Par un arrêt en date du 20 mars 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité du cumul de deux contributions financières liées à un projet de construction. En l’espèce, une société de construction vente s’est vu délivrer un permis de construire pour un ensemble immobilier par une commune. Cet acte prévoyait l’assujettissement du projet à la taxe d’aménagement ainsi qu’à la participation pour le financement de l’assainissement collectif. Après s’être acquittée du montant de la taxe d’aménagement, la société a contesté le titre de recettes émis ultérieurement par la commune au titre de la participation pour le financement de l’assainissement collectif.
Saisi du litige, le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande de la société tendant à la décharge de cette obligation de paiement. La société a alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que le cumul de la participation pour le financement de l’assainissement collectif avec une taxe d’aménagement majorée était illégal. Elle arguait que ces deux prélèvements avaient un objet similaire, à savoir le financement des réseaux publics, rendant leur application cumulative non conforme au droit. Face à ce moyen, la cour administrative d’appel a considéré que la question soulevée présentait une difficulté juridique sérieuse.
Le problème de droit qui se posait était donc de savoir si un constructeur peut être redevable de la participation pour le financement de l’assainissement collectif alors même qu’il s’est déjà acquitté d’une taxe d’aménagement à un taux majoré, instituée précisément pour financer des travaux substantiels de réseaux dans le secteur de sa construction.
Plutôt que de trancher elle-même le fond du litige, la cour administrative d’appel a décidé de surseoir à statuer. Sur le fondement de l’article L. 113-1 du code de justice administrative, elle a transmis le dossier au Conseil d’État pour que celui-ci rende un avis sur cette question de droit qu’elle qualifie de « nouvelle », « présentant une difficulté sérieuse et susceptible de se poser dans de nombreux litiges ». La solution retenue est donc d’attente, conditionnant la résolution de l’affaire à l’interprétation que donnera la Haute juridiction administrative.
La décision de la cour met en lumière une tension entre deux dispositifs de financement des équipements publics, la conduisant à user d’un mécanisme procédural destiné à assurer l’unité de l’interprétation du droit (I). Cette démarche soulève plus largement la question de l’articulation des différentes contributions d’urbanisme et de leur finalité, dont la clarification est désormais attendue du Conseil d’État (II).
I. La consécration d’une incertitude juridique par le recours à l’avis contentieux
La cour administrative d’appel, en choisissant de ne pas statuer immédiatement, met en évidence l’existence d’un doute sérieux sur la possibilité de cumuler deux contributions qui semblent poursuivre un objectif identique (A). Cette incertitude la conduit logiquement à utiliser la procédure de renvoi pour avis au Conseil d’État, une faculté réservée aux questions de droit d’une importance particulière (B).
A. L’identification d’une double contribution au financement d’un même service public
Le cœur du litige réside dans l’articulation de deux prélèvements distincts. D’une part, la taxe d’aménagement, régie par le code de l’urbanisme, peut voir son taux majoré jusqu’à 20 % dans des secteurs où « la réalisation de travaux substantiels de voirie ou de réseaux ou la création d’équipements publics généraux est rendue nécessaire ». D’autre part, la participation pour le financement de l’assainissement collectif, prévue par le code de la santé publique, est due par les propriétaires lors du raccordement générant des eaux usées supplémentaires.
Dans le cas d’espèce, la commune avait institué un taux majoré de la taxe d’aménagement pour financer des travaux sur les réseaux, sans préciser si cela excluait le réseau d’assainissement. Le requérant soutenait que cette majoration couvrait déjà les besoins de renforcement du réseau d’assainissement, rendant la participation spécifique redondante et donc illégale. Le principe de non-cumul des participations d’urbanisme pour un même objet est ainsi au centre de l’argumentation. La cour reconnaît implicitement le poids de cet argument en ne le rejetant pas d’emblée, admettant que le financement du réseau d’assainissement pouvait être l’objet des deux contributions.
B. Le choix d’un renvoi préjudiciel face à une question de droit nouvelle et sérieuse
Face à cette difficulté, la cour administrative d’appel a mobilisé l’article L. 113-1 du code de justice administrative. Cet outil procédural lui permet de solliciter l’avis du Conseil d’État avant de statuer. L’arrêt prend soin de motiver ce renvoi en reprenant les trois conditions cumulatives posées par le texte.
La question est jugée « nouvelle », ce qui suggère l’absence de jurisprudence établie sur ce point précis d’articulation entre la taxe d’aménagement majorée et la participation pour l’assainissement collectif. Elle présente ensuite « une difficulté sérieuse », car le silence des textes sur cette hypothèse de cumul ne permet pas de dégager une solution évidente. Enfin, elle est « susceptible de se poser dans de nombreux litiges », ce qui confère à l’affaire une portée dépassant le seul cas d’espèce, justifiant une intervention unificatrice de la plus haute juridiction administrative. Par cet acte, la cour reconnaît l’enjeu d’une clarification pour la sécurité juridique des opérations de construction et la gestion financière des collectivités.
II. La portée de la question préjudicielle sur l’articulation des financements de l’assainissement
La question transmise au Conseil d’État l’invite à se prononcer sur une zone grise du droit de l’urbanisme, née du silence des textes régissant ces contributions (A). L’avis qui sera rendu aura des conséquences déterminantes tant pour les finances des collectivités locales que pour l’équilibre économique des projets de construction (B).
A. L’interprétation du silence des textes sur le cumul des participations
L’article L. 331-15 du code de l’urbanisme, en prévoyant l’exclusion de certaines contributions en cas de vote d’un taux de taxe d’aménagement supérieur à 5 %, ne mentionne pas la participation pour le financement de l’assainissement collectif. Ce silence est au cœur du problème. Doit-il être interprété comme autorisant implicitement le cumul, selon l’adage selon lequel les exceptions sont d’interprétation stricte ? Ou bien doit-on considérer, au nom d’une logique de finalité, que le législateur n’a pas envisagé qu’une commune puisse exiger deux paiements pour financer les mêmes infrastructures de réseaux ?
La question posée au Conseil d’État est donc fondamentale : elle l’oblige à se positionner sur l’esprit de la loi au-delà de sa lettre. Il s’agit de déterminer si le principe de non-double financement pour un même équipement doit prévaloir, même en l’absence de disposition expresse l’interdisant. La réponse engagera une conception plus ou moins stricte de la spécialité des contributions d’urbanisme et de leur affectation.
B. Les enjeux de l’avis à venir du Conseil d’État pour les collectivités et les constructeurs
La portée de l’avis à rendre par le Conseil d’État est considérable. Si le cumul est validé, les communes disposeront d’une double source de financement pour leurs réseaux d’assainissement dans les zones de développement, ce qui pourrait faciliter la réalisation d’infrastructures coûteuses mais aussi augmenter significativement le coût des opérations de construction. Une telle solution renforcerait l’autonomie financière des collectivités locales dans la gestion de leurs services publics.
À l’inverse, si le Conseil d’État juge le cumul illégal, il consacrerait une protection accrue des constructeurs contre ce qui peut être perçu comme une double imposition. Cette solution allégerait le fardeau financier pesant sur les projets immobiliers, mais pourrait contraindre les communes à arbitrer plus rigoureusement dans l’utilisation de la taxe d’aménagement majorée ou à trouver d’autres sources de financement pour leurs réseaux. L’avis du Conseil d’État est donc attendu pour fixer une règle claire, essentielle à la prévisibilité et à la sécurité juridique pour l’ensemble des acteurs de l’aménagement du territoire.