Cour d’appel administrative de Douai, le 9 juillet 2025, n°24DA02142

Par un arrêt en date du 9 juillet 2025, la Cour administrative d’appel de Douai s’est prononcée sur les conditions d’application d’un mécanisme procédural permettant de constater le désistement d’office d’un requérant. En l’espèce, une compagnie d’assurance, agissant en qualité de subrogée dans les droits de son assuré, avait indemnisé ce dernier pour des dommages causés à sa propriété par la rupture d’un barrage. Estimant cet ouvrage public, la compagnie a saisi le tribunal administratif de Rouen d’une demande indemnitaire dirigée contre le syndicat mixte qu’elle tenait pour gestionnaire, puis a mis en cause solidairement une communauté de communes. Par une ordonnance du 9 septembre 2024, le tribunal a pris acte du désistement d’instance de la compagnie d’assurance au motif qu’elle n’avait pas produit de mémoire récapitulatif dans le délai imparti par le magistrat rapporteur, en application de l’article R. 611-8-1 du code de justice administrative. La compagnie d’assurance a interjeté appel de cette ordonnance, en soutenant qu’elle était entachée d’irrégularité. Il revenait donc à la cour de déterminer si un juge fait une juste application des pouvoirs qu’il détient de l’article R. 611-8-1 du code de justice administrative en réputant un requérant désisté de son action, alors même que ce dernier a spontanément produit des écritures récapitulatives claires et structurées peu de temps avant que cette demande ne lui soit adressée. La cour administrative d’appel a répondu par la négative à cette question. Elle juge que, compte tenu de la chronologie de l’instruction et de la clarté des mémoires déjà fournis par la requérante, le recours au mécanisme de désistement d’office n’était pas justifié. En conséquence, la cour annule l’ordonnance et renvoie l’affaire devant les premiers juges pour qu’ils statuent sur le fond du litige.

Cette décision illustre le contrôle exercé par le juge d’appel sur l’usage des prérogatives de direction de l’instruction, sanctionnant une application jugée inappropriée de celles-ci (I), ce qui conduit à réaffirmer la prévalence de la justice matérielle sur un formalisme excessif (II).

I. La censure d’une mise en œuvre inopportune d’une prérogative procédurale

L’arrêt rappelle que la faculté de demander un mémoire récapitulatif est un pouvoir discrétionnaire du juge (A), dont l’exercice est soumis à un contrôle qui a permis de caractériser en l’espèce une application injustifiée (B).

A. Le caractère discrétionnaire de la demande de mémoire récapitulatif

L’article R. 611-8-1 du code de justice administrative confère au président de la formation de jugement une faculté précieuse pour la bonne administration de la justice. Il peut inviter une partie à produire un mémoire récapitulant l’ensemble de ses conclusions et moyens, afin de clarifier le débat contentieux avant la clôture de l’instruction. Cet outil vise à s’assurer que les dernières écritures reflètent l’intégralité des arguments du plaideur et à écarter les moyens qui auraient été implicitement abandonnés au fil des échanges de mémoires.

L’emploi du verbe « peut » dans le texte souligne la nature discrétionnaire de cette prérogative. Elle n’est pas une obligation pour le juge, mais un instrument à sa disposition, dont l’opportunité doit être appréciée au cas par cas. La sanction attachée à l’absence de production d’un tel mémoire dans le délai imparti, à savoir le désistement d’office, est particulièrement rigoureuse, puisqu’elle met fin à l’instance. C’est pourquoi son usage doit être proportionné à l’objectif poursuivi, qui est de garantir la clarté et la loyauté des débats, et non de sanctionner un plaideur pour des motifs de pure forme.

B. La caractérisation d’une application injustifiée

Dans les faits de l’espèce, la cour administrative d’appel a exercé un contrôle approfondi sur les circonstances dans lesquelles le premier juge a usé de cette faculté. Elle relève que la compagnie requérante avait, de sa propre initiative, déjà produit plusieurs mémoires qualifiés de « récapitulatifs », dont le dernier le jour même de la demande du magistrat. Ces écritures étaient jugées « structurées et claires », les ajouts étant « limités et clairement identifiés ».

Dans ce contexte, la demande d’un nouveau mémoire récapitulatif apparaissait superfétatoire. La cour estime ainsi que l’auteur de l’ordonnance « n’a pas fait une juste application de la faculté ouverte par les dispositions de l’article R. 611-8-1 du code de justice administrative ». En censurant cette décision, le juge d’appel signifie que le pouvoir de direction de la procédure ne doit pas être dévoyé de sa finalité. Son exercice devient irrégulier lorsqu’il ne répond à aucune nécessité pour la solution du litige et impose aux parties des contraintes procédurales dont la justification n’est pas établie.

La solution adoptée par la cour garantit ainsi un équilibre procédural, en protégeant les droits du justiciable contre une application trop rigide des règles de procédure.

II. La garantie de la loyauté procédurale contre un formalisme excessif

Cet arrêt réaffirme la primauté du droit d’accès au juge sur les exigences de forme (A) et constitue un rappel pédagogique sur le rôle du magistrat dans la conduite de l’instruction (B).

A. La protection du droit d’accès au juge

Le désistement d’office est une mesure radicale qui prive le requérant de la possibilité de voir son affaire jugée au fond. Son prononcé doit donc être réservé aux situations où le silence de la partie peut légitimement être interprété comme un abandon de ses prétentions. En l’espèce, la compagnie d’assurance avait démontré sa diligence en produisant de multiples écritures, manifestant sans équivoque son intention de poursuivre l’instance.

En annulant l’ordonnance, la cour préserve le droit fondamental d’accès à un juge, tel qu’il est garanti par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle rappelle que les outils procéduraux, aussi utiles soient-ils, ne sauraient faire obstacle à l’examen au fond d’une requête lorsque le comportement du plaideur ne révèle aucune intention dilatoire ou négligence caractérisée. La décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel qui tend à limiter les sanctions procédurales automatiques lorsque celles-ci porteraient une atteinte disproportionnée aux droits de la défense.

B. La portée pédagogique de la décision quant à l’office du juge

Au-delà du cas d’espèce, cet arrêt a une portée didactique pour les juges du fond. Il précise les contours de l’appréciation que doit porter le magistrat avant de recourir à l’article R. 611-8-1 du code de justice administrative. La direction de l’instruction doit être guidée par un esprit de pragmatisme et de justice, en tenant compte du comportement global des parties et de l’état réel du dossier.

La décision souligne que le juge doit exercer ses pouvoirs de manière à faciliter le dialogue entre les parties et la manifestation de la vérité, plutôt qu’à créer des obstacles formels. Il s’agit d’une décision d’espèce, fortement liée à la chronologie des faits. Néanmoins, elle délivre un message de portée générale : les prérogatives de gestion de la procédure sont un moyen au service d’un procès équitable, et non une fin en soi. Le juge administratif confirme ainsi son rôle de régulateur, veillant à ce que la procédure demeure un cadre loyal pour la résolution des litiges.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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