Par une décision en date du 14 avril 2025, le Conseil d’État a précisé les conditions de mise en œuvre du sursis à statuer sur une demande de permis de construire, lorsque cette dernière est couverte par les garanties d’un certificat d’urbanisme.
En l’espèce, des propriétaires avaient conclu une promesse de vente pour une parcelle, sous la condition suspensive de l’obtention d’un permis de construire destiné à la réalisation d’un programme de logements. La société bénéficiaire de la promesse s’est vu opposer par le maire de la commune deux certificats d’urbanisme négatifs successifs, en date des 3 novembre 2017 et 2 mai 2018. Par la suite, la société a déposé une demande de permis de construire le 21 décembre 2018. En réponse, le maire a opposé un sursis à statuer d’une durée de deux ans par un arrêté du 11 février 2019, se fondant sur le fait que le projet immobilier était de nature à compromettre l’exécution du futur plan local d’urbanisme intercommunal en cours d’élaboration.
Saisis par les propriétaires du terrain, le tribunal administratif de Versailles a annulé cet arrêté de sursis à statuer par un jugement du 23 juillet 2020. La commune a interjeté appel de cette décision, mais la cour administrative d’appel de Versailles a confirmé l’annulation par un arrêt du 22 septembre 2022. La commune a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, soutenant que la cour avait commis une erreur de droit en considérant que les orientations du futur plan n’étaient pas suffisamment précises pour justifier le sursis.
Il était ainsi demandé au Conseil d’État si un sursis à statuer peut être légalement opposé à une demande de permis de construire, protégée par un certificat d’urbanisme, lorsque les orientations du futur plan local d’urbanisme, bien que débattues, ne permettent pas d’identifier précisément en quoi le projet compromettrait son exécution.
Le Conseil d’État rejette le pourvoi de la commune. Il juge que si la faculté d’opposer un sursis à statuer fait partie des règles dont le certificat d’urbanisme ne garantit pas la stabilité, sa mise en œuvre exige que le projet soit de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur plan. Or, il confirme l’appréciation des juges du fond selon laquelle des orientations générales sur la valorisation des espaces naturels, sans projet précis concernant le terrain d’assiette, ne suffisent pas à caractériser une telle compromission. La haute juridiction estime que « ces documents, qui ne faisaient notamment apparaître aucun projet précis relatif au maintien d’une trame verte ou d’arbres à préserver ni à des règles de limitation de la hauteur des constructions sur le terrain d’assiette du projet, ne permettaient pas d’identifier en quoi la réalisation du projet litigieux aurait été de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur plan local d’urbanisme intercommunal ».
Cette décision permet de clarifier l’articulation délicate entre l’effet cristallisateur du certificat d’urbanisme et la mesure conservatoire qu’est le sursis à statuer (I), tout en réaffirmant l’exigence d’un lien substantiel et précis entre le projet de construction et les futures règles d’urbanisme (II).
I. L’articulation entre la cristallisation des règles et l’exercice du sursis à statuer
Le Conseil d’État rappelle d’abord que le certificat d’urbanisme n’offre pas une protection absolue contre toute évolution, notamment contre le sursis à statuer (A), tout en confirmant que la date d’appréciation des conditions du sursis reste celle du certificat en cours de validité (B).
A. L’inclusion du sursis à statuer dans le champ des règles non cristallisées
La décision réaffirme un principe fondamental concernant les effets du certificat d’urbanisme. Celui-ci garantit à son titulaire, pour toute demande déposée dans les dix-huit mois, l’application des dispositions d’urbanisme, du régime des taxes et des limitations administratives au droit de propriété qui existaient à sa date de délivrance. Cependant, cette garantie n’est pas totale. La haute juridiction précise qu’il « résulte de ces dispositions qu’un certificat d’urbanisme (…) a pour effet de garantir à son titulaire un droit à voir toute demande d’autorisation (…) examinée au regard des règles d’urbanisme applicables à la date de la délivrance du certificat ».
Néanmoins, le Conseil d’État intègre dans ces règles applicables la faculté même pour l’administration d’utiliser le sursis à statuer. Il énonce ainsi que « parmi les règles, au vu desquelles la demande est examinée, figure la possibilité (…) d’opposer un sursis à statuer ». Le sursis à statuer n’est donc pas une règle de fond remise en cause par le certificat, mais un outil procédural dont la disponibilité est examinée à la date de ce même certificat. La solution est logique, car le sursis a précisément pour objet d’anticiper l’application de règles futures, ce qui le place dans une catégorie distincte des règles de fond régissant la constructibilité d’un terrain.
B. La persistance des droits nés du premier certificat d’urbanisme
L’un des arguments de la commune portait sur la succession de deux certificats d’urbanisme. Le juge écarte ce moyen en relevant que le second certificat n’avait pas expressément retiré le premier. Par conséquent, la demande de permis de construire, déposée alors que le premier certificat était encore valide, devait être examinée au regard des règles applicables à la date de délivrance de ce premier document, soit le 3 novembre 2017.
Cette précision est essentielle, car elle établit le point de référence temporel pour apprécier la légalité du sursis à statuer. C’est à cette date que l’administration devait être en mesure de justifier que les conditions posées par l’article L. 153-11 du code de l’urbanisme étaient remplies. La solution garantit la prévisibilité pour le pétitionnaire, en l’empêchant d’être soumis à des conditions qui n’étaient pas encore établies au moment où il a sécurisé ses droits par l’obtention du certificat. Le Conseil d’État ancre donc l’analyse de la légalité du sursis non pas à la date de son édiction, mais bien à la date de cristallisation des règles.
II. L’exigence de précision des orientations du futur plan pour justifier le sursis
La valeur principale de l’arrêt réside dans le contrôle exigeant qu’il opère sur la motivation du sursis à statuer, en refusant que de simples intentions générales puissent faire obstacle à un projet (A). Cette solution renforce la sécurité juridique des porteurs de projet face au pouvoir d’anticipation de l’administration (B).
A. Le rejet d’une justification fondée sur des principes abstraits
Le cœur de la décision repose sur l’appréciation du caractère suffisamment avancé des études du futur plan local d’urbanisme intercommunal. Le Conseil d’État valide l’analyse de la cour administrative d’appel, qui avait jugé les orientations trop générales pour fonder un sursis. Bien que le débat sur les orientations générales du projet d’aménagement et de développement durable (PADD) ait eu lieu, condition procédurale requise, le contenu de ces orientations est jugé insuffisant.
Le juge relève que « le souci de valoriser les espaces naturels, de préserver les cônes de vue et de renforcer le lien ville/nature » ou encore « préserver les continuums écologiques » constituent des objectifs louables mais abstraits. Pour justifier une atteinte aussi forte au droit de construire qu’un sursis de deux ans, l’administration doit démontrer un risque concret de compromission. Or, l’absence de « projet précis relatif au maintien d’une trame verte ou d’arbres à préserver ni à des règles de limitation de la hauteur des constructions sur le terrain d’assiette » a été déterminante. Le contrôle du juge se porte donc sur le degré de matérialité des futures règles et leur impact identifiable sur la parcelle concernée.
B. La portée de la décision : un équilibre en faveur de la sécurité juridique
En exigeant un lien tangible entre le projet de construction et les orientations du futur document d’urbanisme, le Conseil d’État trace une ligne claire entre l’anticipation légitime et l’opposition de principe. Cette décision a une portée significative pour les opérateurs immobiliers et les propriétaires. Elle limite le risque qu’un sursis à statuer soit utilisé comme un outil dilatoire, fondé sur une vision politique encore floue de l’aménagement futur du territoire. La protection offerte par le certificat d’urbanisme s’en trouve renforcée en pratique.
La solution contraint ainsi les autorités compétentes à ne recourir au sursis que lorsque le projet d’urbanisme a atteint un degré de maturité suffisant pour que le conflit avec un projet de construction individuel soit non plus seulement potentiel, mais prévisible et démontrable. Elle établit un équilibre raisonnable entre les prérogatives de la puissance publique en matière de planification et la nécessaire protection du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre. Le juge administratif confirme son rôle de gardien de la proportionnalité des mesures d’urbanisme, en s’assurant qu’elles reposent sur des justifications objectives et suffisamment précises.