Par un arrêt en date du 3 juin 2025, la cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée sur l’engagement de la responsabilité d’une collectivité publique en raison de sa carence supposée dans l’exercice de ses pouvoirs de police spéciale relatifs au stationnement des gens du voyage. Un propriétaire foncier avait loué un terrain à un établissement public de coopération intercommunale afin d’y permettre l’accueil provisoire de gens du voyage. À l’expiration du bail en 2017, l’occupation du site s’est poursuivie illégalement et celui-ci a été transformé en une décharge sauvage de grande ampleur. Estimant subir un préjudice important du fait de la dégradation de son bien, la société propriétaire a recherché la condamnation de l’administration à l’indemniser. Sa demande indemnitaire préalable auprès de la métropole ayant été implicitement rejetée, elle a saisi le tribunal administratif de Marseille, qui a écarté ses prétentions. La société a alors interjeté appel de ce jugement, dirigeant ses conclusions à titre principal contre la commune et, à titre subsidiaire, contre la métropole. Il revenait ainsi à la juridiction d’appel de déterminer si l’abstention de l’autorité de police compétente à faire cesser une occupation illégale et les nuisances en résultant était constitutive d’une faute de nature à engager sa responsabilité. La cour administrative d’appel a rejeté la requête, jugeant qu’aucune faute ne pouvait être imputée à l’administration. Pour ce faire, elle a d’abord identifié avec précision le maire comme seul détenteur du pouvoir de police spéciale, celui-ci s’étant opposé à son transfert au président de la métropole. Ensuite, elle a considéré que les conditions de mise en œuvre de ce pouvoir, subordonnées à une atteinte à l’ordre public, n’étaient pas réunies, le requérant échouant à le démontrer. Surtout, la cour a relevé que le préjudice majeur, à savoir l’accumulation de déchets, n’était pas directement imputable aux occupants mais à des tiers.
La solution retenue par la cour conduit à examiner les conditions précises d’exercice du pouvoir de police spéciale avant de s’attarder sur les exigences probatoires en matière de responsabilité administrative. Il apparaît ainsi que la décision clarifie de manière rigoureuse la répartition des compétences et les conditions d’exercice du pouvoir de police spéciale (I), tout en réaffirmant l’exigence d’un lien de causalité direct et certain pour engager la responsabilité de l’administration (II).
I. Une clarification rigoureuse de la compétence et des conditions d’exercice du pouvoir de police spéciale
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une analyse en deux temps. Elle s’attache d’abord à identifier sans ambiguïté l’autorité de police compétente en matière de stationnement des gens du voyage (A), avant de procéder à une appréciation restrictive des conditions de mise en œuvre des mesures coercitives (B).
A. La détermination sans équivoque de l’autorité de police compétente
L’arrêt procède à une application littérale et précise des dispositions du code général des collectivités territoriales régissant la répartition des pouvoirs de police entre le maire et le président d’un établissement public de coopération intercommunale. En l’espèce, la métropole était en principe compétente en matière de réalisation d’aires d’accueil, ce qui devait entraîner le transfert des pouvoirs de police spéciale du maire à son président. Toutefois, la cour relève que la maire de la commune concernée s’était formellement « opposée, en application de l’article L. 5211-9-2 du code général des collectivités territoriales, au transfert à la métropole (…) de ses pouvoirs de police spéciale ».
Cette opposition, suivie de la renonciation du président de la métropole à ce transfert pour l’ensemble des communes membres, a eu pour effet de maintenir la compétence exclusive du maire. La solution est une illustration de la complexité des mécanismes de transfert de compétences au sein des structures intercommunales, où la volonté des maires conserve un poids déterminant. En jugeant que « la maire d’Aix-en-Provence était seule compétente pour faire usage des pouvoirs qu’elle tient des dispositions du I de l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000 », la cour écarte définitivement toute responsabilité de la métropole et recentre le litige sur la seule action de la commune. Cette démarche, d’une grande rigueur juridique, rappelle que la recherche de responsabilité administrative impose au préalable une identification infaillible de l’autorité détentrice du pouvoir d’agir.
B. L’appréciation restrictive des conditions de mise en œuvre des mesures de police
Après avoir confirmé la compétence du maire, la cour examine si son inaction était fautive. Elle rappelle que le maire ne peut faire usage de son pouvoir d’interdire le stationnement et de demander au préfet la mise en demeure des occupants que si « le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques ». Or, la juridiction constate que la société requérante se contente d’allégations générales sans fournir d’éléments probants sur de tels troubles. Le juge administratif exerce ici un contrôle concret de la nécessité de la mesure de police, refusant de présumer l’existence d’une atteinte à l’ordre public du seul fait d’une occupation illégale et de la présence de déchets.
De plus, l’arrêt souligne les limites intrinsèques des pouvoirs du maire, qui « ne tire pas de ces dispositions le pouvoir de faire procéder lui-même à l’évacuation des occupants ». Sa prérogative se limite à une demande d’intervention adressée au représentant de l’État. En jugeant que l’inaction du maire n’était pas fautive au regard des circonstances, la cour adopte une interprétation stricte des conditions d’engagement de la police spéciale. Elle confirme ainsi une jurisprudence constante qui refuse de sanctionner l’administration lorsque le requérant ne démontre pas que les conditions légales d’intervention étaient manifestement réunies.
II. L’exigence réaffirmée d’un lien de causalité direct et certain en matière de responsabilité administrative
Au-delà de l’absence de faute, la cour administrative d’appel renforce sa décision en s’appuyant sur l’absence de lien de causalité suffisamment établi entre l’inaction de l’administration et le préjudice subi. Cette analyse se manifeste par une dissociation nette entre l’occupation du terrain et l’origine du dommage (A), laquelle souligne implicitement le rôle de l’inertie relative du propriétaire dans l’aggravation de sa propre situation (B).
A. La dissociation opérée entre l’occupation du terrain et l’origine du préjudice
L’élément central du raisonnement de la cour réside dans son refus de considérer que les dégradations étaient la conséquence directe de la présence des gens du voyage. L’arrêt prend soin de préciser que le dépôt de déchets en très grandes quantités « émane, au moins principalement, et comme le précisent la société requérante dans ses écritures (…), d’entreprises qui utilisent irrégulièrement le lieu comme une déchetterie ». Cette constatation factuelle est déterminante, car elle brise le lien de causalité que le propriétaire tentait d’établir entre l’occupation illicite et son préjudice.
Le juge refuse de tenir pour acquises les allégations selon lesquelles les occupants auraient participé à cette activité illégale, les qualifiant de non étayées par « aucun élément tangible ». En procédant à cette dissociation, la cour réaffirme avec force un principe fondamental de la responsabilité administrative : le demandeur doit prouver que le préjudice dont il demande réparation est la conséquence directe et certaine de la faute alléguée. L’inaction de la police, à la supposer même fautive, ne pouvait être la cause d’un dommage provoqué par des tiers non identifiés, étrangers à la population dont le stationnement était visé par la police spéciale. La décision illustre la rigueur du contrôle opéré par le juge sur le lien de causalité, qui constitue souvent un obstacle majeur pour les requérants.
B. La portée limitée de l’obligation d’agir face à l’inertie relative du propriétaire
Enfin, la cour ne manque pas de souligner plusieurs éléments témoignant d’un manque de diligence de la part du propriétaire lui-même. Elle relève que la société requérante n’a sollicité la mise en œuvre des pouvoirs de police que tardivement, par un courrier d’août 2018, soit plus d’un an après l’expiration du bail et alors « qu’une procédure d’expulsion était en cours devant le juge judiciaire depuis le mois de janvier 2018 ». Cet argument, bien que présenté de manière incidente, n’est pas neutre. Il suggère que le propriétaire, qui avait par ailleurs déjà saisi le juge compétent pour obtenir l’expulsion, ne peut reprocher à l’autorité administrative une carence alors qu’il a lui-même tardé à la solliciter et a privilégié une autre voie d’action.
Cette prise en compte du comportement du demandeur, sans aller jusqu’à un partage de responsabilité, nuance la portée de l’obligation d’agir qui pèse sur l’administration. L’arrêt semble indiquer qu’une collectivité publique ne saurait être tenue pour responsable de l’ensemble des conséquences d’une situation dommageable que le propriétaire a laissé perdurer avant de se tourner vers elle. En définitive, cette décision rappelle que l’engagement de la responsabilité de la puissance publique, loin d’être automatique, demeure subordonné à la preuve d’une faute caractérisée et d’un lien de causalité direct, le comportement de la victime étant un élément d’appréciation non négligeable.