Par une décision en date du 19 mai 2025, le Conseil d’État, statuant sur le pourvoi d’un ministre, se prononce sur l’admission des moyens dirigés contre un arrêt d’une cour administrative d’appel en matière de fiscalité locale. Une société avait saisi le tribunal administratif afin d’obtenir la réduction de ses cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties et de cotisation foncière des entreprises. Le litige portait sur la détermination de la valeur locative de ses immobilisations industrielles, laquelle constitue l’assiette de ces impositions. Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, par un jugement du 28 avril 2022, fit partiellement droit à la demande de la société en réduisant les bases d’imposition. Saisie par le ministre de l’économie, la cour administrative d’appel de Nancy, par un arrêt du 26 septembre 2024, annula partiellement ce jugement et procéda à une nouvelle détermination des bases imposables, accordant encore une décharge partielle à la contribuable. Le ministre forma alors un pourvoi en cassation, invoquant trois moyens distincts : une erreur de droit relative à l’application du mécanisme de compensation, une contradiction de motifs et une erreur de droit concernant l’année de référence pour le calcul d’une des impositions. La question soumise au Conseil d’État n’était donc pas de trancher le fond du litige fiscal, mais de déterminer, dans le cadre de la procédure préalable d’admission, si les arguments soulevés par le ministre présentaient un caractère suffisamment sérieux pour justifier la tenue d’un procès en cassation. En application de l’article L. 822-1 du code de justice administrative, la haute juridiction opère un tri, admettant les moyens relatifs à la contradiction de motifs et à l’erreur de droit temporelle, tout en rejetant celui concernant la compensation fiscale.
Cette décision d’admission partielle illustre le rôle de filtre du juge de cassation, qui distingue les moyens manifestement infondés de ceux qui méritent un examen approfondi. Ainsi, le Conseil d’État écarte sans difficulté un moyen qui remettait en cause une solution procédurale bien établie (I), pour ne retenir que les critiques qui pointent des défaillances manifestes dans le raisonnement des juges du fond (II).
I. Le rejet d’un moyen relatif à la compensation, confirmation d’une orthodoxie procédurale
Le Conseil d’État refuse d’examiner le premier argument du ministre, qui portait sur une prétendue sous-évaluation d’actifs que l’administration fiscale entendait opposer à la société. Ce rejet s’explique par une interprétation stricte des conditions de la compensation fiscale (A) et réaffirme la portée limitée de ce mécanisme une fois la phase contentieuse engagée (B).
A. L’interprétation stricte de la constatation d’une insuffisance d’imposition
Le ministre soutenait que la cour administrative d’appel avait commis une erreur de droit en jugeant que les minorations de valeur à l’actif de la société « ne pouvaient pas être regardées comme ayant été constatées au cours de l’instruction de la demande au sens et pour l’application de l’article L. 203 du livre des procédures fiscales ». L’administration estimait que la découverte de ces insuffisances pendant l’instance juridictionnelle suffisait à les rendre compensables, même en l’absence de redressement formel antérieur. En jugeant ce moyen non sérieux, le Conseil d’État valide implicitement la position des juges d’appel. Il rappelle que la compensation ne peut porter que sur des insuffisances ayant été formellement constatées et établies par l’administration dans le cadre de ses propres procédures de contrôle, et non sur de simples allégations soulevées pour les besoins de la défense en cours de procès. Cette solution consacre une lecture rigoureuse des textes, qui protège le contribuable contre des rehaussements imprévus au cours de l’instance.
B. La portée limitée du mécanisme de compensation en phase contentieuse
En écartant cet argument, la haute juridiction administrative confirme que la procédure contentieuse n’a pas vocation à se substituer à la procédure d’imposition ou de vérification. Le mécanisme de compensation prévu par le livre des procédures fiscales est une prérogative de l’administration, mais son exercice est encadré pour garantir les droits de la défense et la sécurité juridique. Permettre à l’administration d’invoquer, pour la première fois devant le juge, des insuffisances qu’elle a omis de relever lors de sa vérification de comptabilité reviendrait à contourner les garanties procédurales attachées au contrôle fiscal. Le rejet de ce moyen par le juge de l’admission signifie qu’une telle approche extensive de la compensation n’a que peu de chances de prospérer, ce qui renforce la prévisibilité du droit pour les justiciables et cantonne le débat contentieux à l’appréciation des seuls redressements initialement notifiés.
II. L’admission de moyens révélant des failles dans le raisonnement des juges du fond
Si le premier moyen est écarté, le Conseil d’État se montre en revanche sensible aux deux autres arguments du ministre, qui dénoncent des erreurs logiques et techniques dans l’arrêt d’appel. L’admission de ces moyens ouvre la voie à une probable censure pour contradiction de motifs (A) et pour une erreur de droit manifeste dans l’application de la loi fiscale dans le temps (B).
A. La censure probable d’une contradiction de motifs
Le ministre reprochait à l’arrêt de la cour administrative d’appel d’être « entaché de contradiction entre les motifs et le dispositif ». La cour aurait, d’un côté, qualifié des travaux de génie civil d’une certaine manière dans ses motifs, pour ensuite, dans son dispositif, leur appliquer une exonération fiscale qui correspond à une toute autre qualification juridique. Une telle incohérence constitue un vice de forme classique qui affecte la validité même du raisonnement juridictionnel. En jugeant ce moyen sérieux, le Conseil d’État signale qu’il est de son office de garantir la cohérence logique des décisions rendues par les juridictions inférieures. L’admission de ce moyen est donc prévisible, car une contradiction interne prive la décision de sa justification et rend son exécution incertaine, justifiant pleinement une cassation pour vice de forme.
B. La sanction attendue d’une erreur de droit temporelle
Le troisième moyen, également jugé sérieux, portait sur une erreur de droit commise par la cour dans la détermination de l’assiette de la cotisation foncière des entreprises pour l’année 2014. Le ministre faisait valoir que la cour avait réduit les bases imposables en tenant compte d’une cession d’actifs intervenue en 2013, alors que la loi fiscale imposait de se référer aux immobilisations détenues par la société à la clôture de l’exercice 2012. Il s’agit là d’une erreur technique flagrante dans l’application de la règle de droit aux faits de l’espèce. Le caractère sérieux de ce moyen ne faisait guère de doute, tant il met en lumière une méconnaissance directe de la loi fiscale. L’admission de ce pourvoi sur ce point est la conséquence logique du rôle du juge de cassation, qui est le gardien de la correcte application de la loi par les juges du fond, particulièrement dans un domaine aussi technique que le droit fiscal.