Par un arrêt en date du 12 juin 2025, la cour administrative d’appel de Nancy a statué sur la légalité de la prise en charge par un constructeur du financement de travaux de voirie imposée par une collectivité. En l’espèce, une société a obtenu un permis de construire pour trois bâtiments commerciaux. Postérieurement, elle a signé une convention avec la métropole compétente, mettant à sa charge la réalisation d’importants travaux d’aménagement d’une voie d’accès, pour un coût total de plus de trois cent quarante mille euros. Plusieurs années après l’achèvement des travaux, la société a sollicité le remboursement de cette somme, ce que la métropole a implicitement refusé.
Saisi d’un recours, le tribunal administratif de Nancy a condamné la métropole à ne rembourser qu’une faible partie de la somme, correspondant à des modifications de feux de signalisation, mais a rejeté le surplus des conclusions. La société a alors interjeté appel de ce jugement, demandant la condamnation de la métropole au paiement de l’intégralité des coûts supportés, au motif que les aménagements réalisés constituaient des équipements publics excédant les seuls besoins de son projet. La métropole, par la voie d’un appel incident, a contesté toute obligation de remboursement, soutenant que les travaux, nécessaires à l’opération de construction, relevaient bien d’équipements propres au projet et que la voie contractuelle était valide. Il revenait donc à la cour de déterminer si des travaux d’aménagement de voirie, bien que liés à une opération de construction, peuvent être qualifiés d’équipements propres lorsque leur objet et leur portée dépassent manifestement les besoins du seul projet autorisé. À cette question, la cour administrative d’appel a répondu par la négative, estimant que de tels travaux constituent des équipements publics dont le coût ne peut être mis à la charge du constructeur, ouvrant ainsi droit à une restitution intégrale des sommes versées.
La cour fonde sa solution sur une application rigoureuse de la notion d’équipement propre (I), consacrant ainsi une protection étendue du constructeur contre les contributions illégales (II).
I. L’application rigoureuse de la notion d’équipement propre
Pour écarter la qualification d’équipement propre, la cour administrative d’appel a recours à un faisceau d’indices qui démontre que les aménagements financés par la société ne servaient pas exclusivement son projet. Elle rejette ainsi une appréciation fondée sur la seule nécessité fonctionnelle des travaux pour le projet (A) et prend en compte l’existence de besoins collectifs excédant ceux du constructeur (B).
A. Le dépassement du critère de la seule desserte du projet
Les juges du fond constatent que les travaux litigieux ne conditionnaient pas la viabilité du projet de construction. La cour relève en effet que la nouvelle voie créée « n’était pas requise pour la desserte du projet de construction de la SARL Immobilière d’Abron, qui bénéficiait d’un accès existant ». Cette précision est déterminante, car elle établit l’absence de nécessité directe et impérieuse des aménagements pour le seul bénéficiaire du permis. Un équipement propre, au sens de l’article L. 332-15 du code de l’urbanisme, est celui qui est indispensable pour viabiliser le terrain ou la construction, notamment en matière de voirie et de réseaux.
Or, en l’espèce, la cour souligne que le projet disposait déjà d’un accès viable avant même la réalisation des nouveaux aménagements. En conséquence, la création d’une voie supplémentaire ne pouvait être considérée comme une simple condition de réalisation de l’opération. Cette analyse factuelle rigoureuse permet à la juridiction de s’éloigner d’une interprétation extensive de la notion d’équipement propre, qu’une collectivité pourrait être tentée d’invoquer pour financer des infrastructures d’intérêt plus général. La cour écarte ainsi l’argument selon lequel les travaux auraient été rendus nécessaires par le projet, pour se concentrer sur leur finalité réelle.
B. La prise en compte de la satisfaction de besoins collectifs
La cour poursuit son raisonnement en démontrant que les aménagements répondaient en réalité à des objectifs d’urbanisme plus larges. Elle note que la nouvelle voie, doublée d’une voie verte, a vocation à permettre « un réaménagement global de la circulation » et à « faciliter les déplacements non motorisés, soit des besoins qui excèdent ceux de la desserte de l’entrepôt et des deux restaurants projetés par la société ». Le caractère d’équipement public est ici renforcé par le fait que ces aménagements bénéficient à d’autres usagers, notamment des établissements commerciaux préexistants et les habitants du secteur.
De surcroît, la cour prend soin de relever qu’une partie du projet, la voie verte, correspondait à une intention d’aménagement déjà formalisée par la collectivité dans ses documents d’urbanisme. Cet élément achève de convaincre que les travaux ne sauraient être imputés au seul constructeur, car la collectivité elle-même avait prévu de les réaliser pour répondre à un besoin d’intérêt général. La décision est claire : dès lors que les équipements « excèdent, par leurs caractéristiques et leurs dimensions, les seuls besoins constatés et simultanés » du projet, leur coût ne peut être supporté par le titulaire de l’autorisation de construire, même partiellement.
II. La consécration d’une protection effective du constructeur
En qualifiant les travaux d’équipement public, la cour tire toutes les conséquences de l’illégalité du financement imposé à la société. Elle réaffirme ainsi l’inefficacité des montages contractuels visant à contourner la loi (A) et garantit le droit à une restitution intégrale des sommes indûment versées (B).
A. L’inefficacité des arrangements contractuels contraires aux règles d’urbanisme
La décision rappelle avec force le caractère d’ordre public des dispositions de l’article L. 332-6 du code de l’urbanisme, qui énumère limitativement les contributions pouvant être exigées des constructeurs. La cour en déduit que « toute stipulation contractuelle qui y déroge est entachée de nullité ». La signature d’une convention entre la société et la métropole est donc sans effet sur la qualification des travaux et sur l’illégalité de la participation financière exigée. Ce faisant, la cour censure la pratique consistant à utiliser la voie contractuelle pour imposer des charges que les dispositions législatives et réglementaires interdisent.
Cette solution protège le pétitionnaire, souvent en position de faiblesse face à l’autorité publique dont il sollicite une autorisation d’urbanisme. Elle réaffirme que le consentement apparent du constructeur, matérialisé par la signature d’une convention, ne peut purger l’illégalité d’une contribution non prévue par la loi. La nullité de la convention prive ainsi la métropole de tout fondement juridique pour conserver les sommes versées par la société, ouvrant la voie à une action en répétition de l’indu.
B. La réaffirmation du droit à une restitution intégrale
Conformément à l’article L. 332-30 du code de l’urbanisme, les contributions obtenues en violation des règles relatives aux participations d’urbanisme sont réputées sans cause et sujettes à répétition. La cour applique cette disposition dans toute sa rigueur en condamnant la métropole à rembourser la totalité des sommes exposées par la société, soit 342 252,91 euros, et non seulement une partie. Elle réforme ainsi le jugement de première instance qui avait opéré une distinction entre les différents travaux, n’accordant qu’un remboursement partiel.
L’arrêt précise que lorsque des équipements ne peuvent être qualifiés de propres, « leur coût ne peut être, même pour partie, supporté par le titulaire de l’autorisation ». Cette position empêche toute tentative de ventilation des coûts entre le constructeur et la collectivité. En garantissant un remboursement intégral, assorti des intérêts au taux légal majoré, la cour confère une pleine effectivité à l’action en répétition et adresse un signal clair aux collectivités sur les risques financiers liés à l’imposition de contributions illégales. La solution renforce la sécurité juridique pour les opérateurs économiques en délimitant strictement leur participation au financement des infrastructures publiques.