu’elle n’a donné lieu à aucune décision passée en force de chose jugée, être poursuivie après ce jugement. » S’agissant de la provision, la cour ajoute: « l’instance en référé tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une provision n’est pas une instance en cours interrompue par l’ouverture de la procédure collective du débiteur, de sorte que la cour d’appel, statuant sur l’appel formé par ce dernier contre l’ordonnance l’ayant condamné au paiement d’une provision, doit infirmer cette ordonnance et dire n’y avoir lieu à référé, la demande en paiement étant devenue irrecevable en vertu de la règle de l’interdiction des poursuites édictée par l’article L. 622-21 du code de commerce. » La solution en découle: « Infirme la décision entreprise » et « Dit n’y avoir lieu à référé ».

I. Le sens de la décision: l’interdiction des poursuites individuelles et son effet sur le référé

A. Le cadre légal mobilisé par la cour et sa portée directe
La cour se fonde sur le texte précité dans ses deux branches essentielles, condamnation au paiement et résolution pour impayé. L’articulation est claire: l’ouverture du redressement ne suspend pas seulement, elle interdit l’action individuelle, sauf créances privilégiées étrangères au champ visé. L’énoncé selon lequel « Il résulte de ce texte que l’action […] ne peut […] être poursuivie après ce jugement » fait prévaloir l’efficacité du dessaisissement procédural au profit de la discipline collective. L’absence d’autorité de chose jugée au jour de l’ouverture gouverne ici le sort de l’action résolutoire, qui ne peut se prolonger devant le juge des référés.

B. La conséquence processuelle: infirmer et dire n’y avoir lieu à référé
La juridiction d’appel précise la mécanique en présence d’une condamnation provisionnelle frappée par l’interdiction des poursuites. L’instance d’appel n’est pas interrompue, mais l’objet de la demande devient irrecevable du fait du texte, ce qui commande l’infirmation et la formule « n’y a lieu à référé ». En citant que « l’instance en référé […] n’est pas une instance en cours interrompue […] doit infirmer […] et dire n’y avoir lieu à référé », la cour distingue la procédure de la recevabilité, pour restituer au juge-commissaire et aux organes de la procédure le traitement des créances. La solution neutralise corrélativement les mesures accessoires d’expulsion et de séquestration, indissociables de la résiliation poursuivie.

II. La valeur et la portée: cohérence avec l’économie de la procédure collective et incidences pratiques

A. Une solution fidèle à l’égalité des créanciers et à la centralisation
L’arrêt confirme une lecture protectrice et orthodoxe de l’article L. 622-21, au service de l’égalité des créanciers et de la prévention des courses individuelles. En substituant la formule « n’y a lieu à référé » à une interruption pure et simple, la cour clarifie le contentieux résiduel en appel et évite une survivance artificielle des demandes. La cohérence est renforcée par l’exigence d’une décision passée en force de chose jugée avant l’ouverture, seule de nature à échapper à l’interdiction, ce que l’ordonnance de référé d’août 2024 ne satisfaisait pas.

B. Incidences pour les baux professionnels: stratégie des acteurs et voies disponibles
La portée pratique est nette pour les contentieux locatifs affectés par une ouverture postérieure à une ordonnance de référé non définitive. Le bailleur doit déclarer sa créance, renoncer aux poursuites individuelles préexistantes et, le cas échéant, déplacer le débat vers les voies propres à la procédure collective. L’action en résiliation demeure envisageable si des causes autonomes et postérieures d’inexécution surviennent, dans le respect des contrôles spécifiques. À l’inverse, le preneur bénéficie d’une neutralisation immédiate des mesures résolutoires pour arriérés antérieurs, la formule « Dit n’y avoir lieu à référé » rétablissant l’office du juge de la procédure. L’équilibre se fait donc par la centralisation des intérêts en présence, sans priver durablement les parties de leurs droits, mais en ordonnant leur exercice selon les formes collectives.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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