Par un arrêt en date du 2 mai 1997, la Cour de justice des Communautés européennes, statuant en sixième chambre, s’est prononcée sur la portée d’une exonération en matière de taxe sur la valeur ajoutée.
En l’espèce, la législation d’un État membre prévoyait une exonération de taxe sur la valeur ajoutée pour les locations de logements meublés ou garnis à usage d’habitation. Une instruction administrative de cet État a étendu le bénéfice de cette exonération à la location de certains biens meubles, notamment des tentes, des caravanes et des résidences mobiles, lorsqu’ils constituaient des installations fixes destinées à l’habitation. Estimant que cette pratique contrevenait à la sixième directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, qui réserve une telle exonération à la seule location de biens immeubles, la Commission a engagé une procédure en manquement. Après une mise en demeure restée infructueuse, elle a émis un avis motivé invitant l’État membre à se conformer à ses obligations dans un délai de deux mois. L’État membre a alors reconnu le bien-fondé de la position de la Commission et s’est engagé à rapporter l’instruction administrative en cause. Cependant, en l’absence de notification d’une modification effective de sa réglementation, la Commission a introduit un recours devant la Cour de justice. L’État membre a soutenu en défense que la disposition litigieuse avait été abrogée et que les locations concernées étaient désormais imposables, bien qu’il ait admis que l’instruction était restée en vigueur au-delà de l’expiration du délai fixé par l’avis motivé.
Il appartenait ainsi aux juges de déterminer si un État membre manque à ses obligations en étendant une exonération de taxe sur la valeur ajoutée, prévue par le droit de l’Union pour la location de biens immeubles, à la location de certains biens meubles. Se posait également la question de savoir à quelle date doit s’apprécier l’existence d’un manquement dans le cadre d’un tel recours.
La Cour de justice constate le manquement de l’État membre. Elle juge d’une part que la sixième directive n’autorise l’exonération que pour la location de biens immeubles, et d’autre part que l’existence d’un manquement doit être appréciée à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, rendant inopérantes les modifications législatives ultérieures.
La solution retenue par la Cour de justice consacre une application rigoureuse du champ matériel des exonérations fiscales prévues par le droit de l’Union (I), tout en rappelant avec fermeté le cadre temporel de l’appréciation du manquement d’un État (II).
I. L’application stricte du champ de l’exonération de TVA
La Cour réaffirme le principe d’interprétation stricte des exonérations fiscales en censurant l’extension de leur bénéfice par une mesure nationale (A), ce qui conduit à écarter la qualification de biens immeubles pour des biens qui conservent leur nature mobilière (B).
A. Le caractère limitatif de l’exonération applicable à la location de biens immeubles
L’article 13 B, sous b), de la sixième directive dispose que les États membres exonèrent « l’affermage et la location de biens immeubles ». En tant qu’exception au principe général d’assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée de toute prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti, cette disposition doit faire l’objet d’une interprétation stricte. L’instruction administrative nationale, en incluant dans le champ de l’exonération des biens tels que « les caravanes, les tentes, les résidences mobiles », a manifestement outrepassé le cadre fixé par le texte européen. Ces biens, par leur nature, ne sauraient être qualifiés de biens immeubles au sens commun de cette notion.
En étendant l’exonération au-delà des cas expressément prévus, l’État membre a violé l’article 2 de la directive, qui impose de soumettre à la taxe les prestations de services. La décision de la Cour rappelle ainsi que les États membres ne disposent d’aucune marge d’appréciation pour élargir le champ des exonérations définies par les directives d’harmonisation fiscale. Une telle extension unilatérale compromettrait l’objectif d’assiette uniforme de la taxe sur la valeur ajoutée et créerait des distorsions de concurrence au sein du marché intérieur, en accordant un avantage fiscal non justifié à certains opérateurs économiques.
B. Le rejet de l’assimilation de biens meubles à des installations immobilières
L’État membre tentait de justifier sa pratique en considérant que les tentes, caravanes ou résidences mobiles constituaient de « véritables installations fixes » réservées à l’habitation. Cet argument visait à assimiler ces biens meubles à des biens immeubles par destination, justifiant ainsi leur inclusion dans le champ de l’exonération. La Cour, en constatant le manquement, rejette implicitement mais nécessairement cette analyse. La nature mobilière ou immobilière d’un bien doit s’apprécier au regard de critères objectifs et non en fonction de l’usage qui en est fait ou de son caractère plus ou moins fixe.
Une caravane ou une résidence mobile, même si elle demeure longtemps au même emplacement, conserve sa nature de bien meuble dès lors qu’elle reste déplaçable. Le droit de l’Union ne permet pas qu’une simple instruction administrative redéfinisse une notion juridique fondamentale pour les besoins de l’application d’une exonération fiscale. La solution souligne l’importance de préserver l’autonomie et l’uniformité des concepts juridiques du droit de l’Union, qui ne sauraient être altérés par des qualifications divergentes issues du droit interne des États membres.
II. La fixation temporelle de l’appréciation du manquement
La Cour de justice profite de cette affaire pour réitérer une règle procédurale essentielle du contentieux en manquement, selon laquelle les régularisations tardives sont sans incidence sur la constatation de la faute (A), une solution justifiée par la nécessité de préserver l’effectivité de la procédure précontentieuse (B).
A. L’inopposabilité des modifications normatives postérieures au délai de l’avis motivé
Dans sa défense, l’État membre a fait valoir qu’il avait mis fin au manquement en abrogeant l’instruction administrative litigieuse. Il a toutefois admis que cette abrogation était intervenue après l’expiration du délai de deux mois qui lui avait été imparti par la Commission dans son avis motivé. La Cour balaie cet argument en se fondant sur sa jurisprudence constante. Elle énonce clairement que « l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour ».
Cette règle fixe un point de référence temporel intangible pour l’examen du litige. Peu importe que l’État membre se soit conformé au droit de l’Union au jour de l’audience ou même avant l’introduction du recours. Seule compte la situation à la date butoir fixée par la Commission. En l’espèce, le maintien en vigueur de l’instruction administrative au-delà de cette date suffisait à caractériser le manquement, rendant la constatation de celui-ci inéluctable.
B. La justification de la règle par l’effet utile de la procédure en manquement
La position de la Cour n’est pas une simple exigence formelle ; elle vise à garantir l’efficacité de la procédure précontentieuse prévue à l’article 169 du traité CE (devenu l’article 258 TFUE). Cette phase, qui comprend la mise en demeure et l’avis motivé, a pour objet de donner à l’État membre l’opportunité de se conformer volontairement à ses obligations et d’éviter ainsi une procédure juridictionnelle. Le délai accordé dans l’avis motivé n’est pas indicatif mais impératif.
Admettre qu’un État puisse régulariser sa situation à tout moment jusqu’au prononcé de l’arrêt viderait cette procédure de son sens. Les États membres seraient incités à ne pas agir dans les délais prescrits, prolongeant ainsi les situations d’infraction au détriment de l’ordre juridique de l’Union et des droits des justiciables. En figeant l’appréciation du manquement à l’expiration du délai, la Cour assure l’effet utile de l’avis motivé et incite les États à une mise en conformité prompte et diligente avec le droit de l’Union.