Cour d’appel de Aix-en-Provence, le 3 juillet 2025, n°24/13023
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 3 juillet 2025, se prononce sur l’appel dirigé contre une ordonnance de référé-rétractation ayant suivi la désignation d’un mandataire de la masse des obligataires. Une société émettrice d’OBSA, placée d’abord en sauvegarde puis en liquidation, avait vu le président du tribunal de commerce désigner, le 18 juin 2024, un mandataire chargé de représenter la masse et de déclarer la créance. La débitrice a demandé la rétractation de cette désignation, demande reçue mais rejetée au fond par ordonnance du 8 octobre 2024, avant d’interjeter appel. La cour rappelle d’abord la jonction des procédures et la mise hors de cause de l’administrateur, puis concentre l’examen sur la voie de recours ouverte contre la désignation. La question tient à la qualification de la décision de désignation et à ses effets procéduraux: mesure gracieuse seulement appelable, ou ordonnance sur requête susceptible de rétractation. La cour tranche en faveur de la matière gracieuse et déclare irrecevable le référé-rétractation, tout en confirmant l’ouverture de l’appel à toute personne ayant intérêt.
I. La désignation du représentant de la masse: une mesure gracieuse exclusivement appelable
A. Le cadre légal et la finalité collective de la représentation des obligataires La cour replace la désignation contestée dans l’économie des articles L.228-46 et suivants du code de commerce, qui organisent la représentation collective des obligataires en situation d’insolvabilité. Elle rappelle la mission des représentants de la masse, centrée sur la défense d’intérêts homogènes et la sécurisation de la déclaration au passif. La motivation souligne l’obligation de déclaration et la suppléance juridictionnelle en cas de carence: «Ils sont ainsi tenus de déclarer au passif du redressement ou de la liquidation judiciaire le montant de leur créance, et à défaut, une décision de justice désigne, à la demande du mandataire judiciaire, un mandataire chargé d’assurer la représentation de la masse dans les opérations de redressement et de liquidation judiciaire et d’en déclarer la créance.» Par cette affirmation, l’office du juge se borne à garantir la représentation d’une collectivité de porteurs et la bonne fin des opérations de procédure collective. Il s’agit d’assurer l’égalité d’information, la centralisation des diligences et la continuité des déclarations, indépendamment des résistances ponctuelles du débiteur.
La cour rattache cette désignation à la matière gracieuse, faute de litige structurant l’instance et d’adversaires constitués. Le raisonnement insiste sur l’absence d’antagonisme juridictionnel lors de la désignation, qui vise une organisation procédurale plus qu’une résolution contentieuse. Ce choix préfigure déjà la solution relative aux voies de recours, la matière gracieuse obéissant à un régime distinct, dominé par l’appel de droit commun au profit des intéressés.
B. L’inapplicabilité du référé-rétractation aux décisions gracieuses de désignation La cour distingue nettement l’ordonnance sur requête, non contradictoire mais liée à un litige et à des impératifs d’efficacité, de la décision gracieuse de désignation. Elle précise d’abord la nature de l’ordonnance sur requête: «En effet, si au regard des articles 493 et suivants du code de procédure civile l’ordonnance sur requête est également une ordonnance rendue non contradictoirement, elle suppose cependant l’existence d’un litige entre les parties et se justifie par la nécessité qu’a le requérant de ne pas appeler son adversaire, notamment pour agir dans l’urgence ou ménager un effet de surprise en vue de l’obtention de mesures d’instruction.» Puis elle caractérise la désignation litigieuse en ces termes: «Au cas d’espèce, la désignation effectuée par le président du tribunal de commerce ne revêt aucun caractère litigieux en l’absence de partie adverse et n’est pas rendue dans des circonstances où le requérant est tenu de justifier des motifs fondant une dérogation au principe du contradictoire ou fondant une situation d’urgence.»
La conséquence s’impose alors, sans détour: «Dès lors, la voie spécifique du recours en rétractation ouverte à l’encontre des ordonnances sur requête, et qui a pour effet de restaurer un débat contradictoire entre les parties en litige, n’est pas applicable au recours ouvert à l’encontre de la désignation d’un mandataire chargé de représenter la masse des porteurs d’obligations au visa des articles L.228-46, L.228-51, L.228-83 et L.228-85 du code de commerce.» La rétractation est écartée parce qu’elle postule un contradictoire à rétablir entre adversaires, alors que la procédure de désignation organise la représentation d’un groupe en l’absence d’opposition juridictionnelle constituée. La cour en déduit l’irrecevabilité du recours en rétractation formé, infirme l’ordonnance entreprise et statue à nouveau sur ce seul chef.
II. Valeur et portée de la solution: articulation de l’intérêt à agir et sécurisation des procédures collectives
A. L’ouverture de l’appel à toute personne intéressée et la neutralisation du débat accessoire En retenant la matière gracieuse, la cour ménage une voie de contestation adaptée aux enjeux, sans recourir au référé-rétractation. Elle formule clairement le principe directeur: «Si le représentant de la société en procédure collective peut faire valoir le grief causé, le cas échéant, à la société du fait de l’engagement de frais supplémentaires résultant de la désignation d’un mandataire chargé de représenter la masse des porteurs d’obligations ou du fait de l’absence de réunion des conditions nécessaires à sa désignation, en revanche, s’agissant d’une décision rendue à titre gracieux, il ne peut la contester que par la voie de l’appel, étant rappelé que l’appel est ouvert à toute personne justifiant d’un intérêt conformément à l’article 546 du code de procédure civile.» La solution reconnaît ainsi l’intérêt à agir du débiteur potentiel, notamment en cas de grief financier, tout en l’orientant vers le canal pertinent.
Ce faisant, la cour neutralise deux contentieux accessoires. Le premier concerne la recevabilité du référé-rétractation, qui disparaît par la seule qualification gracieuse. Le second touche à l’intérêt à agir de la débitrice, que la cour évoque mais n’épuise pas, la bonne voie étant l’appel, ouvert largement par l’article 546 du code de procédure civile. La démarche évite d’enfermer la critique dans une logique dilatoire, tout en préservant un contrôle effectif de la désignation par le juge d’appel.
B. Les incidences pratiques en procédures collectives: stabilité organisationnelle et contradictoire différé La solution affirme une politique de stabilité des opérations collectives. En écartant le référé-rétractation, la cour limite les risques de paralysie de la représentation des obligataires et de la vérification du passif. La décision canalise les contestations vers l’appel, juridiction de pleine cognition, apte à trancher la régularité de la désignation sans désagréger l’organisation de la masse. La jonction opérée le rappelle avec sobriété: «En application des articles 367 et 368 du code de procédure civile il y a lieu d’ordonner la jonction des procédures enrôlées sous les n° 24/13023 et 24/15222 sous le n° 24/13023.» L’unité contentieuse renforce l’efficacité et évite des décisions divergentes sur une même mesure d’organisation.
Cette orientation n’ignore pas le coût pour la débitrice, qui peut estimer pesants les frais induits par la représentation de la masse. La cour n’élude pas cette donnée, qu’elle range au titre des griefs pouvant fonder l’appel. Elle retient toutefois qu’un contradictoire différé, porté devant la juridiction d’appel, suffit à concilier les intérêts en présence. La représentation permet la centralisation des droits collectifs, la régularité des déclarations et la prévention des carences, objectifs que des rétractations successives fragiliseraient. Le droit au juge n’est pas diminué, il est redistribué sur la voie pertinente et dans le temps utile, afin de préserver l’ordre de la procédure collective.
En définitive, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 3 juillet 2025, donne une leçon nette de qualification procédurale et de cohérence systémique. La désignation d’un représentant de la masse des obligataires est un acte gracieux d’organisation, seulement appelable. Le référé-rétractation n’a pas sa place ici. La voie de l’appel, ouverte à tout intéressé, garantit un contrôle juridictionnel plein, sans compromettre la stabilité des opérations collectives et la protection homogène des porteurs.
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 3 juillet 2025, se prononce sur l’appel dirigé contre une ordonnance de référé-rétractation ayant suivi la désignation d’un mandataire de la masse des obligataires. Une société émettrice d’OBSA, placée d’abord en sauvegarde puis en liquidation, avait vu le président du tribunal de commerce désigner, le 18 juin 2024, un mandataire chargé de représenter la masse et de déclarer la créance. La débitrice a demandé la rétractation de cette désignation, demande reçue mais rejetée au fond par ordonnance du 8 octobre 2024, avant d’interjeter appel. La cour rappelle d’abord la jonction des procédures et la mise hors de cause de l’administrateur, puis concentre l’examen sur la voie de recours ouverte contre la désignation. La question tient à la qualification de la décision de désignation et à ses effets procéduraux: mesure gracieuse seulement appelable, ou ordonnance sur requête susceptible de rétractation. La cour tranche en faveur de la matière gracieuse et déclare irrecevable le référé-rétractation, tout en confirmant l’ouverture de l’appel à toute personne ayant intérêt.
I. La désignation du représentant de la masse: une mesure gracieuse exclusivement appelable
A. Le cadre légal et la finalité collective de la représentation des obligataires
La cour replace la désignation contestée dans l’économie des articles L.228-46 et suivants du code de commerce, qui organisent la représentation collective des obligataires en situation d’insolvabilité. Elle rappelle la mission des représentants de la masse, centrée sur la défense d’intérêts homogènes et la sécurisation de la déclaration au passif. La motivation souligne l’obligation de déclaration et la suppléance juridictionnelle en cas de carence: «Ils sont ainsi tenus de déclarer au passif du redressement ou de la liquidation judiciaire le montant de leur créance, et à défaut, une décision de justice désigne, à la demande du mandataire judiciaire, un mandataire chargé d’assurer la représentation de la masse dans les opérations de redressement et de liquidation judiciaire et d’en déclarer la créance.» Par cette affirmation, l’office du juge se borne à garantir la représentation d’une collectivité de porteurs et la bonne fin des opérations de procédure collective. Il s’agit d’assurer l’égalité d’information, la centralisation des diligences et la continuité des déclarations, indépendamment des résistances ponctuelles du débiteur.
La cour rattache cette désignation à la matière gracieuse, faute de litige structurant l’instance et d’adversaires constitués. Le raisonnement insiste sur l’absence d’antagonisme juridictionnel lors de la désignation, qui vise une organisation procédurale plus qu’une résolution contentieuse. Ce choix préfigure déjà la solution relative aux voies de recours, la matière gracieuse obéissant à un régime distinct, dominé par l’appel de droit commun au profit des intéressés.
B. L’inapplicabilité du référé-rétractation aux décisions gracieuses de désignation
La cour distingue nettement l’ordonnance sur requête, non contradictoire mais liée à un litige et à des impératifs d’efficacité, de la décision gracieuse de désignation. Elle précise d’abord la nature de l’ordonnance sur requête: «En effet, si au regard des articles 493 et suivants du code de procédure civile l’ordonnance sur requête est également une ordonnance rendue non contradictoirement, elle suppose cependant l’existence d’un litige entre les parties et se justifie par la nécessité qu’a le requérant de ne pas appeler son adversaire, notamment pour agir dans l’urgence ou ménager un effet de surprise en vue de l’obtention de mesures d’instruction.» Puis elle caractérise la désignation litigieuse en ces termes: «Au cas d’espèce, la désignation effectuée par le président du tribunal de commerce ne revêt aucun caractère litigieux en l’absence de partie adverse et n’est pas rendue dans des circonstances où le requérant est tenu de justifier des motifs fondant une dérogation au principe du contradictoire ou fondant une situation d’urgence.»
La conséquence s’impose alors, sans détour: «Dès lors, la voie spécifique du recours en rétractation ouverte à l’encontre des ordonnances sur requête, et qui a pour effet de restaurer un débat contradictoire entre les parties en litige, n’est pas applicable au recours ouvert à l’encontre de la désignation d’un mandataire chargé de représenter la masse des porteurs d’obligations au visa des articles L.228-46, L.228-51, L.228-83 et L.228-85 du code de commerce.» La rétractation est écartée parce qu’elle postule un contradictoire à rétablir entre adversaires, alors que la procédure de désignation organise la représentation d’un groupe en l’absence d’opposition juridictionnelle constituée. La cour en déduit l’irrecevabilité du recours en rétractation formé, infirme l’ordonnance entreprise et statue à nouveau sur ce seul chef.
II. Valeur et portée de la solution: articulation de l’intérêt à agir et sécurisation des procédures collectives
A. L’ouverture de l’appel à toute personne intéressée et la neutralisation du débat accessoire
En retenant la matière gracieuse, la cour ménage une voie de contestation adaptée aux enjeux, sans recourir au référé-rétractation. Elle formule clairement le principe directeur: «Si le représentant de la société en procédure collective peut faire valoir le grief causé, le cas échéant, à la société du fait de l’engagement de frais supplémentaires résultant de la désignation d’un mandataire chargé de représenter la masse des porteurs d’obligations ou du fait de l’absence de réunion des conditions nécessaires à sa désignation, en revanche, s’agissant d’une décision rendue à titre gracieux, il ne peut la contester que par la voie de l’appel, étant rappelé que l’appel est ouvert à toute personne justifiant d’un intérêt conformément à l’article 546 du code de procédure civile.» La solution reconnaît ainsi l’intérêt à agir du débiteur potentiel, notamment en cas de grief financier, tout en l’orientant vers le canal pertinent.
Ce faisant, la cour neutralise deux contentieux accessoires. Le premier concerne la recevabilité du référé-rétractation, qui disparaît par la seule qualification gracieuse. Le second touche à l’intérêt à agir de la débitrice, que la cour évoque mais n’épuise pas, la bonne voie étant l’appel, ouvert largement par l’article 546 du code de procédure civile. La démarche évite d’enfermer la critique dans une logique dilatoire, tout en préservant un contrôle effectif de la désignation par le juge d’appel.
B. Les incidences pratiques en procédures collectives: stabilité organisationnelle et contradictoire différé
La solution affirme une politique de stabilité des opérations collectives. En écartant le référé-rétractation, la cour limite les risques de paralysie de la représentation des obligataires et de la vérification du passif. La décision canalise les contestations vers l’appel, juridiction de pleine cognition, apte à trancher la régularité de la désignation sans désagréger l’organisation de la masse. La jonction opérée le rappelle avec sobriété: «En application des articles 367 et 368 du code de procédure civile il y a lieu d’ordonner la jonction des procédures enrôlées sous les n° 24/13023 et 24/15222 sous le n° 24/13023.» L’unité contentieuse renforce l’efficacité et évite des décisions divergentes sur une même mesure d’organisation.
Cette orientation n’ignore pas le coût pour la débitrice, qui peut estimer pesants les frais induits par la représentation de la masse. La cour n’élude pas cette donnée, qu’elle range au titre des griefs pouvant fonder l’appel. Elle retient toutefois qu’un contradictoire différé, porté devant la juridiction d’appel, suffit à concilier les intérêts en présence. La représentation permet la centralisation des droits collectifs, la régularité des déclarations et la prévention des carences, objectifs que des rétractations successives fragiliseraient. Le droit au juge n’est pas diminué, il est redistribué sur la voie pertinente et dans le temps utile, afin de préserver l’ordre de la procédure collective.
En définitive, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 3 juillet 2025, donne une leçon nette de qualification procédurale et de cohérence systémique. La désignation d’un représentant de la masse des obligataires est un acte gracieux d’organisation, seulement appelable. Le référé-rétractation n’a pas sa place ici. La voie de l’appel, ouverte à tout intéressé, garantit un contrôle juridictionnel plein, sans compromettre la stabilité des opérations collectives et la protection homogène des porteurs.