Par un arrêt en date du 24 mars 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille se prononce sur la légalité d’une procédure de passation d’un contrat de sous-concession de plage et sur la validité de ce dernier. En l’espèce, une métropole a lancé une consultation en vue d’attribuer quatorze lots de plage. Une société, candidate à sa propre succession pour l’un de ces lots, a vu son offre rejetée au profit d’une société nouvellement créée.
Saisi d’un recours en contestation de la validité de ce contrat, le tribunal administratif de Nice l’a rejeté par un jugement du 20 février 2024. Le candidat évincé a alors interjeté appel de ce jugement, soulevant plusieurs irrégularités qui, selon lui, entacheraient la procédure de passation et justifieraient l’annulation du contrat ainsi que l’indemnisation de son préjudice. La société requérante critiquait notamment la demande par l’autorité concédante d’une offre finale, la divulgation d’informations à la presse, ainsi que l’appréciation des capacités et de l’offre de la société attributaire.
Il appartenait ainsi à la juridiction d’appel de déterminer si les diverses irrégularités soulevées par le concurrent évincé, en particulier celles relatives à l’appréciation des capacités d’une entreprise nouvelle et à l’évaluation des offres, étaient de nature à vicier la validité du contrat. Par sa décision, la cour administrative d’appel rejette l’ensemble des moyens et confirme la validité du contrat de concession. Elle estime qu’aucune irrégularité n’est établie, que ce soit dans la conduite de la procédure ou dans l’évaluation des candidatures et des offres.
Cet arrêt offre une illustration de l’office du juge du contrat, qui contrôle la régularité des procédures de passation en se montrant pragmatique quant aux vices allégués (I), tout en apportant une clarification importante sur les modalités d’accès des entreprises de création récente à la commande publique (II).
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I. Une application rigoureuse de l’office du juge du contrat face aux irrégularités soulevées
La Cour administrative d’appel exerce un contrôle approfondi sur la procédure de passation, mais écarte les moyens qui ne sont pas pertinents ou qui manquent de substance. Elle valide ainsi la conduite de la procédure par l’autorité concédante (A) avant de confirmer l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des mérites des offres (B).
A. La validation de la conduite procédurale de la négociation
Le juge d’appel examine en premier lieu les critiques portant sur le déroulement même de la consultation. La société requérante soutenait que la demande d’une « meilleure et dernière offre » était irrégulière. La cour écarte ce moyen en affirmant qu’« aucun principe ni aucun texte ne s’oppose à ce qu’à l’issue de la négociation, l’autorité concédante sollicite des candidats en lice qu’ils lui adressent leur meilleure et dernière offre ». Elle juge cette pratique comme une simple précaution visant à fiabiliser les propositions finales.
De même, la cour rejette le moyen tiré de la divulgation d’informations à la presse, considérant que celle-ci est « par elle-même, sans influence sur la régularité de cette dernière, dès lors qu’il n’est pas soutenu que cette méconnaissance aurait été de nature à porter atteinte aux principes de l’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ». La juridiction exige la preuve d’une conséquence concrète de l’irrégularité sur les principes fondamentaux de la commande publique. Enfin, l’argument concernant un engagement de signer un « bail commercial » est balayé, la cour y voyant une simple maladresse rédactionnelle, l’acte visant en réalité le contrat de sous-concession lui-même.
B. La confirmation d’une appréciation des offres exempte d’erreur manifeste
La société évincée contestait également les notes attribuées à l’offre de l’attributaire, tant sur le critère technique que financier, invoquant une erreur manifeste d’appréciation. La cour rappelle cependant que le contrôle du juge sur l’appréciation des offres par le pouvoir adjudicateur se limite à l’erreur manifeste. Or, la requérante se bornait à affirmer que la note de la société attributaire « ne saurait être justifiée » sans apporter d’éléments probants pour étayer son allégation, ce qui ne suffit pas à caractériser une telle erreur.
Concernant le critère financier, la cour procède à une analyse détaillée et constate que, sur le montant des redevances, l’offre de l’attributaire était supérieure à celle de la requérante. Surtout, la cour souligne le caractère inopérant du moyen relatif à la crédibilité financière. Elle démontre en effet qu’« à supposer même que la société Baieta Beach eût reçu, comme le revendique la société Lido Plage, une note de 79 sur 100, égale à la sienne propre, la note finale de la société Baieta Beach (…) serait donc demeurée largement supérieure à celle de la société Lido Plage ». Le vice allégué, même s’il était avéré, n’aurait eu aucune incidence sur l’issue de la procédure, ce qui justifie son rejet.
II. La clarification des conditions d’accès des nouvelles entreprises à la commande publique
Au-delà de l’application classique des règles du contentieux contractuel, l’arrêt se distingue par sa position claire sur la participation des entreprises nouvellement créées aux procédures de délégation de service public. Il consacre une nécessaire adaptation des exigences de capacité (A) tout en opérant une distinction pédagogique entre l’examen des capacités et celui de la crédibilité de l’offre (B).
A. Le principe d’une adaptation des exigences de capacité économique et financière
Le moyen le plus substantiel de la requérante consistait à soutenir que la société attributaire, nouvellement créée, ne pouvait justifier de ses capacités en l’absence d’exercices comptables passés, comme l’exigeait pourtant le règlement de la consultation. La cour saisit cette occasion pour formuler un principe important en matière d’accès à la commande publique. Elle affirme que si l’autorité délégante peut exiger des documents attestant des capacités des candidats, « cette exigence, lorsqu’elle a pour effet de restreindre l’accès à la délégation des entreprises de création récente (…), doit être objectivement rendue nécessaire par l’objet de la délégation et la nature des prestations à réaliser ».
En l’absence d’une telle nécessité objective, la cour estime que l’autorité concédante « doit permettre aux candidats de justifier de leurs capacités financières et professionnelles et de leur aptitude à assurer la continuité du service public par tout autre moyen ». En validant la démarche de la métropole qui a apprécié les capacités de la nouvelle société par d’autres moyens, comme les garanties apportées, la juridiction favorise l’ouverture des contrats publics à de nouveaux acteurs économiques et prévient les barrières à l’entrée disproportionnées.
B. La distinction affirmée entre l’appréciation des capacités et l’analyse de la crédibilité de l’offre
L’arrêt opère une distinction fondamentale que la société requérante avait confondue. La requérante utilisait l’argument de la création récente de l’attributaire pour contester à la fois sa capacité et la crédibilité de son offre financière. La cour administrative d’appel prend soin de dissocier ces deux étapes de l’analyse. L’appréciation des capacités, qui intervient au stade de l’examen des candidatures, vise à s’assurer que le candidat dispose des aptitudes générales pour exécuter le contrat.
En revanche, l’analyse de la crédibilité financière de l’offre, effectuée au stade de l’analyse des offres, ne porte que sur la proposition spécifique remise pour le contrat en question. La cour le formule sans équivoque : « le critère de la “crédibilité financière” n’a pas pour objet de vérifier les capacités financières, techniques ou professionnelles du candidat (…), mais seulement de s’assurer de la cohérence de son offre sur un plan financier ». Ainsi, l’absence d’expérience passée est un sujet qui relève de l’analyse de la candidature, et non de l’offre, laquelle doit être jugée sur sa propre robustesse, illustrée en l’espèce par les garanties souscrites ou le plan de financement présenté.