Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 8 avril 2025, n°24BX01649

Par un arrêt en date du 8 avril 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur la légalité d’un permis de construire accordé par une autorité préfectorale pour l’édification d’une unité de méthanisation. En l’espèce, plusieurs associations de protection de l’environnement ainsi que de nombreux riverains avaient saisi le tribunal administratif afin d’obtenir l’annulation de cet acte. Le projet, d’une ampleur conséquente, devait s’implanter sur une parcelle agricole située en zone de protection spéciale Natura 2000, à proximité immédiate d’habitations.

La juridiction de première instance avait rejeté la demande tendant à l’annulation de l’arrêté préfectoral du 9 juin 2023. Les requérants ont alors interjeté appel de ce jugement du 2 mai 2024, contestant la régularité du jugement et reprenant plusieurs moyens d’illégalité à l’encontre du permis de construire. Ils soutenaient notamment l’insuffisance du dossier de demande au regard des exigences du code de l’urbanisme et du code de l’environnement, en particulier s’agissant de l’évaluation des incidences du projet sur la faune et les habitats naturels. Se posait ainsi au juge d’appel la question de savoir si les manquements affectant l’appréciation des enjeux environnementaux d’un projet de construction étaient de nature à justifier son annulation ou s’ils pouvaient faire l’objet d’une mesure de régularisation.

La cour administrative d’appel, après avoir écarté plusieurs moyens, retient trois illégalités entachant l’autorisation d’urbanisme. Elle constate l’insuffisance de l’évaluation des incidences Natura 2000, l’omission dans le dossier de demande de la nécessité d’une dérogation pour destruction d’habitat d’espèce protégée et l’absence de prescriptions spéciales suffisantes pour la protection de l’environnement. Estimant toutefois que ces vices sont susceptibles d’être régularisés, la cour décide de surseoir à statuer en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, accordant à l’administration un délai pour corriger les illégalités relevées.

I. La censure des manquements substantiels à la législation environnementale

La cour administrative d’appel exerce un contrôle approfondi sur le respect des dispositions destinées à assurer la préservation de l’environnement. Elle sanctionne d’une part l’insuffisance manifeste de l’évaluation des incidences du projet sur le site Natura 2000 (A), et d’autre part le défaut d’information relative à la nécessaire dérogation pour atteinte à une espèce protégée (B).

A. L’insuffisance caractérisée de l’évaluation des incidences Natura 2000

Le juge administratif rappelle qu’une évaluation des incidences doit être proportionnée aux enjeux de conservation des habitats et des espèces en présence. En l’espèce, il relève de multiples carences dans le dossier fourni par le pétitionnaire. L’évaluation contient des informations contradictoires, indiquant à la fois qu’il n’existe « pas de risque d’altération ou de destruction de l’habitat d’espèce dû au projet » et, plus loin, que « une partie de l’habitat (zone de reproduction) de la Pie-Grièche Ecorcheur sera détruite ». Cette incohérence fondamentale suffit à elle seule à vicier l’analyse.

De plus, la cour souligne que le dossier reste silencieux ou particulièrement lacunaire sur le sort de plusieurs autres espèces d’oiseaux protégés, pourtant mentionnées comme présentes sur la zone d’influence du projet. L’évaluation n’analyse pas les effets, même sommairement, sur l’état de conservation des habitats et des espèces ayant justifié la désignation du site. Or, le juge prend soin de rappeler les objectifs de conservation de la zone concernée, qui visent précisément la protection de ces espèces. Il conclut que ces omissions et contradictions « ont été de nature à fausser l’appréciation portée par l’autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable ».

B. L’omission de la nécessité d’une dérogation « espèces protégées »

La seconde illégalité sanctionnée découle directement de la première. Le code de l’urbanisme impose au demandeur d’un permis de construire d’indiquer si les travaux nécessitent une dérogation au titre de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, notamment en cas de destruction d’habitat d’une espèce protégée. L’instruction a permis d’établir que le projet entraînait la destruction d’une partie de l’habitat de la Pie-grièche écorcheur, espèce protégée.

Le juge en déduit logiquement que le projet nécessitait une telle dérogation. L’évaluation d’incidences produite, bien qu’insuffisante, le laissait d’ailleurs clairement entendre en mentionnant cette destruction. Dès lors, l’absence de cette information dans le formulaire de demande de permis de construire constituait une violation du k) de l’article R. 431-5 du code de l’urbanisme. Cette omission, en dissimulant une contrainte juridique majeure, a également faussé l’appréciation de l’administration, qui n’a pas été mise en mesure d’exercer son contrôle sur ce point précis.

II. Le choix de la régularisation plutôt que de l’annulation

Face aux illégalités constatées, la cour n’opte pas pour une annulation sèche de l’autorisation d’urbanisme. Elle identifie un troisième vice tenant à l’insuffisance des prescriptions environnementales de l’arrêté (A), puis met en œuvre son pouvoir de surseoir à statuer afin de permettre la correction de l’ensemble des vices (B).

A. Le contrôle de l’adéquation des prescriptions environnementales

Le juge examine les prescriptions imposées par l’arrêté préfectoral au regard des dispositions de l’article R. 111-26 du code de l’urbanisme. Celles-ci permettent à l’autorité administrative d’assortir le permis de construire de prescriptions spéciales si le projet est de nature à avoir des conséquences dommageables pour l’environnement. La cour constate que l’arrêté autorise les travaux durant la période de nidification de plusieurs espèces d’oiseaux protégés présentes sur le site.

Cette absence d’interdiction de travaux durant la saison de reproduction est jugée insuffisante « pour préserver l’avifaune nicheuse localement ». De même, la prescription relative à la plantation d’une haie est estimée trop peu contraignante, la préfète n’ayant imposé « aucune modalité d’implantation en double ou triple ligne ». La cour en conclut que l’autorité administrative a commis une erreur manifeste d’appréciation en ne dictant pas des mesures de nature à limiter les dommages du projet sur l’environnement.

B. La mise en œuvre du sursis à statuer en vue de la régularisation

Ayant constaté trois vices distincts, le juge aurait pu prononcer l’annulation du permis de construire. Il choisit cependant de recourir à la procédure de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. Cet article permet au juge administratif de surseoir à statuer lorsqu’il estime qu’un vice entraînant l’illégalité d’un acte est susceptible d’être régularisé. La cour considère que les trois illégalités relevées peuvent être corrigées sans que la nature même du projet ne soit bouleversée.

Elle octroie donc un délai de quatre mois à l’administration et au pétitionnaire pour notifier une mesure de régularisation. Cette solution pragmatique illustre une tendance forte du contentieux de l’urbanisme, visant à sauver les projets lorsque cela est possible. La régularisation pourra consister en la production d’une évaluation d’incidences complète, le dépôt d’une demande de dérogation espèces protégées, et l’édiction par le préfet d’un arrêté complémentaire imposant des prescriptions environnementales plus strictes. Ce faisant, le juge ne renonce pas à son contrôle, mais l’oriente vers une mise en conformité du projet plutôt que vers sa disparition.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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