Cour d’appel administrative de Nantes, le 20 juin 2025, n°23NT00604

Par une décision en date du 20 juin 2025, la cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité du classement de parcelles agricoles au sein d’un plan local d’urbanisme. En l’espèce, des propriétaires de terrains agricoles se sont vus opposer un refus implicite à leur demande d’abrogation d’une délibération ayant approuvé un plan local d’urbanisme. Ce document classait leurs parcelles dans un secteur dit « Ap », une classification qui, tout en reconnaissant leur caractère agricole, interdisait toute nouvelle construction à usage agricole afin de préserver des motifs paysagers et écologiques. Saisis par les propriétaires, le tribunal administratif de Nantes avait rejeté leur recours tendant à l’annulation de ce refus d’abroger. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment que le classement de leurs parcelles était incohérent avec les objectifs du projet d’aménagement et de développement durables, entaché d’une erreur manifeste d’appréciation et violait le principe d’égalité. Se posait alors la question de savoir si le classement restrictif de parcelles agricoles, fondé sur des considérations environnementales et paysagères, pouvait être considéré comme légal au regard des objectifs plus généraux de soutien à l’activité agricole et des droits des propriétaires. La cour administrative d’appel a rejeté la requête, confirmant le jugement de première instance. Elle juge que le classement litigieux n’est pas entaché d’illégalité, dans la mesure où il résulte d’un équilibre opéré par les auteurs du plan entre différents objectifs d’intérêt général, et que l’appréciation portée sur la valeur écologique et paysagère des parcelles ne révèle aucune erreur manifeste.

La décision de la cour illustre ainsi la méthode de contrôle juridictionnel appliquée aux documents d’urbanisme, laquelle concilie le respect du pouvoir d’appréciation de l’administration et la protection des droits des administrés (I). En outre, cet arrêt rappelle le cadre temporel spécifique dans lequel le juge de l’excès de pouvoir évalue la légalité d’un acte réglementaire contesté par la voie d’un refus d’abrogation (II).

I. La confirmation du contrôle classique de la légalité du plan local d’urbanisme

La cour administrative d’appel met en œuvre une double analyse pour vérifier la légalité du zonage contesté. Elle examine d’une part la cohérence interne du document d’urbanisme (A) et d’autre part, elle exerce un contrôle restreint sur le parti d’aménagement retenu par la collectivité (B).

A. Le contrôle de la cohérence entre le règlement et le projet d’aménagement et de développement durables

La cour rappelle d’abord la règle selon laquelle « Le règlement fixe, en cohérence avec le projet d’aménagement et de développement durables, les règles générales et les servitudes d’utilisation des sols ». Elle précise que cette cohérence s’apprécie dans le cadre d’une « analyse globale » à l’échelle du territoire concerné. Une simple inadéquation entre une disposition du règlement et une orientation du PADD ne suffit pas à caractériser une incohérence, car le projet peut contenir des objectifs divers, voire contradictoires. En l’espèce, les requérants arguaient que l’interdiction de construire de nouveaux bâtiments agricoles contrariait l’objectif du PADD de préserver « les conditions de maintien et de développement des exploitations agricoles ».

Toutefois, la cour relève que ce même PADD vise également à « préserver et valoriser les milieux naturels et agricoles, les continuités écologiques ». Le classement en zone Ap, qui protège des espaces pour leur valeur paysagère et écologique, participe directement de ce second objectif. En interdisant les constructions nouvelles dans ces secteurs spécifiques, qui représentent une part significative mais non exclusive de la zone agricole, le règlement ne fait que traduire la recherche d’un équilibre entre le développement agricole et la préservation environnementale. La cour conclut donc à l’absence d’incohérence, validant ainsi la capacité des auteurs d’un PLU à arbitrer entre des orientations potentiellement concurrentes définies au sein du PADD.

B. Le contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation du classement

La cour examine ensuite si le classement des parcelles en secteur Ap est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation. Elle rappelle qu’il appartient aux auteurs d’un plan de déterminer le « parti d’aménagement à retenir », et que leur appréciation ne peut être censurée par le juge que si elle est « fondée sur des faits matériellement inexacts ou entachée d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ». Ce contrôle restreint laisse une marge d’appréciation considérable à l’autorité administrative dans ses choix d’urbanisme.

En l’espèce, la cour justifie le classement litigieux en se fondant sur les caractéristiques objectives des parcelles. Elle constate qu’elles sont « vierges de toute construction », bordées de haies protégées, et s’insèrent « dans un vaste espace bocager à vocation agricole ». De plus, elles se trouvent à proximité d’un « réservoir potentiel de biodiversité ». Le classement répond donc aux objectifs de préservation des continuités écologiques et de lutte contre le mitage des espaces agricoles, objectifs clairement identifiés dans le parti d’urbanisme. La circonstance qu’une activité agricole ait débuté sur ces parcelles après l’approbation du plan est jugée inopérante. De même, le moyen tiré d’une rupture d’égalité est écarté, au motif qu’il est « de la nature de toute réglementation d’urbanisme de distinguer les zones où les possibilités de construire sont différentes ».

Au-delà de la validation des choix de l’administration en l’espèce, l’arrêt revêt une portée particulière en ce qu’il précise l’office du juge administratif lorsqu’il est saisi d’un contentieux portant sur un refus d’abroger un acte réglementaire.

II. La portée de l’office du juge du refus d’abroger un acte réglementaire

L’arrêt offre une application pédagogique des règles gouvernant le contentieux du refus d’abrogation, en rappelant d’une part le moment auquel la légalité de l’acte doit être appréciée (A), ce qui conditionne d’autre part les conséquences pratiques d’une telle action pour les administrés (B).

A. L’appréciation de la légalité à la date de la décision du juge

La cour prend soin de rappeler un principe fondamental du contentieux des actes réglementaires, tiré de l’article L. 243-2 du code des relations entre le public et l’administration. En raison de la permanence de ces actes, leur légalité peut être contestée à tout moment par le biais d’une demande d’abrogation. Lorsqu’il est saisi de conclusions aux fins d’annulation du refus d’abroger, le juge de l’excès de pouvoir « est conduit à apprécier la légalité de l’acte réglementaire dont l’abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision ».

Cette solution jurisprudentielle constante, qui assure l’expurgation de l’ordonnancement juridique des règlements devenus illégaux, a une conséquence majeure. Le juge ne se place pas à la date du refus contesté, mais bien au jour où il statue. Ainsi, un acte qui était légal lors de son édiction peut devenir illégal en raison d’un changement de circonstances de droit ou de fait. Inversement, une illégalité initiale peut être couverte par une évolution normative postérieure. Ce principe dynamique garantit que l’ordre juridique reste conforme au droit en vigueur, en imposant à l’administration une obligation de mise à jour de ses propres règlements.

B. Les conséquences pratiques pour l’administré

L’application de ce principe n’est pas sans conséquence pour le justiciable. Si, à la date où le juge statue, l’acte est devenu illégal, le juge annulera le refus de l’abroger et pourra enjoindre à l’administration de procéder à cette abrogation. Cela offre une voie de droit perpétuelle contre les règlements illégaux. Cependant, si l’illégalité a cessé ou si l’acte est demeuré légal, comme en l’espèce, le recours sera rejeté, même si l’acte aurait pu être considéré comme illégal à un moment antérieur.

Dans le cas présent, cette règle n’a pas profité aux requérants, car la cour a estimé qu’aucune circonstance de droit ou de fait nouvelle n’était venue rendre le classement de leurs parcelles illégal entre le moment de son édiction et la date de son arrêt. La solution confirme que le début d’une nouvelle activité agricole sur les parcelles, postérieur à l’approbation du plan, ne constitue pas une circonstance de fait de nature à vicier le classement initialement retenu. La décision illustre ainsi que si le contentieux du refus d’abrogation est une arme puissante, son succès dépend entièrement de l’état du droit et des faits au jour où le juge se prononce.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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