Par un arrêt rendu dans le cadre d’une procédure préjudicielle, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les contours de l’exonération de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux opérations de crédit. En l’espèce, une société de construction proposait dans ses contrats une clause permettant à ses clients de différer le paiement du prix du terrain ou de la construction jusqu’au transfert de propriété, en contrepartie du versement d’intérêts sur les sommes dues. L’administration fiscale nationale avait considéré que si les intérêts relatifs au report de paiement du prix de la construction étaient bien exonérés de taxe, ceux concernant le prix du terrain et courant jusqu’à sa livraison devaient y être soumis. Saisie du litige, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur l’interprétation de l’article 13, partie B, sous d), point 1, de la sixième directive TVA. Le litige mettait en opposition l’interprétation des autorités fiscales, validée en première instance par le Gerechtshof de la Haye, qui voyait dans les intérêts une composante du prix de livraison du terrain, et celle de l’entreprise, qui les qualifiait de rémunération d’un crédit exonéré. La question posée à la Cour était donc de déterminer si des intérêts perçus par un fournisseur en contrepartie d’un sursis au paiement accordé à son client jusqu’à la livraison d’un bien relèvent de l’octroi de crédit exonéré, ou s’ils constituent un élément de la contrepartie taxable de cette même livraison. À cette question, la Cour de justice répond en opérant une distinction fondamentale : si un fournisseur qui autorise un paiement différé moyennant intérêts octroie en principe un crédit exonéré, la solution est différente lorsque ce report de paiement prend fin au moment de la livraison. Dans cette seconde hypothèse, les intérêts ne rémunèrent pas un crédit mais s’intègrent à la contrepartie de la livraison et sont, à ce titre, taxables.
La Cour de justice consacre ainsi une conception large de la notion d’octroi de crédit (I), tout en la circonscrivant par une application rigoureuse de la mécanique du fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée (II).
I. La consécration d’une conception extensive de l’octroi de crédit exonéré
La Cour affirme d’abord que l’exonération de TVA pour l’octroi de crédit n’est pas limitée aux seules institutions financières, en rejetant une interprétation restrictive de la directive (A), une solution que conforte le principe de neutralité de la taxe (B).
A. Le rejet d’une interprétation restrictive de l’exonération
La Cour de justice écarte l’idée que l’exonération prévue par la sixième directive ne concernerait que les crédits octroyés par des organismes bancaires ou financiers. Elle se fonde sur une lecture littérale du texte qui vise de manière générale « l’octroi et la négociation de crédits ainsi que la gestion de crédits effectuée par celui qui les a octroyés ». La Cour en déduit que « l’expression « octroi et négociation de crédits » est en principe suffisamment large pour inclure un crédit accordé par un fournisseur de biens sous la forme d’un sursis à paiement ». Par cette interprétation, elle refuse d’ajouter au texte une condition relative à la qualité du prêteur qui n’y figure pas. Cette approche extensive permet de qualifier de crédit une facilité de paiement accordée directement par un vendeur à son acheteur, reconnaissant ainsi la réalité économique de telles opérations commerciales.
B. La confirmation par le principe de neutralité fiscale
Pour appuyer son raisonnement, la Cour se réfère au principe de neutralité fiscale, qui garantit l’égalité de traitement entre les assujettis. Elle souligne que ce principe « serait en effet méconnu si un acheteur devait être taxé au titre du crédit accordé par son fournisseur, alors qu’un acheteur sollicitant un crédit auprès d’une banque ou d’un autre prêteur bénéficie d’un crédit exonéré ». En soumettant au même régime fiscal le crédit obtenu auprès d’une banque et celui accordé par un fournisseur, la Cour assure une concurrence non faussée et une application cohérente du système commun de TVA. Ainsi, la nature économique de l’opération, à savoir le financement d’une acquisition, prime sur la qualité formelle du prestataire. Cette solution favorise une lecture économique du droit fiscal, alignée sur les objectifs de la directive.
II. La limitation de l’exonération par la notion de contrepartie de la livraison
Après avoir posé le principe d’une interprétation large de l’exonération, la Cour y apporte une limite décisive en s’appuyant sur la chronologie de l’opération, et plus précisément sur le fait générateur de la taxe (A), ce qui conduit à l’intégration des intérêts dans la base d’imposition lorsque le sursis au paiement est antérieur à celui-ci (B).
A. L’articulation avec le fait générateur de la taxe
La Cour rappelle un mécanisme essentiel de la TVA en vertu de l’article 10, paragraphe 2, de la directive, selon lequel « le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison du bien ou la prestation de service est effectuée ». C’est donc à cet instant précis que la base d’imposition doit être déterminée et que la créance fiscale naît. Dans le cas d’espèce, le sursis au paiement et les intérêts y afférents couvraient une période qui prenait fin au moment de la livraison du terrain. La Cour en conclut que les sommes versées au titre des intérêts pour cette période ne peuvent être dissociées de la livraison elle-même, car elles conditionnent l’obtention du bien à la date convenue. La facilité de paiement n’est alors qu’une modalité du prix, et non une prestation financière autonome.
B. L’intégration des intérêts dans la base d’imposition
La conséquence logique de ce raisonnement est l’inclusion des intérêts dans la base d’imposition de la livraison du bien. Conformément à l’article 11 de la directive, l’assiette de la taxe est constituée par « tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ». Dès lors que les intérêts sont payés pour obtenir le bien et que leur versement est intrinsèquement lié à la période précédant la livraison, ils font partie intégrante de cette contrepartie. La Cour juge que « lorsqu’un fournisseur de biens ou de prestations de services accorde à son client un sursis au paiement du prix, moyennant le paiement d’intérêts, jusqu’à la livraison seulement, ces intérêts ne constituent pas la rémunération d’un crédit, mais un élément de la contrepartie obtenue pour la livraison des biens ou les prestations de services ». La distinction opérée est donc temporelle : le sursis au paiement postérieur à la livraison relève d’une opération de crédit exonérée, tandis que celui qui lui est antérieur est un simple aménagement du prix de vente.