Cour d’appel administrative de Nantes, le 10 juin 2025, n°23NT02076

Par un arrêt en date du 10 juin 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a confirmé l’annulation d’un permis de construire accordé par une commune littorale. Cette décision portait sur l’édification d’une résidence pour personnes âgées de quatre-vingt-cinq logements au sein d’un site présentant un intérêt paysager et patrimonial certain. Le projet, autorisé par un arrêté municipal du 17 septembre 2021, s’était vu contester par plusieurs riverains ainsi que par une association de protection de l’environnement.

En première instance, le tribunal administratif de Rennes, par un jugement du 15 mai 2023, avait fait droit à leur demande en annulant le permis de construire. Les premiers juges avaient estimé que le projet méconnaissait l’article UE 11 du plan local d’urbanisme, relatif à l’insertion des constructions dans leur environnement. La société pétitionnaire ainsi que la commune ont alors interjeté appel de ce jugement, contestant d’une part l’intérêt à agir des requérants, et soutenant d’autre part la conformité du projet aux règles d’urbanisme applicables. À titre subsidiaire, la commune sollicitait du juge d’appel qu’il sursoie à statuer afin de permettre une éventuelle régularisation de l’autorisation.

Le juge d’appel était donc saisi de plusieurs questions. Il lui fallait d’abord déterminer si les requérants, qu’il s’agisse de voisins plus ou moins proches ou d’une association locale, justifiaient d’un intérêt suffisant leur donnant qualité pour agir contre le permis de construire. Ensuite, il devait se prononcer sur la légalité de l’autorisation au regard des règles d’urbanisme visant à préserver le caractère des lieux avoisinants, en appréciant l’impact d’une construction de grande ampleur sur un site protégé. Enfin, en cas de vice avéré, il lui appartenait de déterminer si celui-ci pouvait faire l’objet des mesures de régularisation prévues par le code de l’urbanisme.

La cour administrative d’appel rejette les requêtes. Elle confirme d’abord l’intérêt à agir de l’ensemble des demandeurs en raison de l’atteinte directe que le projet portait à leurs conditions de jouissance ou à l’objet statutaire de l’association. Elle juge ensuite que le projet, par ses « dimensions imposantes » et « l’effet de masse » qu’il génère, porte une atteinte significative au caractère et à l’intérêt des lieux, en violation du plan local d’urbanisme. Enfin, elle écarte toute possibilité de régularisation, considérant que le vice constaté n’est pas régularisable car il impliquerait de modifier si profondément le projet qu’il en changerait la nature même.

Cette décision illustre la rigueur avec laquelle le juge administratif contrôle l’insertion des projets de construction dans les sites sensibles (I), ce qui le conduit à écarter logiquement toute tentative de sauvetage d’un projet dont la conception même est viciée (II).

I. Le contrôle renforcé de l’intégration d’un projet en site remarquable

La cour confirme la décision d’annulation en s’appuyant d’abord sur une lecture extensive des conditions de recevabilité des recours (A), avant de procéder à une analyse minutieuse de la mauvaise insertion du projet dans son environnement (B).

A. L’admission large de l’intérêt à agir des requérants

La cour administrative d’appel examine avec pragmatisme la recevabilité des demandes, en application des dispositions de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme. Elle rappelle qu’il appartient à tout requérant de faire état d’éléments précis de nature à établir que le projet contesté est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien. Pour les requérants personnes physiques, le juge distingue la situation des voisins immédiats de celle des voisins plus éloignés. Il considère que les premiers, en raison de leur proximité directe, justifient en principe d’un intérêt à agir. Quant aux seconds, bien que situés à une centaine de mètres et séparés du projet par un bras de mer, la cour reconnaît leur intérêt à agir au motif qu’ils « auront une vue directe sur le bâtiment projeté » et que cette construction aura « une incidence sur les vues dont ils disposent » sur un centre-bourg présentant des qualités patrimoniales.

S’agissant de l’association, le juge vérifie la corrélation entre son objet statutaire et les caractéristiques du projet contesté. L’objet de l’association étant la « protection de la nature et en particulier de la zone remarquable naturelle dite « du Goulet » », la cour estime qu’elle justifie d’un intérêt à agir dès lors que le projet « d’une surface de plancher de 6 190 m², [est] implantée à moins de six mètres du rivage du Goulet ». Cette approche confirme une jurisprudence constante qui facilite l’accès au prétoire pour les justiciables directement concernés par les impacts visuels et environnementaux d’un projet d’urbanisme, garantissant ainsi un contrôle effectif des autorisations de construire.

B. La censure d’un projet disproportionné à son environnement

Pour apprécier la légalité du projet au regard de l’article UE 11 du règlement du plan local d’urbanisme, la cour procède à un raisonnement en deux temps. Elle évalue d’abord la qualité du site d’implantation, puis l’impact de la construction sur celui-ci. Le juge prend soin de relever la sensibilité particulière des lieux, en soulignant que le terrain est inclus dans le périmètre de protection d’un monument historique et dans une aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine. Il décrit un « paysage urbain d’un intérêt certain » et un « intérêt remarquable, de par la qualité du patrimoine, des paysages et des sites naturels environnants ». Cette caractérisation méticuleuse du site constitue le préalable indispensable à l’évaluation de l’atteinte que le projet pourrait lui porter.

Dans un second temps, le juge se livre à une analyse concrète de l’impact du projet. Il retient ses « dimensions imposantes », sa longueur de façade de plus de quatre-vingt-dix mètres et sa hauteur surplombant l’estran d’une quinzaine de mètres. Ces éléments objectifs le conduisent à conclure que la construction entraîne « un effet de masse le long de l’estran du Goulet contrastant de manière importante avec la configuration des lieux ». L’atteinte est jugée significative, nonobstant l’avis favorable de l’architecte des Bâtiments de France, ce qui démontre la pleine souveraineté d’appréciation du juge administratif. En censurant le permis, la cour rappelle que l’intégration paysagère ne se résume pas au seul respect des volumes ou des matériaux, mais exige une harmonie globale que ce projet ne pouvait offrir.

II. L’annulation inévitable face à un vice intrinsèque au projet

La reconnaissance d’un vice aussi fondamental pour le projet rendait son annulation inéluctable. La cour écarte en effet toute possibilité de pondération avec d’autres intérêts (A), ce qui la conduit à refuser l’application des mécanismes de régularisation (B).

A. Le rejet d’une mise en balance des intérêts

L’arrêt apporte une précision méthodologique importante en affirmant qu’il « est exclu de procéder, dans le second temps du raisonnement, pour apprécier la légalité du permis de construire délivré, à une balance d’intérêts divers en présence, autres que ceux visés par l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme et le plan local d’urbanisme de la commune ». Par cette formule, le juge refuse de prendre en compte d’éventuels intérêts économiques ou sociaux qui pourraient être attachés à la réalisation du projet, comme la création de logements pour personnes âgées. Le contrôle de légalité se limite strictement à l’examen de la conformité du projet aux seules règles d’urbanisme relatives à la protection des paysages et du caractère des lieux.

Cette position réaffirme que les objectifs de protection environnementale et patrimoniale inscrits dans les documents d’urbanisme ne sont pas de simples vœux, mais des normes juridiques impératives. Le juge administratif se refuse à devenir un arbitre des opportunités, rôle qui ne lui appartient pas, pour se cantonner à sa mission de gardien de la légalité. Une construction, même poursuivant un but d’intérêt général, ne saurait s’affranchir du respect des servitudes destinées à préserver la qualité du cadre de vie, surtout dans un site dont la valeur a été reconnue.

B. L’impossible régularisation d’un vice inhérent à la conception du projet

Confrontée à la demande subsidiaire de la commune d’appliquer les articles L. 600-5 ou L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, la cour rejette fermement cette possibilité. Ces articles permettent au juge, respectivement, de prononcer une annulation partielle ou de surseoir à statuer pour qu’un vice puisse être régularisé par un permis modificatif. Toutefois, la jurisprudence a posé des limites claires à leur application, notamment lorsqu’un vice est substantiel. En l’espèce, le juge considère que la méconnaissance de l’article UE 11 du plan local d’urbanisme n’est pas « relatif à une partie identifiable du projet » mais touche à sa conception d’ensemble.

La cour estime que la régularisation du vice tenant à la situation, à la dimension et aux caractéristiques du projet « implique de revoir l’économie générale du projet et d’y apporter un bouleversement tel qu’il en changerait la nature même ». Une telle modification ne relève pas d’une simple mesure de régularisation mais équivaut à la conception d’un nouveau projet. Cet arrêt illustre donc la portée de la notion de vice non régularisable. Il confirme que les outils de sauvetage des autorisations d’urbanisme ne peuvent être mis en œuvre lorsque l’illégalité est intrinsèquement liée aux choix architecturaux et volumétriques fondamentaux qui définissent le projet. La sanction ne pouvait donc être que l’annulation totale de l’autorisation.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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