Tribunal judiciaire de Chartres, le 16 juin 2025, n°25/00138

Rendue par le tribunal judiciaire de Chartres le 16 juin 2025, l’ordonnance de référé tranche des demandes liées à la résiliation d’un bail commercial. Elle statue à la suite d’une assignation en référé, le défendeur n’ayant pas comparu, ce qui impose néanmoins au juge de vérifier la régularité, la recevabilité et le bien-fondé des prétentions.

Les faits tiennent à un bail commercial conclu en 2019 pour l’exploitation d’un centre technique, assorti d’un loyer mensuel et d’une provision sur charges, ainsi que d’une clause résolutoire. Le preneur a cessé de régler les sommes convenues, entraînant une mise en demeure puis un commandement visant la clause résolutoire, resté infructueux à l’expiration du délai légal d’un mois.

Sur le plan procédural, le bailleur a saisi le juge des référés pour voir constater l’acquisition de la clause résolutoire, ordonner la libération des lieux, fixer une indemnité d’occupation, allouer une provision sur arriérés, et prononcer la capitalisation des intérêts. Il sollicitait encore l’application de stipulations pénales, la conservation du dépôt de garantie, et l’anticipation des frais d’exécution, outre une indemnité procédurale et les dépens.

La question de droit portait sur les conditions de constat de l’acquisition de la clause résolutoire en référé et sur l’étendue des pouvoirs du juge pour prescrire l’expulsion, fixer des provisions et une indemnité d’occupation, ordonner la capitalisation des intérêts, et, à l’inverse, refuser les demandes ressortissant au juge du fond, notamment en matière de clause pénale ou de dépôt de garantie.

La décision constate la résiliation du bail à la date d’effet du commandement resté infructueux, ordonne la restitution des lieux et l’expulsion à l’expiration d’un délai d’un mois, alloue une provision correspondant aux arriérés, fixe une indemnité d’occupation égale au dernier loyer charges comprises avec réindexation, ordonne la capitalisation des intérêts, et rejette tant la demande d’application des stipulations pénales que la demande relative aux frais d’exécution forcée.

I. Le constat de la résiliation et les mesures d’évacuation en référé

A. L’acquisition de la clause résolutoire après commandement infructueux

Le juge rappelle le cadre de l’office en cas de défaut de comparution du défendeur, en citant que « Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée. » Ce rappel structure l’examen préalable de la régularité formelle du commandement et de son inefficacité persistante.

Le texte vise ensuite la stipulation résolutoire et le mécanisme de l’article L. 145-41 du code de commerce, en constatant l’absence de purge des causes du commandement dans le délai. La motivation culmine par l’énoncé selon lequel « Il y a donc lieu de constater la résiliation du bail commercial au 9 février 2025. » Cette formule indique une application stricte de la clause résolutoire, opérant de plein droit après le délai légal, dès lors que le défaut de paiement est établi et non sérieusement contesté.

Cette solution est cohérente avec la logique de la procédure de référé, centrée sur l’évidence des droits et la nécessité d’une mesure rapide. Le juge vérifie les pièces comptables, l’existence de la convention, la clause résolutoire et l’inefficacité du commandement, sans trancher un débat de fond. L’économie du raisonnement traduit un contrôle suffisant et mesuré, conforme à l’office de la juridiction saisie.

B. L’expulsion comme mesure de remise en état face au trouble illicite

Le raisonnement s’appuie sur la qualification classique de l’occupation post-résiliation, rappelant que « L’occupation sans droit ni titre de la propriété d’autrui constitue un trouble manifestement illicite. » L’atteinte au droit de jouissance du bailleur justifie ici une remise en état par libération des lieux, écartant toute discussion sérieuse.

La juridiction ordonne la restitution dans le mois, puis l’expulsion au besoin avec l’assistance de la force publique. Elle précise qu’« Il convient d’ordonner la libération des lieux, sans qu’il n’y ait lieu d’assortir cette obligation d’une astreinte, le recours à la force publique étant possible. » Cette option privilégie l’effectivité des voies d’exécution plutôt que la contrainte pécuniaire, ce qui demeure pragmatique dans un contexte d’occupation sans titre.

L’ordonnance prévoit encore, à défaut de restitution volontaire, le transport et la séquestration des meubles aux frais du locataire. La mesure s’inscrit dans une logique conservatoire et de remise en état, caractéristique des pouvoirs du juge des référés lorsqu’un trouble manifeste affecte la situation juridique.

II. Les condamnations pécuniaires provisionnelles et les limites de l’office du juge des référés

A. La provision, l’indemnité d’occupation et la capitalisation des intérêts

Le juge mobilise l’alinéa 2 de l’article 835 du code de procédure civile, en reprenant la formule « dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable », pour allouer une provision correspondant aux loyers et charges arrêtés, intérêts au taux légal à compter de l’assignation. La créance résulte d’écritures claires, non contredites par la partie défaillante.

S’agissant de l’occupation post-résiliation, l’ordonnance retient la fonction réparatrice de l’indemnité, et fixe son assiette par référence au loyer contractuel et aux charges. Elle énonce que « Cette indemnité d’occupation sera égale au montant du dernier loyer augmenté des charges, soit la somme mensuelle de 1 899,13 euros TTC (…) avec réindexation », jusqu’à la libération effective et la remise des clés. Le choix de l’indemnité au dernier loyer charges comprises s’accorde avec la pratique constante, tout en conservant un caractère provisoire dans son quantum.

Sur les intérêts, la juridiction ordonne la capitalisation, après avoir rappelé le principe antérieurement applicable. Elle décide ainsi qu’« Il y a donc lieu d’ordonner la capitalisation des intérêts par année entière. » La solution renforce l’effectivité de la créance indemnitaire, dans le respect de la demande et de la périodicité retenue, sans préjuger du contrôle du juge du fond sur l’étendue finale.

L’ensemble compose un dispositif équilibré, qui répare le préjudice d’occupation et assigne une temporalité claire à la créance, tout en restant sur le terrain provisionnel et exécutoire à titre provisoire.

B. Le refus d’appliquer les clauses pénales et d’anticiper les frais d’exécution

La juridiction refuse d’appliquer la majoration contractuelle de 20 % et la conservation du dépôt de garantie, en qualifiant ces stipulations de clauses pénales. Elle motive ce refus par une affirmation de principe nette : « Or, il n’entre pas dans les prérogatives du juge des référés de faire application des clauses pénales prévues au contrat de bail, qui relèvent des pouvoirs du juge du fond. » Cette position reflète la distinction entre l’évidence exigée en référé et l’appréciation souveraine et parfois modulatrice qu’appellent les clauses pénales.

Le juge rejette également la demande d’anticipation des frais d’exécution forcée, dont la survenance demeure incertaine au jour de l’ordonnance. Il est rappelé que « Il serait prématuré et aléatoire d’anticiper l’absence d’exécution de la présente ordonnance au point de condamner [le locataire] au paiement des frais d’exécution forcée », ce qui replace la charge des frais dans le cadre légal de l’exécution, au terme des opérations utiles.

Ce double refus marque clairement les bornes de l’office du juge des référés, cantonné aux mesures nécessaires, évidentes et provisoires. La décision préserve ainsi la liberté de discussion au fond, notamment sur l’éventuelle modération d’une clause pénale ou sur la liquidation des frais utiles, sans excéder la compétence qui lui est immédiatement reconnue.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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