Cour d’appel administrative de Toulouse, le 30 septembre 2025, n°23TL02971

Par un arrêt en date du 30 septembre 2025, la cour administrative d’appel de Toulouse s’est prononcée sur les modalités de régularisation d’une délibération municipale autorisant la cession d’un chemin rural. En l’espèce, une commune avait engagé une procédure de régularisation pour la vente d’un chemin, suite à l’annulation juridictionnelle d’une première délibération de 1977 pour des motifs de procédure. Un particulier, à l’origine de la contestation initiale, a saisi le tribunal administratif de Toulouse pour faire annuler la nouvelle délibération de 2021, estimant que la procédure de régularisation était elle-même entachée d’irrégularités et que la cession s’était faite à un prix anormalement bas. Le tribunal administratif ayant rejeté sa demande, le requérant a interjeté appel. Il soutenait que les premiers juges avaient omis de répondre à l’un de ses moyens, que la procédure d’enquête publique n’avait pas été respectée, que les propriétaires riverains n’avaient pas été mis en demeure d’acquérir le chemin, et enfin, que le prix de cession constituait une libéralité. La question soulevée devant la cour était donc de déterminer si des irrégularités procédurales affectant une procédure de régularisation sont de nature à entraîner son annulation et dans quelles conditions le prix d’une cession ancienne peut être contesté dans ce cadre. La cour rejette la requête, considérant que les vices de procédure invoqués n’ont, dans les circonstances de l’espèce, ni privé les intéressés d’une garantie ni exercé une influence sur le sens de la décision. Elle juge en outre que le requérant n’apporte pas la preuve du caractère insuffisant du prix de cession à la date de l’acte initial.

La décision de la cour administrative d’appel illustre une application pragmatique des règles de procédure dans le cadre d’une opération de régularisation (I), tout en posant des exigences probatoires strictes pour la contestation des éléments de fond de l’acte régularisé (II).

I. Une régularisation de la cession confortée par une application pragmatique des règles de procédure

La cour administrative d’appel a validé la délibération litigieuse en neutralisant les vices affectant tant l’enquête publique (A) que la mise en œuvre du droit de préemption des propriétaires riverains (B), privilégiant ainsi une approche matérielle des garanties procédurales.

A. La neutralisation des vices de la procédure d’enquête publique

Le code rural et de la pêche maritime impose des formalités de publicité précises pour l’enquête publique préalable à l’aliénation d’un chemin rural. Le requérant soutenait que l’absence d’affichage de l’avis d’enquête aux extrémités du chemin viciait la procédure. La cour constate effectivement le manquement à cette obligation formelle, rappelant que « l’arrêté d’ouverture de l’enquête publique est publié par voie d’affiches et, éventuellement, par tout autre procédé dans les communes concernées par l’aliénation. Cet arrêté est également affiché aux extrémités du chemin ou des chemins concernés et sur le tronçon faisant l’objet du projet d’aliénation ».

Toutefois, pour écarter ce moyen, le juge administratif fait application d’une jurisprudence constante relative à la portée des vices de procédure. Il considère que « la méconnaissance de ces dispositions n’est pas de nature à entacher d’illégalité cette procédure dès lors que, compte tenu de l’ensemble des circonstances de fait, elle n’a pas privé les propriétaires concernés de la possibilité de faire valoir leurs droits au cours de l’enquête publique et qu’elle n’a pas eu d’influence sur le sens de la décision ». En l’occurrence, la cour relève que d’autres mesures de publicité, telles que la parution dans deux journaux locaux et l’affichage en mairie, avaient été mises en œuvre. De plus, elle note que l’unique propriétaire riverain concerné avait été personnellement informé de la démarche. Dans ces conditions, l’objectif d’information du public et des personnes intéressées a été atteint, rendant l’omission de l’affichage sur les lieux sans incidence sur la légalité de la décision.

B. L’éviction de la garantie du droit de préemption des propriétaires riverains

Le second vice de procédure soulevé concernait le défaut de mise en demeure des propriétaires riverains d’acquérir le terrain, formalité substantielle prévue par l’article L. 161-10 du code rural et de la pêche maritime. Cette obligation a pour objet de permettre aux propriétaires jouxtant le chemin d’être informés du projet de vente et de présenter une offre d’achat, constituant pour eux une véritable garantie. La cour reconnaît en principe l’importance de cette formalité et admet qu’en l’espèce, le propriétaire riverain identifié, une société civile immobilière, n’a pas fait l’objet d’une telle mise en demeure de la part de la commune.

Cependant, le juge écarte le moyen par un raisonnement fondé sur les circonstances très particulières de l’affaire. Il constate que la société en question était non seulement la seule propriétaire riveraine, mais qu’elle avait déjà acquis le chemin de l’acquéreur initial, lui-même bénéficiaire de la vente de 1977. Dès lors, la cour estime que « l’absence de mise en demeure adressée par le maire d’acquérir le chemin rural cadastré n° C 464 ne l’a pas, dans les circonstances de l’espèce, privée de la garantie prévue à l’article L. 161-10 du code rural et de la pêche maritime ». En d’autres termes, la finalité de la garantie était sans objet, la société étant déjà propriétaire de fait du bien qu’elle aurait eu vocation à acquérir. Cette approche téléologique du droit de préemption témoigne d’une volonté de ne pas sanctionner une irrégularité formelle lorsque la situation de fait rend la garantie inapplicable ou inutile.

II. Une contestation de la substance de l’acte régularisé soumise à des exigences probatoires renforcées

Au-delà des aspects procéduraux, la cour s’est prononcée sur la contestation de la substance même de la cession. Elle a d’abord confirmé les limites de l’obligation de réponse du juge (A) avant d’imposer une charge de la preuve rigoureuse au requérant contestant le prix de la vente (B).

A. La confirmation du périmètre de l’obligation de réponse du juge

Le requérant invoquait en premier lieu l’irrégularité du jugement de première instance, au motif que les juges auraient omis de se prononcer sur le moyen tiré de la minoration du prix de cession. La cour administrative d’appel rejette cette critique en opérant une distinction classique entre le moyen et les arguments qui le soutiennent. Elle estime en effet que « les premiers juges qui n’étaient pas tenus de répondre à tous les arguments développés par M. Baron au soutien de son moyen tiré de l’absence de prix de cession, ont suffisamment répondu à ce moyen ».

En statuant de la sorte, la cour rappelle qu’un juge n’est pas tenu de répondre à chaque argumentaire développé par une partie, dès lors qu’il répond au moyen dans son ensemble. Le tribunal administratif ayant bien examiné la question du prix, même en se fondant sur des dispositions jugées non applicables par la cour, il n’a pas entaché sa décision d’une omission à statuer. Cette solution, bien que classique, réaffirme une règle essentielle de la procédure contentieuse qui vise à ne pas paralyser l’office du juge par des exigences de motivation excessives, tout en garantissant le droit des parties à ce que leurs moyens soient examinés.

B. La charge de la preuve de l’insuffisance du prix de la cession initiale

Le requérant soutenait enfin que la cession du chemin rural avait été consentie à un prix très inférieur à sa valeur, constituant une libéralité interdite pour une personne publique. La cour rappelle d’abord le principe selon lequel « la cession d’un bien immobilier appartenant au domaine privé d’une personne publique ne peut, en principe, être consentie qu’à un prix correspondant à la valeur réelle de ce bien ». Une cession à un prix significativement inférieur doit être justifiée par des motifs d’intérêt général et assortie de contreparties suffisantes.

Néanmoins, l’originalité de la décision réside dans l’application de ce principe au cas d’une régularisation. La cour souligne que la délibération de 2021 ne fait que régulariser une procédure engagée en 1977 et que les actes de vente initiaux n’ont jamais été annulés. Par conséquent, l’appréciation du prix doit se faire non pas à la date de la délibération de régularisation, mais à la date de l’acte initial. Or, le juge constate que « M. Baron qui soutient que la cession du chemin rural (…) aurait été consentie à un prix significativement inférieur à la valeur de ce bien (…) n’établit cependant pas que le prix de 0,50 franc le mètre carré retenu par la délibération du 14 janvier 1977 (…) ne correspondait pas à sa valeur réelle à la date de la conclusion de l’acte de vente ». En faisant peser la charge de la preuve de l’insuffisance du prix initial sur le requérant, et ce plusieurs décennies après les faits, la cour rend la contestation particulièrement difficile. Cette solution favorise la sécurité juridique et la stabilité des situations nées d’actes anciens faisant l’objet d’une régularisation.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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