Cour d’appel de Bordeaux, le 11 septembre 2025, n°21/04832

La Cour d’appel de Bordeaux, 2e chambre civile, 11 septembre 2025, tranche un litige relatif à une vente en l’état futur d’achèvement. Un acquéreur soutenait que l’ouvrage livré ne correspondait pas aux plans, en raison d’une gaine technique modifiant l’agencement et l’agrément de l’appartement. La livraison est intervenue avec réserves, l’acquéreur ayant retenu 10 % du prix chez son notaire avant un commandement de payer délivré par le vendeur. Le tribunal judiciaire de Bordeaux, 23 juillet 2021, a condamné au paiement du solde et alloué 5 000 euros pour non-conformité, rejetant notamment une demande de gain manqué. Devant la cour, l’acquéreur contestait la validité du séquestre, réclamait une indemnité accrue, et sollicitait diverses mesures relatives aux réserves et aux travaux modificatifs. La cour confirme la non-conformité mais limite les dommages-intérêts à 5 000 euros, invalide la retenue de prix et rejette les prétentions accessoires majeures. La question centrale porte sur l’articulation entre délivrance conforme en VEFA et consignation du solde, ainsi que sur l’étendue de la réparation adéquate. La décision précise la règle applicable, puis apprécie la preuve et la proportionnalité des remèdes au regard des textes spéciaux et du droit commun.

I. Le sens de la décision: délivrance conforme et consignation

A. La contrainte technique et la non-conformité

La cour rappelle la portée de l’obligation de délivrance conforme en présence d’une adaptation technique survenue en cours de chantier. « Toutefois, un acquéreur ne peut supporter les conséquences d’une contrainte technique que le constructeur n’a pas été capable d’anticiper, qui contrevient à l’obligation de délivrance conforme du vendeur et qui a une incidence directe sur la jouissance de son logement. » La non-conformité résulte ici de l’implantation d’une gaine non prévue aux plans contractuels, sans information préalable ni compensation adéquate. Pour autant, l’atteinte est mesurée, la cour retenant un impact minime sur la surface, l’ensoleillement et la perspective, d’où un quantum limité. « En conséquence, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en qu’il a fixé à la somme de 5000 euros les dommages et intérêts compensant la non-conformité du bien vendu. » Le contrôle exercé combine l’existence d’une divergence substantielle et l’appréciation concrète du préjudice, dans l’esprit de la réparation intégrale.

B. Le séquestre irrégulier et la sanction du paiement

Le règlement du solde en VEFA obéit au schéma impératif de l’article R. 261-14 du code de la construction et de l’habitation. Seule une consignation du solde résiduel, auprès de la Caisse des dépôts, est ouverte en cas de contestation de conformité lors de la mise à disposition. Une retenue de 10 % opérée unilatéralement chez un notaire avant la livraison est étrangère au dispositif légal et ne suspend pas l’exigibilité. « Dés lors, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a jugé que la somme irrégulièrement séquestrée était due. » La position éclaire le contentieux des retards allégués, le manquement tenant ici au mode de paiement et non à la délivrance matérielle. La demande fondée sur une taxe pour logement vacant s’en trouve privée de base, le retard retenu étant imputé à l’acquéreur. « Le retard de livraison de l’appartement est imputable au comportement de l’appelant lequel en outre ne démontre pas avoir procédé au paiement de la taxe sur les logements vacants. »

II. Valeur et portée de la solution

A. Un quantum mesuré et l’exigence de preuve

Le maintien d’une indemnité modeste traduit une approche proportionnée, fidèle à l’évaluation in concreto d’un trouble d’usage limité et d’une minime perte de surface. La cour écarte une inflation spéculative du préjudice, en privilégiant des pièces objectives et suffisantes, sans ordonner une expertise judiciaire devenue superflue. Le rejet du gain manqué confirme l’exigence d’indices sérieux d’intention locative et d’un lien causal certain avec un retard imputable au vendeur. Cette rigueur probatoire évite l’indemnisation d’opportunité et aligne le contentieux VEFA sur le standard de preuve du dommage certain et actuel. La solution sur les travaux modificatifs rappelle enfin que la charge de prouver l’accord sur des devis pèse sur le demandeur au paiement.

B. Enseignements pratiques: réserves, TMA, retard de livraison

La décision clarifie la portée d’une clause de contrainte technique, inopérante lorsque l’adaptation d’exécution altère la consistance livrée sans information ni équivalence. Elle fixe aussi une ligne claire sur la consignation du solde, en excluant tout séquestre notarial hors Caisse des dépôts et au-delà du plafond légal. S’agissant des réserves, l’absence de preuve de leur persistance après levée documentée conduit mécaniquement au rejet des demandes d’astreinte et de reprises. L’équilibre d’ensemble encourage les acteurs à sécuriser les remises de clés et les écritures, et à recourir strictement aux mécanismes légaux de consignation. La VEFA en sort plus lisible, la réparation demeurant proportionnée, la preuve objectivée, et la discipline des paiements confirmée par une motivation structurée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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