Par une décision du 21 juillet 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les conditions d’admission d’un pourvoi en cassation dirigé contre une ordonnance de référé enjoignant l’expulsion d’un occupant du domaine public. En l’espèce, une société gestionnaire d’un port de plaisance avait obtenu du juge des référés du tribunal administratif de la Martinique, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, une ordonnance prescrivant l’expulsion d’une autre société qui occupait des locaux commerciaux. La convention d’occupation étant arrivée à son terme, le juge avait considéré la mesure d’expulsion comme utile, urgente et ne se heurtant à aucune contestation sérieuse. La société occupante a alors formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance, tout en sollicitant, dans une requête distincte, qu’il soit sursis à son exécution. Elle soutenait notamment que le premier juge avait dénaturé les pièces du dossier en appréciant les conditions posées par le code de justice administrative pour ordonner une telle mesure d’expulsion. Se posait dès lors au Conseil d’État la question de savoir si les moyens contestant l’appréciation des conditions d’urgence et d’absence de contestation sérieuse par le juge des référés étaient de nature à constituer des moyens sérieux justifiant l’admission d’un pourvoi en cassation. La Haute Juridiction administrative décide de ne pas admettre le pourvoi, au motif qu’aucun des arguments soulevés ne présente un caractère sérieux. Elle en déduit logiquement qu’il n’y a plus lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution, devenue sans objet.
Cette décision illustre le rôle de filtre joué par la procédure d’admission des pourvois, qui restreint le contrôle du juge de cassation sur les ordonnances de référé (I), et met en lumière les conséquences radicales de la non-admission sur les procédures accessoires (II).
I. Un contrôle restreint du juge de cassation sur l’ordonnance de référé
La décision de non-admission repose sur un mécanisme procédural spécifique qui confirme la latitude dont dispose le juge des référés pour apprécier la situation.
A. Le rejet du pourvoi par le mécanisme de la non-admission
Le Conseil d’État applique ici les dispositions de l’article L. 822-1 du code de justice administrative, qui institue une procédure préalable d’admission pour les pourvois en cassation. Ce mécanisme a pour finalité de permettre à la juridiction suprême de ne pas examiner au fond les pourvois qui seraient manifestement irrecevables ou, comme en l’espèce, qui ne seraient « fondé sur aucun moyen sérieux ». La décision rendue n’est donc pas un arrêt de rejet au fond qui viendrait confirmer en droit la solution du premier juge, mais une décision de non-admission qui ferme l’accès au prétoire du juge de cassation. Le Conseil d’État écarte ainsi les trois moyens soulevés par la société requérante, relatifs à la dénaturation des pièces du dossier et au caractère prétendument irrecevable de certaines conclusions de première instance.
La motivation est particulièrement concise, se contentant de constater qu’« Aucun de ces moyens n’est de nature à permettre l’admission du pourvoi ». Cette formule lapidaire suffit à sceller le sort du litige en instance de cassation, sans qu’il soit nécessaire pour le juge de répondre en détail à chacun des arguments développés. Elle témoigne d’une volonté d’efficacité procédurale et d’une conception stricte de l’office du juge de l’admission, qui ne se livre pas à un réexamen complet de l’affaire. L’invocation d’une dénaturation des faits, bien qu’étant un cas d’ouverture à cassation, doit reposer sur une distorsion évidente et grossière de la réalité factuelle par le premier juge, ce qui n’a manifestement pas été jugé caractérisé en l’espèce.
B. L’appréciation souveraine du juge des référés quant aux conditions d’intervention
En refusant d’admettre le pourvoi, le Conseil d’État conforte indirectement l’appréciation portée par le juge des référés du tribunal administratif sur les conditions d’application de l’article L. 521-3 du code de justice administrative. Pour ordonner une mesure utile, ce juge doit constater une urgence, l’utilité de la mesure et l’absence de contestation sérieuse. La société requérante contestait précisément l’analyse du juge sur l’absence de contestation sérieuse relative à la résiliation de la convention et sur l’urgence de la mesure d’expulsion. Or, ces notions fonctionnelles laissent par nature une marge d’appréciation importante au juge du fond, qui statue au vu des circonstances de l’espèce.
Le contrôle du juge de cassation sur cette appréciation est limité à la sanction de l’erreur de droit ou de la dénaturation. En jugeant que le moyen tiré de la dénaturation n’était pas sérieux, le Conseil d’État signifie que les arguments de la requérante s’analysaient davantage comme une tentative de rediscuter l’appréciation des faits qu’une démonstration d’une réelle altération de leur portée par le premier juge. Cette solution rappelle que le juge des référés est le juge de l’évidence et de l’urgence, et que son évaluation des faits et des pièces du dossier est, sauf dénaturation flagrante, souveraine. La non-admission du pourvoi a pour effet de rendre cette évaluation incontestable.
La décision de non-admission emporte des effets procéduraux en chaîne, privant de tout fondement les demandes qui étaient accessoires au pourvoi principal.
II. Les conséquences procédurales de la non-admission du pourvoi
Le rejet du pourvoi à ce stade préliminaire rend la demande de sursis à exécution sans objet et confère un caractère définitif à la mesure d’expulsion.
A. Le sort inéluctable de la demande de sursis à exécution
Parallèlement à son pourvoi, la société requérante avait demandé, sur le fondement de l’article R. 821-5 du code de justice administrative, le sursis à exécution de l’ordonnance d’expulsion. Ce texte subordonne une telle mesure à une double condition : que l’exécution de la décision risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables et que les moyens invoqués dans le pourvoi principal paraissent sérieux. La procédure d’admission du pourvoi et celle du sursis à exécution sont ainsi intimement liées par l’exigence commune d’un « moyen sérieux ».
La conséquence est logique et implacable. Dès lors que le juge de l’admission a conclu que le pourvoi n’était fondé sur aucun moyen sérieux, la seconde condition nécessaire à l’octroi du sursis fait nécessairement défaut. Le Conseil d’État n’a donc pas besoin d’examiner la première condition relative aux conséquences difficilement réparables, ni même de rejeter la demande de sursis. Il se borne à constater que celle-ci a perdu son objet, le sort du pourvoi principal ayant été définitivement réglé. Comme l’indique la décision, « Il résulte de ce qui précède que le pourvoi formé contre l’ordonnance attaquée n’est pas admis. Par suite, les conclusions tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de cette ordonnance sont devenues sans objet. Il n’y a dès lors plus lieu d’y statuer ». Cette solution de non-lieu à statuer illustre l’économie procédurale et la cohérence du système de cassation.
B. La consolidation de la mesure d’expulsion ordonnée en référé
La non-admission du pourvoi a pour effet direct de clore définitivement la voie de recours contre l’ordonnance du juge des référés de la Martinique. Cette dernière acquiert donc une autorité qui ne peut plus être remise en cause, au moins dans le cadre de cette procédure d’urgence. La mesure d’expulsion qu’elle prononce devient pleinement exécutoire. La société occupante se trouve ainsi dans l’obligation de libérer les lieux sans délai, sous peine de s’exposer à une expulsion forcée. En effet, l’argument selon lequel le juge des référés aurait fait droit à des conclusions irrecevables en autorisant le gestionnaire du port à requérir le concours de la force publique a lui-même été jugé comme n’étant pas un moyen sérieux.
Cette décision souligne l’efficacité du référé « mesures utiles » pour les gestionnaires du domaine public confrontés à une occupation sans titre. Une fois l’ordonnance obtenue, si le pourvoi de l’occupant est écarté au stade de l’admission, la décision d’expulsion est consolidée très rapidement. La procédure de filtrage des pourvois joue ainsi un rôle essentiel dans l’effectivité des décisions des juges du fond, en particulier dans les contentieux d’urgence où la célérité est un enjeu majeur pour la sauvegarde des droits des parties et la bonne gestion du domaine public.