Par un arrêt en date du 16 septembre 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux se prononce sur la qualification fiscale des travaux réalisés sur un bien immobilier à usage commercial. Des contribuables, associés uniques d’une société civile immobilière, ont entrepris d’importants travaux sur un ensemble immobilier et ont déduit l’intégralité des dépenses de leurs revenus fonciers au titre des frais de réparation et d’entretien. L’administration fiscale a par la suite remis en cause cette déductibilité, considérant que ces dépenses constituaient en réalité des travaux d’amélioration non déductibles pour des locaux commerciaux. Saisi par les contribuables, le tribunal administratif de la Guadeloupe, par un jugement du 16 février 2023, a confirmé la position de l’administration. Les contribuables ont alors interjeté appel, soutenant que les travaux ne visaient qu’à remettre en état des bâtiments vétustes et non à les améliorer. Il revenait donc à la cour administrative d’appel de déterminer si des travaux d’envergure, comprenant à la fois la réfection d’éléments essentiels et la modernisation des locaux, devaient être globalement qualifiés de dépenses d’amélioration, ou si certaines de ces dépenses pouvaient être isolées et admises en déduction au titre de réparations. La cour juge que si l’ensemble des opérations a modifié la consistance et l’agencement des locaux, ce qui caractérise des travaux d’amélioration, les dépenses liées à la réfection de la toiture peuvent néanmoins être distinguées de l’opération globale et conserver leur caractère de dépenses de réparation déductibles.
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I. La confirmation du principe d’une appréciation globale des travaux d’amélioration
La cour administrative d’appel fonde sa décision sur une analyse d’ensemble des travaux réalisés, ce qui la conduit à écarter la qualification de simples réparations (A) et à rejeter les principaux arguments des contribuables fondés sur la vétusté ou la nature des matériaux (B).
A. La modification de la consistance et de l’agencement comme critère de l’amélioration
La juridiction d’appel rappelle la distinction fondamentale établie par l’article 31 du code général des impôts entre dépenses d’entretien et dépenses d’amélioration. Elle retient une définition classique des dépenses de réparation, qui « s’entendent des dépenses qui correspondent à des travaux ayant pour objet de maintenir ou de remettre un immeuble en bon état et d’en permettre un usage normal sans en modifier la consistance ». Or, en l’espèce, les juges constatent que les travaux ne se sont pas limités à une simple remise en état. Ils relèvent que l’opération a inclus le remplacement de la toiture, la pose d’une nouvelle isolation, le doublage des murs, la création d’un sol en béton fibré en lieu et place d’un carrelage, ainsi que la rénovation complète du système électrique et des façades.
La cour considère que cet ensemble « a été de nature à modifier la consistance, l’agencement et l’équipement initial des locaux ». En effet, la transformation était si substantielle qu’elle a permis de dédier une partie de l’immeuble à un nouvel usage commercial, avec un accueil du public qui n’existait pas auparavant. Cette approche globale, qui évalue l’effet combiné des différentes interventions, est déterminante pour qualifier l’opération. Plutôt que d’examiner chaque dépense isolément, la cour apprécie le projet dans sa finalité et son résultat concret, qui est ici une revalorisation significative du bien immobilier.
B. Le rejet d’une qualification distributive fondée sur la nécessité des travaux
Face à cette appréciation globale, les contribuables avançaient que les travaux étaient dictés par la nécessité, qu’il s’agisse de la vétusté des installations ou des dégâts subis. Ils arguaient notamment que la réfection de la toiture faisait suite à un dégât des eaux, et que les travaux de façade concernaient des éléments anciens. Cependant, la cour ne retient pas cet argument comme suffisant pour qualifier l’ensemble des dépenses de simples réparations. La nécessité de remplacer un élément usé n’exclut pas que ce remplacement s’inscrive dans un projet plus large d’amélioration.
De même, l’argument fondé sur la doctrine administrative, selon lequel l’emploi de matériaux modernes en remplacement d’éléments obsolètes ne suffisait pas à ôter à la dépense son caractère de réparation, est écarté. La cour juge que cette doctrine ne propose pas une interprétation différente de la loi. L’ampleur des transformations dépasse manifestement le simple remplacement d’équipements. En refusant de décomposer l’opération en une somme de réparations ponctuelles, la juridiction confirme que l’intention et le résultat globaux priment sur la justification individuelle de chaque dépense engagée.
II. L’admission tempérée de la déductibilité de dépenses dissociables
Tout en consacrant une approche globale, la cour introduit une nuance significative en acceptant de distinguer certains travaux du reste de l’opération (A), ce qui délimite la portée de sa solution et impose une charge probatoire accrue pour le contribuable (B).
A. Le critère de la dissociabilité de la dépense
L’apport principal de la décision réside dans l’exception qu’elle ménage au principe de l’appréciation globale. La cour admet en effet que certains travaux peuvent être « dissociables des travaux d’amélioration des locaux professionnels ». Elle identifie en l’espèce les dépenses relatives à l’étanchéité, l’isolation et le remplacement de la toiture, pour un montant de 78 108,76 euros. Ces travaux sont considérés comme déductibles car, « compte tenu de leur objet et de leur consistance peuvent être distingués des autres travaux entrepris dans les bâtiments ».
Ce faisant, la juridiction établit un critère de dissociabilité qui semble reposer sur la nature intrinsèque de la dépense. Les travaux de toiture visent à assurer le clos et le couvert de l’immeuble, une fonction essentielle qui relève par excellence de l’entretien et de la réparation. Contrairement aux autres aménagements, qui concourent à une nouvelle configuration ou à un meilleur standing, la réfection de la toiture a une finalité propre et indispensable à la conservation même du bâtiment. Cette distinction permet de ne pas pénaliser le propriétaire qui, à l’occasion d’un projet de modernisation, réalise également des réparations structurelles indispensables qui auraient été déductibles si elles avaient été effectuées seules.
B. La portée de la solution et la charge de la preuve
Cette solution pragmatique a pour corollaire d’imposer au contribuable une charge de la preuve particulièrement exigeante. La cour souligne que les appelants « ne produisent pas les éléments permettant d’établir que les dépenses portaient sur des travaux d’entretien ou de réparation dissociables ». C’est uniquement parce que les factures relatives à la toiture étaient suffisamment descriptives que leur déduction a pu être admise. A contrario, le caractère peu détaillé des autres factures, qui n’indiquaient pas toujours sur quel bâtiment les interventions avaient lieu, a empêché toute autre ventilation.
La portée de cet arrêt est donc claire pour les propriétaires bailleurs de locaux commerciaux. S’ils engagent un projet de rénovation mêlant réparation et amélioration, ils doivent impérativement veiller à obtenir des justificatifs précis et détaillés pour chaque type de dépense. Seules des factures permettant d’isoler sans ambiguïté la nature, le montant et la localisation des travaux de réparation pourront ouvrir droit à déduction. La décision illustre ainsi que, si la jurisprudence admet la possibilité de dissocier les dépenses, elle ne le fait qu’à la condition que le contribuable fournisse les preuves irréfutables de cette distinction.