5ème chambre du Conseil d’État, le 10 mars 2025, n°498706

Par un arrêt en date du 10 mars 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les conditions d’appréciation de l’intérêt à agir d’un voisin immédiat à l’encontre d’un permis de construire autorisant la reconstruction d’un bâtiment entièrement détruit.

En l’espèce, le maire d’une commune avait délivré à une société un permis de construire pour la reconstruction d’un bâtiment détruit à la suite d’un sinistre. Des particuliers, voisins immédiats du terrain d’assiette du projet, ont saisi le juge des référés du tribunal administratif compétent d’une demande de suspension de l’exécution de cet arrêté. Par une ordonnance, le juge des référés a rejeté leur demande au motif qu’ils ne justifiaient pas d’un intérêt leur donnant qualité pour agir. Les requérants ont alors formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance.

La question de droit soumise au Conseil d’État était de savoir si l’intérêt à agir du voisin immédiat contre un permis de construire autorisant la reconstruction d’un bâtiment sinistré doit s’apprécier par rapport à la construction détruite ou par rapport à l’état du terrain au moment de la demande de permis.

La Haute juridiction administrative répond en cassant l’ordonnance du juge des référés. Elle juge que ce dernier a commis une erreur de droit en écartant l’intérêt à agir des requérants au motif que la reconstruction ne modifiait pas les caractéristiques de l’édifice antérieur, alors qu’à la date de la demande de permis, cette construction était entièrement détruite. Statuant ensuite au fond, le Conseil d’État reconnaît l’intérêt à agir des voisins mais rejette leur demande de suspension, estimant qu’aucun moyen n’était propre à créer un doute sérieux sur la légalité du permis de construire.

La solution retenue conduit à préciser les modalités d’appréciation de l’intérêt à agir du voisin immédiat (I), tout en rappelant que la reconnaissance de cet intérêt ne garantit pas l’annulation de l’acte contesté (II).

I. L’appréciation consolidée de l’intérêt à agir du voisin immédiat

Le Conseil d’État censure l’analyse du premier juge en rappelant le caractère privilégié de la preuve de l’intérêt à agir pour le voisin immédiat (A), et en clarifiant la méthode d’appréciation de l’atteinte lorsque le projet porte sur la reconstruction d’un bâtiment détruit (B).

A. Le rappel du régime probatoire allégé

Le Conseil d’État prend soin de citer l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, qui subordonne la recevabilité du recours d’un particulier à la démonstration que le projet est « de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ». La jurisprudence a progressivement établi une distinction claire entre le requérant ordinaire et le voisin immédiat. Pour ce dernier, une présomption simple d’intérêt à agir est reconnue, le dispensant d’une preuve exhaustive de l’atteinte subie.

La décision commentée réaffirme cette position en précisant que « le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction ». Ainsi, il n’est pas requis du voisin qu’il démontre avec certitude l’existence d’une atteinte, mais seulement qu’il fournisse des éléments plausibles la rendant vraisemblable. C’est au défendeur qu’il appartient ensuite de renverser cette présomption en établissant que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité.

B. La censure de l’appréciation erronée de l’atteinte

L’apport principal de l’arrêt réside dans la correction de l’erreur de droit du juge des référés. Ce dernier avait comparé le projet de reconstruction au bâtiment qui existait avant le sinistre, concluant à une absence d’atteinte nouvelle. Le Conseil d’État rejette fermement cette méthode. Il rappelle que, conformément à l’article L. 600-1-3 du code de l’urbanisme, l’intérêt à agir s’apprécie « à la date d’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire ».

Or, à cette date précise, le bâtiment préexistant n’était plus qu’un souvenir, le terrain étant revenu à l’état de friche suite au sinistre. Par conséquent, l’analyse de l’atteinte ne pouvait se faire par rapport à une construction disparue. Le point de comparaison pertinent était l’état du terrain d’assiette au moment de la demande de permis. Dès lors, toute nouvelle construction, par sa simple existence, était de nature à affecter les conditions de jouissance des voisins immédiats. En jugeant que le juge des référés a commis une erreur de droit « dès lors qu’à la date d’affichage du permis de construire litigieux, cette construction était entièrement détruite », le Conseil d’État livre une solution logique et rigoureuse.

Si la Haute juridiction consacre ainsi l’intérêt à agir des requérants, elle démontre cependant que la recevabilité d’un recours n’est que la première étape de l’office du juge.

II. La portée limitée de la reconnaissance de l’intérêt à agir

Après avoir annulé l’ordonnance, le Conseil d’État règle l’affaire au fond et illustre la distinction fondamentale entre la recevabilité de la requête (A) et son bien-fondé, qui demeure soumis à la démonstration d’un doute sérieux sur la légalité de l’acte (B).

A. La distinction fondamentale entre recevabilité et bien-fondé

L’arrêt offre une application pédagogique de la dissociation entre l’examen de l’intérêt à agir et l’analyse des moyens de légalité. En réglant l’affaire au titre de la procédure de référé, le Conseil d’État commence par écarter la fin de non-recevoir opposée par la société bénéficiaire du permis. Il juge que les requérants, en leur qualité de voisins immédiats et en se prévalant de la hauteur du projet ainsi que des nuisances futures, justifient d’un intérêt leur donnant qualité pour agir.

Cette première étape franchie, le juge de cassation n’en tire aucune conséquence automatique quant à l’issue du litige. La reconnaissance de l’intérêt à agir ouvre simplement le droit aux requérants de voir leurs arguments sur le fond examinés par le juge. La décision met ainsi en lumière le fait que la qualité pour agir n’est qu’une condition de procédure, et sa reconnaissance ne préjuge en rien du caractère fondé des critiques adressées à l’encontre de la décision administrative.

B. L’absence de doute sérieux sur la légalité du permis

Dans un second temps, le Conseil d’État examine les moyens soulevés par les requérants pour fonder leur demande de suspension. Ces derniers invoquaient notamment des erreurs dans le dossier de demande, une méconnaissance des règles sur la reconstruction à l’identique d’un bâtiment sinistré au regard de l’article L. 111-15 du code de l’urbanisme, ainsi que des violations du plan local d’urbanisme.

Le juge des référés, statuant en cassation, examine successivement chacun de ces arguments. Sa conclusion est sans appel : « Aucun de ces moyens n’est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ». Faute de remplir cette condition cumulative posée par l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la demande de suspension ne pouvait qu’être rejetée. La solution finale est donc défavorable aux requérants, qui obtiennent gain de cause sur le principe de leur droit à contester, mais échouent à convaincre le juge de la fragilité juridique du permis de construire.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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