3ème – 8ème chambres réunies du Conseil d’État, le 21 mai 2025, n°476026

Par une décision du 21 mai 2025, le Conseil d’État s’est prononcé sur les modalités d’évaluation de la valeur locative de terrains servant d’assiette à une centrale photovoltaïque, en vue de leur assujettissement à la taxe foncière sur les propriétés bâties.

En l’espèce, une société exploitant une centrale de production d’électricité d’origine photovoltaïque a contesté les cotisations supplémentaires de taxe foncière auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2018 et 2019. Ces terrains, loués par la société dans le cadre de baux emphytéotiques, supportaient les installations nécessaires à son activité. L’administration fiscale avait déterminé la valeur locative de ces terrains en se fondant sur la somme des redevances prévues par les baux pour toute leur durée. La société requérante a saisi le tribunal administratif de Nîmes d’une demande en réduction de ces impositions. Par un jugement du 15 mai 2023, celui-ci a rejeté sa demande. La société a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, soutenant que la méthode d’évaluation retenue par l’administration et validée par les premiers juges était entachée d’une erreur de droit. Elle faisait valoir que la valeur vénale de ses terrains aurait dû être déterminée par comparaison avec des terrains agricoles voisins et que la méthode retenue conduisait à imposer non seulement les terrains, mais également les immobilisations productives, pourtant légalement exonérées de taxe foncière.

Il était donc demandé au Conseil d’État de déterminer si la valeur vénale d’un terrain à usage industriel, support d’une centrale photovoltaïque et objet d’un bail emphytéotique, peut être légalement établie en capitalisant l’ensemble des redevances dues sur la durée du bail.

Le Conseil d’État répond par l’affirmative et rejette le pourvoi. Il juge que les terrains d’assiette d’une centrale photovoltaïque doivent être regardés comme des terrains non cultivés employés à un usage industriel, ce qui exclut une évaluation par comparaison avec des terrains agricoles. Il valide ensuite la méthode d’évaluation fondée sur les revenus locatifs, considérant que, dans les circonstances de l’espèce, où la valorisation des terrains provient essentiellement de leur usage pour la centrale et où ils doivent être restitués dans leur état initial au terme des baux, cette approche n’est pas entachée d’erreur de droit.

La solution retenue par la haute juridiction administrative consacre une méthode d’évaluation pragmatique pour déterminer la valeur vénale de terrains à usage industriel spécifique (I), tout en offrant une solution d’espèce dont les implications apparaissent précisément délimitées (II).

***

I. La consécration d’une méthode d’évaluation pragmatique de la valeur vénale

Le Conseil d’État valide l’approche de l’administration fiscale en écartant la méthode comparative au profit d’une évaluation économique directement liée à l’exploitation du bien. Il rejette ainsi la qualification de terrain agricole (A) pour confirmer une valorisation fondée sur les revenus locatifs futurs (B).

A. Le rejet de la méthode comparative pour un terrain à usage industriel

La société requérante prétendait que la valeur de ses terrains devait être appréciée par comparaison avec des transactions portant sur des terrains agricoles situés à proximité. Cette argumentation supposait de ne pas tenir compte de l’usage effectif des parcelles, lesquelles, bien que potentiellement agricoles par nature, étaient dédiées à une activité de production d’électricité. Le Conseil d’État écarte ce raisonnement en s’appuyant sur les dispositions du 5° de l’article 1381 du code général des impôts. Il confirme que, « compte tenu de l’importance des moyens techniques mis en œuvre et de leur rôle prépondérant dans l’activité de la centrale, ces terrains doivent être regardés comme des terrains non cultivés employés à un usage industriel ».

Cette qualification est déterminante, car elle justifie le rejet de la méthode comparative proposée par la requérante. En effet, la comparaison n’est pertinente qu’entre des biens de nature et d’affectation similaires. Un terrain supportant une installation industrielle ne saurait être évalué comme une simple terre agricole, sa valeur économique étant profondément transformée par l’activité qu’il accueille. La haute juridiction entérine ainsi le fait que l’usage industriel confère au terrain un caractère exceptionnel au sens de l’article 1498 du code général des impôts, ouvrant la voie à des modalités d’évaluation dérogatoires.

B. La validation d’une valorisation fondée sur les revenus locatifs futurs

Une fois le caractère industriel du terrain établi, restait à définir la méthode de calcul de sa valeur vénale. L’administration avait choisi de sommer les redevances prévues par les baux emphytéotiques sur leur durée totale. Le Conseil d’État juge que, dans les circonstances de l’espèce, cette méthode n’est pas entachée d’erreur de droit. Il relève à cet égard que « la valorisation des terrains litigieux provient, pour l’essentiel, de ce qu’ils servent d’assiette à la centrale photovoltaïque » et que les baux prévoient la remise en état des lieux à leur terme.

Cette approche pragmatique consiste à considérer que la valeur du terrain se confond avec les revenus qu’il est destiné à générer pour son propriétaire durant toute la période d’exploitation industrielle. La valeur vénale ne correspond plus alors au prix qu’un acquéreur paierait pour le terrain lui-même, mais plutôt à la valeur actualisée des flux financiers que l’emphytéote s’est engagé à verser en contrepartie du droit d’usage. C’est une conception économique de la valeur qui est ici privilégiée, adaptée à une situation où l’exploitation industrielle est à la fois la source quasi exclusive de la valorisation du bien et limitée dans le temps.

II. Une solution d’espèce aux implications délimitées

Si la méthode validée peut paraître audacieuse, le Conseil d’État prend soin d’en limiter la portée en s’assurant qu’elle ne contrevient pas aux règles d’exonération (A) et en liant sa décision aux faits particuliers de l’espèce (B).

A. La distinction opérée entre le terrain et les immobilisations exonérées

Un argument majeur de la société requérante était que la méthode retenue par l’administration aboutissait à intégrer dans l’assiette de la taxe foncière la valeur de la centrale photovoltaïque elle-même, alors que les immobilisations destinées à la production d’électricité de cette nature sont expressément exonérées en vertu du 12° de l’article 1382 du code général des impôts. Le Conseil d’État réfute cette analyse en se fondant sur l’objet même des baux.

Il souligne que « les baux emphytéotiques litigieux portent uniquement sur les terrains d’assiette de la centrale photovoltaïque et que la redevance ne vise donc à couvrir que la prise à bail de ces terrains ». La redevance versée par l’exploitant est ainsi considérée comme la contrepartie de la seule occupation du sol, et non comme une rémunération incluant l’usage des installations productives qui, elles, appartiennent à l’emphytéote. En validant ce raisonnement, la haute juridiction maintient une distinction claire entre le foncier taxable et les équipements de production exonérés. La méthode de calcul, bien qu’indirecte, est ainsi jugée ne pas remettre en cause le champ de l’exonération légale.

B. La portée circonscrite de la méthode d’évaluation retenue

Le Conseil d’État encadre strictement sa décision par les faits qui lui sont soumis, ce qui suggère qu’il s’agit d’une décision d’espèce plus que d’un arrêt de principe posant une nouvelle règle générale d’évaluation. La validation de la méthode repose sur un ensemble de conditions précises : l’existence de baux emphytéotiques de longue durée, le fait que la valeur du terrain découle presque exclusivement de l’activité industrielle, et l’obligation de démantèlement de la centrale et de restitution des terrains en leur état initial. C’est cette conjonction de facteurs qui rend la somme des redevances représentative de la valeur vénale.

Cette solution ne semble donc pas transposable à des situations où ces conditions ne seraient pas réunies. Par exemple, pour un terrain industriel exploité directement par son propriétaire ou dans le cadre d’un bail classique sans obligation de remise en état, la méthode comparative ou d’autres approches pourraient demeurer plus pertinentes. En rejetant enfin le moyen tiré de l’utilisation de baux conclus en 2014 pour une évaluation au 1er janvier 2013 au motif que ces actes étaient « suffisamment proches », le Conseil d’État confirme une approche plus matérielle que formaliste, renforçant le caractère pragmatique et factuel de sa décision.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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