Par un arrêt en date du 31 décembre 2024, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur les modalités de contestation d’un titre de recettes émis pour le paiement d’une redevance d’occupation du domaine public. Cette décision offre un éclairage sur l’articulation des moyens de légalité externe et interne, ainsi que sur l’appréciation par le juge des justifications économiques invoquées par un occupant pour obtenir une modération de sa dette.
Une société commerciale, exploitant une activité de vente et de dégustation de produits de la mer, occupait un bâtiment appartenant au domaine public portuaire en vertu d’une convention conclue avec l’autorité gestionnaire. Cette convention prévoyait le versement d’une redevance annuelle composée d’une part fixe et d’une part variable. L’autorité gestionnaire a émis un titre exécutoire à l’encontre de la société pour le paiement de la part fixe due au titre du deuxième trimestre 2021. La société a contesté ce titre devant le tribunal administratif, qui a rejeté sa demande. Saisie en appel, la société requérante soutenait, d’une part, que la somme n’était pas due au regard des dispositions prises dans le cadre de la crise sanitaire et du caractère excessif de la redevance et, d’autre part, que le titre était irrégulier en la forme.
Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si les difficultés économiques d’un occupant, aggravées ou non par un contexte de crise généralisée, pouvaient justifier une exonération du paiement de la redevance domaniale. De manière subsidiaire, il s’agissait de savoir si des vices de forme affectant un titre de recettes étaient de nature à entraîner la décharge de l’obligation de payer.
La cour a rejeté l’ensemble des arguments de la société. Elle a d’abord jugé que les mesures d’urgence sanitaire n’étaient pas applicables à la période concernée par la créance. Elle a ensuite estimé que le caractère prétendument disproportionné de la redevance n’était pas établi, avant d’écarter les moyens tirés des irrégularités formelles du titre. Par cet arrêt, la cour réaffirme la stricte application des conditions d’exigibilité des redevances domaniales, tout en précisant la hiérarchie des moyens dans le contentieux du recouvrement.
Cette solution conduit à examiner d’une part le rejet des contestations portant sur le bien-fondé de la créance (I), et d’autre part la validation de la régularité formelle du titre exécutoire (II).
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I. Le rejet des contestations portant sur le bien-fondé de la créance
La cour administrative d’appel écarte les moyens de fond soulevés par la société requérante en se fondant sur une application stricte des textes. Elle refuse d’abord d’étendre le bénéfice des mesures d’urgence sanitaire au-delà de leur champ d’application temporel (A), puis elle procède à une appréciation souveraine du caractère non disproportionné du montant de la redevance (B).
A. L’inapplicabilité des mesures d’urgence sanitaire à la redevance litigieuse
La société requérante invoquait les dispositions de l’ordonnance du 25 mars 2020 pour soutenir que sa dette aurait dû être suspendue. La cour rejette ce moyen en le déclarant inopérant, après avoir rappelé que le dispositif d’urgence ne prévoyait qu’une suspension de paiement et non une exonération. Le juge souligne surtout que la période de suspension prévue par ce texte ne s’étendait que du 12 mars 2020 au 23 juillet 2020. Or, la créance contestée portait sur le deuxième trimestre de l’année 2021. La cour en conclut logiquement que « la créance en litige n’entre pas dans le champ d’application de l’ordonnance du 25 mars 2020 ».
Cette analyse confirme le principe d’interprétation stricte des textes dérogatoires, notamment ceux adoptés dans un contexte de crise. La portée de ces mesures est limitée à ce que le législateur a expressément prévu, sans possibilité d’extension par analogie à des situations postérieures. De plus, la cour prend soin d’observer que les difficultés financières de l’entreprise étaient antérieures à la crise sanitaire, ce qui affaiblit d’autant plus la pertinence du moyen. Cette précision montre que le juge reste attentif à la chronologie des faits pour éviter que des dispositifs exceptionnels ne soient invoqués pour des difficultés structurelles préexistantes. La solution, bien que sévère pour l’opérateur économique, garantit la sécurité juridique et la prévisibilité de l’application des lois d’urgence.
B. L’appréciation souveraine du caractère non disproportionné de la redevance
La société requérante soutenait ensuite que le montant de la redevance était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, arguant d’une valeur locative trop élevée au regard des avantages retirés de l’occupation. Pour étayer ses dires, elle produisait un rapport d’expertise privé. La cour écarte cet argument en se livrant à un examen détaillé des éléments du dossier. Elle critique le rapport d’expertise en relevant qu’il « ne comporte aucune précision sur la méthodologie retenue pour pondérer la surface totale et notamment celle correspondant à la terrasse ». Elle juge également les termes de comparaison inadaptés.
Cette approche illustre le pouvoir souverain d’appréciation des faits par le juge administratif, qui n’est pas lié par les conclusions d’un rapport d’expertise non contradictoire. Le juge rappelle que la redevance doit tenir compte « des avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation », conformément à l’article L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques. En l’espèce, la nouveauté du bâtiment, sa localisation directe sur le port et la présence d’une terrasse et de stationnements sont considérées comme des avantages justifiant le montant fixé. La cour refuse de lier le montant de la redevance à la performance économique de l’occupant, en précisant que la dégradation de son activité, à elle seule, ne peut justifier une dispense de paiement de la part fixe.
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II. La validation de la régularité formelle du titre exécutoire
Après avoir écarté les moyens de fond, la cour examine, conformément à sa méthodologie, la régularité formelle du titre contesté. Elle confirme la validité de la signature de l’acte (A) et juge que les bases de la liquidation de la créance étaient suffisamment indiquées (B), écartant ainsi toute annulation pour vice de forme.
A. La confirmation de la validité de la signature électronique du titre
La société requérante prétendait que le titre de recettes était irrégulier faute de signature de son auteur. La cour rejette le moyen en distinguant l’avis des sommes à payer adressé au redevable du bordereau de titres de recettes transmis au comptable public. Seul ce dernier, en application de l’article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, doit être signé. Le juge vérifie alors que cette obligation a bien été respectée en l’espèce. Il constate que « le bordereau de titre de recettes en litige a été signé par le directeur du pôle pilotage financier du département (…) de façon électronique par un procédé certifié ».
Cette décision a une portée pratique importante à l’heure de la dématérialisation des procédures administratives. Elle valide les procédures de signature électronique des titres exécutoires, pourvu qu’elles respectent les normes de sécurité garantissant l’identification de l’auteur et l’intégrité de l’acte. En distinguant les documents selon leur destinataire et leur fonction, la cour adopte une lecture pragmatique des textes, qui concilie les exigences de forme avec l’efficacité de l’action administrative. Elle évite ainsi qu’une contestation purement formelle, fondée sur une confusion entre les différents supports, ne puisse faire obstacle au recouvrement d’une créance.
B. La reconnaissance du caractère suffisant des bases de liquidation
Enfin, la requérante soutenait que le titre ne mentionnait pas les bases de sa liquidation, en méconnaissance de l’article 24 du décret du 7 novembre 2012. L’exigence de motivation vise à permettre au débiteur de comprendre l’origine, la nature et le calcul de sa dette. La cour examine le contenu du titre litigieux et constate qu’il mentionnait le montant mensuel de la redevance fixé par la convention d’occupation, le nombre de mois réclamés et les modalités de calcul. Elle en déduit que la société « ayant eu une connaissance précise de l’objet de la redevance d’occupation qui lui est réclamée ainsi que de ses éléments de calcul, le moyen tiré de l’insuffisance d’indication des bases de liquidation manque en fait ».
Cette solution confirme une jurisprudence constante selon laquelle l’obligation de motiver les bases de liquidation peut être satisfaite par référence à des documents connus du débiteur, comme la convention d’occupation elle-même. Le juge n’exige pas que le titre récapitule de manière exhaustive tous les éléments de calcul, mais s’assure que le redevable dispose des informations nécessaires pour vérifier le bien-fondé de la somme réclamée. Une telle approche pragmatique permet de ne pas sanctionner des titres pour des omissions formelles qui ne portent pas réellement préjudice aux droits du débiteur, tout en garantissant le respect de l’obligation de transparence qui pèse sur l’administration.