Par un arrêt en date du 5 juin 2025, une cour administrative d’appel se prononce sur les suites d’une occupation irrégulière du domaine public maritime en Polynésie française. En l’espèce, une société exploitant une ferme perlière avait bénéficié d’une autorisation d’occupation d’une partie du domaine public. Cependant, des agents assermentés ont constaté que l’exploitation dépassait de manière significative la superficie autorisée, ce qui a conduit à l’établissement d’un procès-verbal de contravention de grande voirie. La collectivité publique compétente a alors saisi le tribunal administratif afin d’obtenir la condamnation de la société et de son gérant au paiement d’amendes, à la remise en état des lieux et au remboursement des frais de procédure. Par un jugement du 14 novembre 2023, le tribunal administratif de la Polynésie française a fait droit à ces demandes, retenant la responsabilité conjointe de la personne morale et de son dirigeant. La société et son gérant ont interjeté appel de cette décision, soutenant notamment que le démantèlement des installations litigieuses avait été effectué et que la faute ne pouvait être imputée personnellement au gérant. Il revenait ainsi à la juridiction d’appel de déterminer, d’une part, si une contravention de grande voirie peut être maintenue lorsque sa cessation partielle est invoquée et, d’autre part, si la responsabilité personnelle du dirigeant d’une société peut être engagée alors que les actes de procédure initiaux ne le désignaient pas explicitement comme contrevenant. La cour administrative d’appel confirme la condamnation de la société mais réforme le jugement en ce qu’il retenait la responsabilité personnelle du gérant, au motif que les procès-verbaux de constat de l’infraction ne visaient que la personne morale. La décision permet ainsi de rappeler les conditions de caractérisation de l’infraction d’occupation illégale du domaine public (I), tout en précisant les règles d’imputation de la responsabilité qui en découle (II).
I. La caractérisation maintenue de l’atteinte au domaine public
La cour administrative d’appel confirme la décision des premiers juges quant à l’existence d’une contravention de grande voirie, en s’appuyant sur la nature continue de l’infraction (A) et en écartant les arguments relatifs à une remise en état prétendument effectuée (B).
A. La confirmation de l’infraction continue d’occupation irrégulière
Le juge rappelle que toute occupation du domaine public sans autorisation ou excédant les limites de celle-ci constitue une infraction. En l’espèce, le dépassement de près de vingt-huit hectares de la surface d’exploitation autorisée matérialise une atteinte à l’intégrité du domaine public maritime. Cette occupation illégale est qualifiée par la juridiction d’infraction continue. L’arrêt souligne à ce titre que pour de telles infractions, la prescription « ne court qu’à partir du jour où elles ont pris fin ». Par conséquent, l’action de l’administration n’était pas prescrite au moment de l’établissement du procès-verbal, quand bien même l’installation aurait été effective depuis plusieurs mois. Cette solution, classique en matière de contentieux domanial, permet d’assurer une protection efficace et durable des propriétés publiques. Elle signifie que tant que l’occupation illicite perdure, l’administration est fondée à la faire constater et à en poursuivre la répression. La cour valide donc sans surprise le raisonnement des premiers juges sur la constitution même de l’infraction reprochée à la société.
B. La persistance de l’obligation de remise en état
Face à l’argument des requérants selon lequel les installations litigieuses auraient été démantelées avant le jugement d’appel, la cour se montre rigoureuse quant à l’administration de la preuve. Elle constate que le seul document produit, un rapport d’agent de police municipale, est non seulement postérieur au jugement de première instance, mais également insuffisant pour attester d’une réparation intégrale du dommage. En effet, la juridiction souligne qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier (…) que les travaux de remise en état de la dépendance du domaine public maritime auraient été entièrement exécutés par la société ». L’obligation de remise en état, qui vise à effacer les conséquences de l’occupation illégale et à restaurer l’état initial du domaine, ne peut donc être levée par une simple allégation de démantèlement. Il appartient au contrevenant de démontrer de manière certaine et complète qu’il a satisfait à cette obligation. En l’absence d’une telle preuve, la condamnation à la remise en état, éventuellement sous astreinte ou par substitution, est logiquement maintenue à l’encontre de la société.
Après avoir ainsi confirmé la matérialité de l’atteinte au domaine public et la nécessité de sa réparation, le juge d’appel se consacre à l’identification de la personne devant en assumer la charge.
II. La redéfinition de l’imputation de la responsabilité
La portée principale de l’arrêt réside dans la distinction que la cour opère entre la responsabilité de la personne morale et celle de son dirigeant. Elle applique strictement le principe de personnalité des peines (A), ce qui conduit à une dissociation claire des responsabilités (B).
A. L’application du principe de personnalité des peines au dirigeant
Le point de bascule du raisonnement de la cour réside dans l’analyse des procès-verbaux qui ont initié les poursuites. Le gérant soutenait que sa responsabilité personnelle ne pouvait être recherchée. La cour accueille ce moyen en des termes particulièrement clairs. Elle énonce que « Si la responsabilité de la personne morale n’exclut pas celle de la personne physique qui la représente, il résulte, en l’espèce, de l’instruction que les deux procès-verbaux de constatation de l’infraction ne mentionnent que la société ». Cette formule consacre une application rigoureuse du principe selon lequel nul ne peut être poursuivi pour une infraction s’il n’est pas nommément visé par les actes de procédure. Bien que la responsabilité pénale des dirigeants de personnes morales soit un principe établi, sa mise en œuvre exige que les poursuites soient explicitement dirigées contre eux. L’administration ne peut donc pas, au stade du jugement, imputer une infraction à une personne physique si les constats initiaux ne la mettaient pas en cause. L’omission dans le procès-verbal initial est ici rédhibitoire pour l’action publique menée contre le gérant.
B. La portée de la dissociation des responsabilités
En conséquence de cette analyse, la cour administrative d’appel réforme intégralement le jugement du tribunal administratif en ce qu’il concernait le dirigeant. Ce dernier est ainsi exonéré du paiement de l’amende, de la participation aux frais de procès-verbal et de l’obligation de remettre les lieux en état. La charge de la sanction et de la réparation pèse donc exclusivement sur la société, seule contrevenante valablement identifiée par la procédure. Cette décision illustre l’importance fondamentale de la précision des actes de constatation d’infraction. Elle rappelle aux autorités administratives que l’identification du contrevenant conditionne la validité des poursuites ultérieures. Pour l’exploitant, cette solution clarifie la répartition des responsabilités : la société, en tant que titulaire de l’autorisation d’exploitation et bénéficiaire directe de l’infraction, en assume seule les conséquences juridiques et financières, tandis que son représentant légal est protégé par les garanties procédurales fondamentales. La portée de l’arrêt est donc avant tout un rappel à la rigueur procédurale qui s’impose à l’administration dans l’exercice de ses pouvoirs de police domaniale.