3ème – 8ème chambres réunies du Conseil d’État, le 18 juillet 2025, n°502801

Par un avis rendu le 18 juillet 2025, le Conseil d’État a été amené à clarifier les règles de cumul entre deux contributions financières liées à l’urbanisme et à l’assainissement. Saisie par la cour administrative d’appel de Marseille dans le cadre d’un litige opposant une société de construction à une commune, la haute juridiction administrative devait se prononcer sur une question de droit née de la réforme du financement de l’urbanisme. En l’espèce, un constructeur s’était vu réclamer le paiement d’une participation pour le financement de l’assainissement collectif, alors même que le permis de construire de son projet avait déjà donné lieu au paiement d’une taxe d’aménagement à un taux majoré, précisément justifié par la nécessité de financer des travaux de réseaux publics, dont celui de l’assainissement. Le tribunal administratif de Nice avait initialement rejeté la demande de la société tendant à la décharge de cette obligation de payer. Face à la difficulté d’interprétation des textes, la cour d’appel a sursis à statuer pour interroger le Conseil d’État sur la possibilité d’exiger cette participation lorsqu’une taxe d’aménagement majorée pour des motifs similaires a déjà été acquittée. La question posée revenait ainsi à déterminer si ces deux prélèvements, bien que distincts dans leur nature, ne faisaient pas double emploi dans une telle situation. Le Conseil d’État répond par l’affirmative à la question du cumul, considérant que les deux dispositifs poursuivent des objets différents et qu’aucune disposition n’organise leur exclusion mutuelle dans ce cas de figure. Il estime en effet qu’« aucune disposition législative ou règlementaire, ni aucun principe n’interdit la perception de la participation au financement de l’assainissement collectif lorsque la construction raccordée au réseau d’assainissement collectif a été soumise à la taxe d’aménagement à un taux supérieur à 5 % ».

I. La distinction réaffirmée des fondements juridiques des contributions

L’avis du Conseil d’État repose entièrement sur une analyse différenciée des deux mécanismes financiers, en s’attachant à la fois à l’objet de la taxe d’aménagement et à celui, plus spécifique, de la participation pour l’assainissement collectif.

A. Le champ large de la taxe d’aménagement, contribution générale au financement des équipements

La taxe d’aménagement, régie par le code de l’urbanisme, constitue un prélèvement fiscal perçu à l’occasion de la délivrance d’une autorisation de construire. Son objet, tel que le rappelle l’avis, est large et vise à financer la création ou le renforcement des équipements publics rendus nécessaires par l’urbanisation. La possibilité de majorer son taux jusqu’à 20 % dans certains secteurs, prévue à l’article L. 331-15 du code de l’urbanisme, est conditionnée à la réalisation de « travaux substantiels de voirie ou de réseaux ou la création d’équipements publics généraux ». Si le financement du réseau d’assainissement entre dans ce cadre, il n’en constitue qu’une des composantes possibles. La taxe conserve ainsi un caractère général, mutualisant le coût des infrastructures entre les différents projets de construction d’un secteur donné, en proportion des besoins qu’ils génèrent.

B. La nature compensatoire de la participation pour l’assainissement collectif

À l’inverse, la participation pour le financement de l’assainissement collectif, prévue par l’article L. 1331-7 du code de la santé publique, ne se présente pas comme un impôt d’urbanisme mais comme une redevance exigible au moment du raccordement effectif de l’immeuble. Le Conseil d’État souligne avec force sa finalité spécifique : elle a pour but de faire participer le propriétaire à la dépense d’équipement collectif en contrepartie de « l’économie par eux réalisée en évitant une installation d’évacuation ou d’épuration individuelle ». Son fait générateur et son fondement économique diffèrent donc de ceux de la taxe d’aménagement. Il ne s’agit pas de financer le réseau lui-même, mais de compenser un avantage individuel retiré par le propriétaire qui, grâce au raccordement, s’épargne le coût d’un dispositif autonome. Cette participation n’est donc pas tant liée à l’acte de construire qu’à l’obligation de se raccorder au réseau public de collecte des eaux usées.

II. La validation d’un cumul rigoureux au profit du financement public

Fort de cette distinction fondamentale, le Conseil d’État en déduit logiquement la possibilité de cumuler les deux prélèvements, en adoptant une lecture stricte des textes d’exclusion et en consacrant une solution favorable à la sécurisation des ressources des collectivités.

A. Une application stricte du régime des exceptions au cumul

Le cœur du raisonnement juridique de la haute juridiction réside dans une interprétation littérale des dispositions du code de l’urbanisme. L’article L. 331-15 de ce code prévoit bien que le vote d’un taux de taxe d’aménagement supérieur à 5 % entraîne la suppression de certaines contributions d’urbanisme, mais il vise une liste limitative de participations qui n’inclut pas la participation pour le financement de l’assainissement collectif. Le Conseil d’État constate ainsi que cette dernière « ne figure pas au nombre des contributions mentionnées à l’article L. 332-6-1 du code de l’urbanisme ». En l’absence d’une disposition expresse prévoyant l’interdiction du cumul dans cette hypothèse, le juge administratif se refuse à étendre le champ des exclusions. Il applique ainsi l’adage selon lequel les exceptions sont d’interprétation stricte, écartant toute idée d’une double contribution pour un même objet, dès lors que les objets ont été préalablement définis comme étant distincts.

B. La portée de la solution : une clarification au service du financement des collectivités

En validant ce cumul, l’avis du Conseil d’État apporte une clarification importante pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale. Il sécurise leur capacité à mobiliser deux outils financiers complémentaires pour faire face aux coûts élevés de l’extension et de la modernisation des réseaux d’assainissement. Pour les constructeurs et les aménageurs, la solution peut paraître sévère, car le coût total lié à la viabilisation de leurs opérations s’en trouve augmenté. Cependant, elle a le mérite de la clarté et prévient des contentieux fondés sur une appréciation subjective de l’objet des contributions. Cet avis, par sa portée pédagogique, devrait logiquement conduire les juridictions du fond à rejeter systématiquement les recours contestant le cumul de ces deux prélèvements, même lorsque la taxe d’aménagement a été manifestement utilisée pour financer le réseau auquel le propriétaire est ensuite tenu de se raccorder.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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