Par une ordonnance en date du 4 juin 2025, le président de la cour administrative d’appel de Toulouse a statué sur la légalité de l’extension d’une mesure d’expertise à une société intervenue sur un chantier de construction d’un ouvrage public. En l’espèce, un maître d’ouvrage public, après avoir constaté des désordres affectant une médiathèque nouvellement construite, a obtenu en référé la désignation d’un expert judiciaire. Le maître d’ouvrage ainsi qu’un autre constructeur ont ensuite sollicité du même juge l’extension des opérations d’expertise à une entreprise qui avait repris le lot électricité du marché de travaux. Le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a fait droit à cette demande par une ordonnance du 11 décembre 2024. Saisie en appel par l’entreprise mise en cause, la juridiction du second degré était ainsi conduite à se prononcer sur les conditions dans lesquelles une expertise peut être étendue à un tiers. La question de droit soulevée par cette affaire était de savoir si le juge des référés peut ordonner l’extension d’une mesure d’expertise à une partie dont l’éventuelle responsabilité apparaît potentiellement prescrite. Par sa décision, le président de la cour administrative d’appel annule l’ordonnance de première instance pour une irrégularité de forme, mais, évoquant l’affaire, fait droit à la demande d’extension. Il juge que la participation de l’entreprise aux opérations d’expertise présente un caractère d’utilité, quand bien même une action en responsabilité à son encontre serait prescrite, dès lors que sa présence est de nature à éclairer les travaux de l’expert sur les causes des désordres.
Cette décision, tout en rappelant les exigences procédurales qui encadrent l’extension d’une expertise, consacre une conception large de l’utilité de cette mesure, privilégiant la manifestation de la vérité technique sur les fins de non-recevoir qui pourraient être soulevées au fond.
I. Le contrôle rigoureux des conditions de recevabilité de la demande d’extension
Le juge d’appel exerce un contrôle méticuleux sur les conditions formelles de la saisine du premier juge, qu’il s’agisse de l’obligation de motivation de sa décision (A) ou du respect des délais de procédure par les demandeurs (B).
A. L’annulation de l’ordonnance pour insuffisance de motivation
L’ordonnance rappelle avec fermeté une exigence fondamentale de procédure, à savoir l’obligation pour le juge de répondre aux moyens soulevés par les parties. En première instance, la société dont la mise en cause était demandée avait opposé l’inutilité de la mesure et la tardiveté d’une des demandes. Le juge des référés avait accordé l’extension sans viser ni répondre à cette argumentation. Le juge d’appel sanctionne cette omission par l’annulation de l’ordonnance, estimant qu’elle est entachée d’une insuffisance de motivation. Il juge en effet qu’« en se bornant à relever que les conditions posées par les dispositions de l’article R. 532-3 du code de justice administrative étaient remplies, sans répondre ni même viser les moyens de la société Electricité Industrielle J.P. Fauché, la juge des référés a entaché son ordonnance d’une insuffisance de motivation ». Cette cassation réaffirme le droit à un procès équitable, lequel implique que les défenses présentées par une partie soient examinées et reçoivent une réponse, même sommaire en référé.
B. L’application différenciée du délai de saisine
Après avoir annulé l’ordonnance et évoqué l’affaire, le juge d’appel examine à son tour la recevabilité des demandes d’extension. L’article R. 532-3 du code de justice administrative impose aux parties de solliciter une telle extension dans un délai de deux mois suivant la première réunion d’expertise. En l’espèce, deux demandes distinctes visaient la même entreprise. Le juge constate que la demande formée par un des constructeurs a été enregistrée après l’expiration de ce délai de deux mois, et la déclare par conséquent irrecevable car tardive. Cependant, il relève que le maître d’ouvrage a, pour sa part, agi dans le respect du délai prescrit. Il en conclut que « si la demande d’extension de l’expertise à l’égard de la société Electricité Industrielle J.P. Fauché a ainsi été enregistrée tardivement et n’est pas recevable, il résulte toutefois également de l’instruction que la commune de Montauban a pour sa part sollicité cette extension dès le 18 décembre 2023 soit dans le délai de deux mois. Par suite cette demande est recevable en tant qu’elle est présentée par cette collectivité ». Cette analyse distributive démontre le caractère strict et d’ordre public de ce délai, dont le non-respect par l’un des demandeurs ne vicie pas la demande de l’autre.
II. L’appréciation extensive de l’utilité de la mesure d’expertise
Une fois la recevabilité de la demande du maître d’ouvrage admise, le juge se penche sur le bien-fondé de celle-ci, en particulier sur sa condition d’utilité. Il admet que la question de la prescription puisse être examinée à ce stade (A), mais il la dépasse en fondant sa décision sur une conception finaliste de l’expertise (B).
A. La prise en compte de la prescription par le juge des référés
L’argument principal de l’entreprise requérante reposait sur la prescription de toute action en responsabilité à son encontre, celle-ci ayant été mise en cause plus de dix ans après la réception des travaux. L’ordonnance commentée ne rejette pas par principe cet argument. Au contraire, elle affirme qu’« il appartient au juge des référés d’apprécier cette utilité au regard notamment de la prescription susceptible d’être opposée par une personne mise en cause ». Le juge du référé-expertise n’est donc pas tenu de s’abstenir de toute appréciation sur le fond du droit. Il peut et doit examiner si la mesure sollicitée n’est pas destinée à préparer un procès manifestement voué à l’échec en raison d’une fin de non-recevoir tirée de la prescription. Cette position équilibre la nécessité de ne pas préjuger du fond et l’exigence de ne pas ordonner des mesures d’instruction coûteuses et inutiles.
B. Le dépassement de la question de la prescription par la notion d’utilité
C’est sur ce point que la décision est la plus éclairante. Bien qu’ayant admis la pertinence de l’argument tiré de la prescription, le juge estime qu’en l’espèce, cette circonstance ne suffit pas à rendre l’extension de l’expertise inutile. Il développe un raisonnement en deux temps. D’une part, il précise que peuvent être appelées à une expertise les personnes « qui, en l’état de l’instruction, ne sont pas manifestement étrangères au litige ». D’autre part, et surtout, il énonce que « le juge du référé peut appeler à l’expertise en qualité de sachant toute personne dont la présence est de nature à éclairer ses travaux ». Ainsi, même si l’entreprise ne pouvait plus être condamnée, sa participation était jugée utile. L’expert avait lui-même souligné que les causes des désordres pouvaient concerner des intervenants absents de la procédure, dont la requérante. La présence de cette dernière, en tant que successeur du titulaire initial du lot électricité, était donc nécessaire pour permettre à l’expert de comprendre l’origine des désordres et de répartir les responsabilités entre les autres constructeurs dont la responsabilité n’était pas prescrite. La finalité de la mesure n’est plus seulement de préparer une action contre la partie appelée, mais d’assurer l’efficacité des investigations dans le cadre du litige principal.