Par une décision en date du 6 juin 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’une délibération par laquelle un conseil municipal a approuvé son plan local d’urbanisme. Ce document d’urbanisme rendait possible la construction d’un port de plaisance en classant un secteur du littoral en deux zones distinctes : une zone maritime sur l’estran et une zone terrestre adjacente. Des associations de protection de l’environnement et des particuliers ont saisi la justice administrative pour contester cette délibération.
En première instance, le tribunal administratif de Nantes, par un jugement du 8 novembre 2022, a partiellement fait droit à leur demande. Il a annulé le plan local d’urbanisme uniquement en ce qu’il classait l’estran en zone destinée à accueillir les aménagements portuaires. Cependant, les juges ont validé le classement de la partie terrestre adjacente en zone à urbaniser. La commune a interjeté appel de l’annulation partielle qui la concernait. Les requérants initiaux ont formé un appel incident, contestant le maintien du classement de la zone terrestre.
La question de droit soumise à la cour était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si un estran présentant des richesses écologiques et géologiques devait être considéré comme un espace remarquable au sens des dispositions du code de l’urbanisme, faisant ainsi obstacle à son aménagement. D’autre part, la cour devait examiner si une zone terrestre adjacente, en continuité avec cet estran et présentant elle-même un caractère naturel, devait également bénéficier d’une protection au titre des espaces remarquables ou en tant que coupure d’urbanisation, interdisant son classement en zone constructible.
La cour administrative d’appel répond par l’affirmative à ces deux interrogations. Elle confirme l’analyse des premiers juges concernant l’estran, en jugeant que celui-ci « est au nombre des sites et espaces remarquables dont les articles L. 121-23 et R. 121-4 du code de l’urbanisme imposent la préservation ». En revanche, elle infirme le jugement sur le second point et considère que le secteur terrestre adjacent doit également être protégé. Elle juge que cet espace constitue lui aussi un site remarquable et, de surcroît, « doit être regardé comme présentant le caractère d’une coupure d’urbanisation ». En conséquence, elle annule la délibération dans son intégralité pour ce qui concerne le secteur du projet.
La décision de la cour s’articule autour d’une application rigoureuse des mécanismes de protection du littoral, en confirmant d’abord la sanctuarisation de l’espace maritime (I), puis en étendant cette logique de préservation au secteur terrestre qui lui est indissociable (II).
I. La confirmation de la sanctuarisation de l’estran au titre d’espace remarquable
La cour administrative d’appel valide la qualification d’espace remarquable retenue par les premiers juges pour l’estran. Cette qualification repose sur une analyse factuelle détaillée (A), qui emporte des conséquences juridiques strictes quant à la destination de la zone (B).
A. Une qualification d’espace remarquable fondée sur un faisceau d’indices concordants
Pour conclure au caractère remarquable de l’estran, la cour ne se fonde pas sur un seul critère mais sur un ensemble d’éléments convergents. Elle relève que le secteur présente à la fois « un caractère géologique remarquable et un intérêt écologique fort ». L’analyse va au-delà des classements administratifs existants, bien que ceux-ci soient pris en compte. La cour note ainsi la proximité de plusieurs sites Natura 2000 et d’une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF).
De plus, l’estran est lui-même inclus dans un réservoir de biodiversité identifié par le schéma régional de cohérence écologique et inscrit à l’inventaire national du patrimoine géologique. La juridiction s’attache également à la valeur intrinsèque du site, notamment la présence d’habitats diversifiés et d’espèces « déterminantes », telles que les Hermelles. Même si ces dernières ne forment pas des récifs au sens strict de la directive européenne, la cour retient le potentiel du site pour leur développement, soulignant ainsi une approche préventive et dynamique de la protection écologique.
B. L’incompatibilité conséquente du projet portuaire avec les impératifs de préservation
La qualification d’espace remarquable n’est pas une simple déclaration de principe ; elle entraîne l’application d’un régime de protection stricte défini à l’article L. 121-23 du code de l’urbanisme. La cour en déduit logiquement que le classement de l’estran en zone Nmp, qui autorise « les aménagements et ouvrages liés et nécessaires aux activités maritimes (…) et portuaires », est incompatible avec cette exigence de préservation.
La décision souligne que les documents de planification de rang supérieur, comme le schéma de cohérence territoriale (SCOT), ne peuvent affaiblir cette protection. Bien que le SCOT ait mentionné le projet de port, il a pris soin de le faire « sous réserve de la faisabilité économique, juridique et environnementale ». La cour interprète cette mention non comme une autorisation, mais comme un simple rappel de la subordination du projet au respect des normes supérieures, dont la loi littoral. Le raisonnement confirme ainsi la primauté de la préservation des espaces remarquables sur les projets d’aménagement, même lorsque ces derniers sont envisagés par des documents de planification.
II. L’extension de la protection au secteur terrestre adjacent
Innovant par rapport à la décision de première instance, la cour étend le périmètre de la protection au-delà de la seule frange maritime. Elle applique la même logique de préservation à la zone terrestre du projet, d’abord en la qualifiant elle-même d’espace remarquable (A), puis en la reconnaissant comme une coupure d’urbanisation essentielle (B).
A. La reconnaissance du caractère remarquable du secteur terrestre par continuité et caractéristiques propres
La cour estime que la partie terrestre du secteur de la Normandelière ne peut être dissociée de l’estran. Elle constitue avec lui un ensemble paysager et écologique cohérent. La juridiction relève que cet espace « offre une vue dégagée sur la mer et sur l’estran rocheux (…) dans la continuité duquel il se trouve ». Cette notion de continuité est un élément central de l’application de la loi littoral, qui vise à préserver non pas des sites isolés mais des écosystèmes et des paysages cohérents.
Outre cette continuité, la cour s’appuie sur les qualités propres de la zone terrestre. Elle constate qu’elle est « vierge de toute construction », à l’exception de quelques aménagements légers qui ne remettent pas en cause son caractère naturel. La présence d’espèces végétales patrimoniales, dont certaines sont classées comme « vulnérable » ou « quasi menacée », vient corroborer cette analyse. En conséquence, la cour juge que ce secteur « doit être regardé (…) comme constituant un site remarquable », rendant son classement en zone à urbaniser 1AUp incompatible avec les dispositions du code de l’urbanisme.
B. Le renforcement de la protection par la qualification de coupure d’urbanisation
La cour ne s’arrête pas à la qualification d’espace remarquable et ajoute un second motif d’annulation, tout aussi dirimant. Elle juge que les auteurs du plan local d’urbanisme ont commis une « erreur manifeste d’appréciation » en ne regardant pas le secteur terrestre comme une « coupure d’urbanisation » au sens de l’article L. 121-22 du code de l’urbanisme.
Pour ce faire, elle analyse la localisation et la fonction du site à une échelle plus large. Elle constate que cet espace naturel s’insère entre des zones urbanisées et constitue « le seul à offrir une percée visuelle sur la mer » depuis une route départementale. Cette fonction de respiration dans le tissu urbanisé et de fenêtre paysagère justifie sa préservation en tant que coupure. En mobilisant ce second fondement juridique, la cour ancre sa décision sur une double assise et renforce la protection du site contre toute tentative future d’urbanisation, scellant ainsi l’illégalité du projet d’aménagement portuaire dans son ensemble.