Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 29 avril 2025, n°23BX01122

Par un arrêt en date du 29 avril 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur les conditions de légalité du retrait d’un permis de construire par l’autorité municipale compétente. La décision offre un éclairage sur l’articulation entre l’illégalité d’une autorisation d’urbanisme et la procédure de retrait menée par l’administration.

En l’espèce, des pétitionnaires avaient obtenu un permis de construire pour la réhabilitation d’une grange en maison d’habitation, incluant une extension. Moins de trois mois après sa délivrance, le maire de la commune a rapporté cette autorisation par un nouvel arrêté. Saisis d’un recours en annulation contre cette décision de retrait, les juges du tribunal administratif de Pau ont rejeté la demande. Les administrés ont alors interjeté appel de ce jugement, soutenant que la décision de retrait était entachée de plusieurs illégalités, notamment l’incompétence de son auteur, un vice de procédure, ainsi que plusieurs erreurs de fait et de droit dans l’appréciation de la conformité du projet au plan local d’urbanisme. Ils estimaient que le permis initial était légal et ne pouvait donc faire l’objet d’un retrait. De son côté, la commune soutenait que le permis initial était illégal, justifiant ainsi la décision de le retirer.

Il était donc demandé à la cour administrative d’appel de déterminer si une autorité municipale peut légalement retirer un permis de construire, dans le délai de trois mois, au motif que le projet initial ne respectait pas une prescription précise du règlement d’urbanisme, et ce malgré la transmission de plans modificatifs par les pétitionnaires durant la procédure de retrait. La cour répond par l’affirmative, jugeant que l’illégalité originelle de l’autorisation, tenant à la méconnaissance d’une règle de hauteur fixée par le plan local d’urbanisme, constituait un motif suffisant pour justifier légalement son retrait. Elle écarte par ailleurs les documents produits ultérieurement par les pétitionnaires, considérant qu’ils ne pouvaient régulariser l’illégalité initiale.

La solution retenue par la cour administrative d’appel s’articule autour de la confirmation de l’illégalité du permis initial comme fondement du retrait (I), tout en consolidant la pleine compétence de l’autorité administrative dans l’exercice de sa prérogative de retrait (II).

I. La justification du retrait par l’illégalité avérée du permis initial

La cour fonde principalement sa décision sur l’illégalité intrinsèque de l’autorisation d’urbanisme initialement accordée. Elle consacre une violation objective du plan local d’urbanisme (A) et souligne l’inefficacité des tentatives de régularisation présentées après coup par les pétitionnaires (B).

A. La consécration d’une violation objective du plan local d’urbanisme

Le cœur du raisonnement des juges d’appel repose sur l’analyse factuelle et juridique de la conformité du projet aux règles locales d’urbanisme. L’arrêté de retrait contesté était motivé par la méconnaissance de l’article UB 2 du règlement du plan local d’urbanisme applicable. Cette disposition imposait que « le premier niveau des planchers des bâtiments devront être surélevés de 0,40 mètre vis-à-vis du sol mesuré au point le plus bas situé au pourtour de la construction. ». La cour constate, sans que ce point soit sérieusement contesté, que les plans originaux joints à la demande de permis de construire ne respectaient pas cette exigence de surélévation.

En validant ce motif, la cour rappelle que la légalité d’un permis de construire s’apprécie au regard des pièces qui composent le dossier de demande au jour de sa délivrance. L’absence de cotation et de la surélévation requise sur les plans initiaux suffisait à rendre l’autorisation illégale. Cette approche stricte garantit la sécurité juridique et l’égalité des citoyens devant les règles d’urbanisme, qui doivent être respectées de manière objective sans qu’il soit possible d’y déroger implicitement. Le manquement à une règle aussi précise ne saurait être considéré comme une simple imperfection matérielle du dossier.

B. L’inefficacité des tentatives de régularisation a posteriori

Face à l’illégalité constatée, les pétitionnaires avaient tenté de corriger le projet en transmettant de nouveaux plans durant la procédure contradictoire précédant le retrait. La cour examine attentivement la nature de ces documents et conclut à leur inopérance pour sauver le permis initial. Elle relève que ces nouveaux plans modifiaient certaines caractéristiques du projet et, surtout, qu’ils avaient été transmis avec une mention indiquant qu’une « nouvelle demande de permis de construire précisant tous ces points sera déposée en mairie ».

Ce faisant, la cour estime que ces pièces ne pouvaient être regardées « comme apportant des précisions sur le projet litigieux ». Elles s’analysaient plutôt comme l’annonce d’un projet modifié, distinct de celui qui avait initialement reçu une autorisation. Cette analyse met en évidence une distinction fondamentale entre les pièces complémentaires visant à clarifier un dossier et celles qui proposent une modification substantielle du projet. Seules les premières peuvent éventuellement être prises en compte, tandis que les secondes confirment implicitement l’illégalité du projet initial et l’impossibilité de le régulariser en l’état.

II. La consolidation de la prérogative de retrait de l’autorité administrative

Au-delà de la question de l’illégalité du permis, l’arrêt vient confirmer la latitude dont dispose l’administration pour exercer son pouvoir de retrait. La cour écarte ainsi les moyens de légalité externe et de procédure soulevés par les requérants (A) et fait une application pragmatique des outils du contentieux administratif pour sécuriser la décision de retrait (B).

A. Le rejet des moyens de légalité externe et de procédure

Les requérants contestaient la compétence du maire pour retirer le permis, arguant qu’elle aurait dû revenir au président de l’établissement public de coopération intercommunale. La cour écarte ce moyen en constatant qu’aucune pièce au dossier ne démontrait que la commune avait délégué sa compétence en matière de délivrance et de retrait des autorisations d’urbanisme. Cette solution rappelle que la compétence de principe du maire demeure, sauf preuve d’une délégation expresse.

De même, la cour juge « inopérant » le moyen tiré de l’absence de consultation des services ayant émis un avis favorable lors de l’instruction initiale. Elle rappelle qu’« aucune disposition législative ou réglementaire n’exige que le retrait d’un permis de construire soit prononcé suivant la même procédure que celle instituée pour la délivrance dudit permis ». Ce faisant, elle refuse d’appliquer au retrait le principe du parallélisme des formes, distinguant clairement la procédure de création de l’acte de celle qui conduit à sa disparition, laquelle est principalement régie par le respect du contradictoire.

B. L’application pragmatique des mécanismes de contentieux administratif

L’arrêt illustre également l’utilisation de la technique de la substitution de motifs. Les requérants soutenaient que le retrait était fondé sur un motif erroné tiré de la méconnaissance de l’article UB 10 du règlement. La cour, après avoir validé le motif principal tiré de la violation de l’article UB 2, estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la pertinence de cet autre motif. Elle considère en effet que « le maire […] aurait pris la même décision s’il n’avait retenu que ce seul motif ». Ce raisonnement permet de sécuriser la décision administrative en la purgeant d’un éventuel motif illégal, dès lors qu’un motif légal et suffisant la justifie.

Enfin, la cour écarte l’argument selon lequel une adaptation mineure aurait pu être accordée. Elle souligne que les requérants n’ont ni établi ni même allégué que les conditions pour une telle adaptation, liées à la nature du sol, à la configuration des parcelles ou au caractère des constructions avoisinantes, étaient réunies. Le juge administratif rappelle ici que la charge de la preuve pèse sur celui qui se prévaut d’une dérogation, et que le caractère nécessaire de l’adaptation doit être démontré. L’ensemble de ces rejets confirme que, dès lors que l’illégalité est avérée et substantielle, le retrait du permis de construire constitue une prérogative solidement établie de l’administration.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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