Cour d’appel administrative de Paris, le 27 mars 2025, n°23PA01435

Par un arrêt en date du 27 mars 2025, la cour administrative d’appel s’est prononcée sur les conséquences d’une opposition à contrôle fiscal, notamment sur la possibilité d’imputer à une société associée les pénalités réprimant une obstruction commise par ses filiales.

En l’espèce, une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, exerçant une activité de promotion immobilière, détenait la quasi-totalité des parts de deux sociétés civiles immobilières dont elle assurait également la gérance. À la suite d’une tentative de vérification de comptabilité de ces deux filiales, l’administration fiscale a constaté une impossibilité de mener à bien ses opérations de contrôle, les avis de vérification étant retournés non réclamés et aucun représentant ne s’étant présenté. L’administration a qualifié cette situation d’opposition à contrôle fiscal et a, par conséquent, procédé à une évaluation d’office des bases d’imposition des filiales, avant de notifier à la société mère les cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés correspondant à sa quote-part, assorties d’une majoration de 100 % pour opposition à contrôle.

La société mère a saisi le tribunal administratif de Melun d’une demande en décharge de ces impositions et pénalités. Par un jugement du 13 février 2023, le tribunal a rejeté sa demande. La société a alors interjeté appel, contestant la régularité de la procédure d’imposition et le bien-fondé des pénalités. Elle soutenait, d’une part, que son gérant était dans l’impossibilité de répondre aux sollicitations de l’administration pour des raisons de santé. D’autre part, elle arguait que la pénalité de 100 %, fondée sur une obstruction imputable aux seules filiales, ne pouvait lui être appliquée en vertu du principe de personnalité des peines. Enfin, elle contestait la conformité de cette sanction avec les stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Il revenait ainsi aux juges d’appel de déterminer si la pénalité pour opposition à contrôle fiscal commise par une société peut être mise à la charge de sa société mère qui en est l’associée quasi-unique et la gérante. Il leur appartenait également de se prononcer sur la compatibilité de cette sanction avec le droit à un procès équitable et le droit au respect des biens.

La cour administrative d’appel rejette le recours de la société. Elle confirme que l’inertie de la société gérante et de ses filiales caractérise une situation d’opposition à contrôle fiscal. Elle juge ensuite que la pénalité de 100 % a pu être légalement appliquée à la société mère, compte tenu de son rôle de dirigeante des sociétés contrôlées. Enfin, elle écarte les griefs tirés d’une non-conformité de cette sanction aux droits et libertés garantis par la Convention européenne.

Cette décision permet de clarifier les conditions d’imputation d’une sanction fiscale au sein d’un groupe de sociétés (I), tout en confirmant la validité de la pénalité pour opposition à contrôle fiscal au regard des exigences conventionnelles (II).

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I. L’imputation justifiée de la sanction pour opposition à contrôle à la société associée

La cour valide l’application de la sanction à la société requérante en se fondant d’abord sur une appréciation stricte de la notion d’opposition à contrôle (A), avant de procéder à une analyse fonctionnelle de la responsabilité qui transcende la personnalité morale des sociétés contrôlées (B).

A. La caractérisation rigoureuse de l’opposition à contrôle fiscal

La juridiction d’appel écarte sans ambiguïté les justifications avancées par la société pour expliquer son absence de réponse aux demandes de l’administration. Elle relève que les deux certificats médicaux produits, établis plusieurs années après les faits, ne suffisent pas à « justifier de l’inertie dont les deux SCI et l’EURL ont fait preuve au cours de l’ensemble de la période de vérification ». En adoptant une telle position, la cour rappelle que la preuve d’une impossibilité absolue de répondre ou de mandater un tiers doit être solidement établie pour échapper à la qualification d’opposition à contrôle.

Cette approche factuelle et rigoureuse est constante en la matière. L’opposition à contrôle ne résulte pas nécessairement d’actes positifs d’obstruction, mais peut être constituée par une simple passivité ou une inertie prolongée rendant impossible l’exercice du pouvoir de contrôle de l’administration. En l’espèce, le retour des plis recommandés avec la mention « avisé et non réclamé » et l’absence de tout interlocuteur lors des interventions notifiées suffisent à matérialiser cette obstruction. La cour souligne d’ailleurs que, dans le même temps, « il est constant que l’activité des deux SCI et de l’EURL n’a pas cessé », ce qui affaiblit d’autant la thèse d’une incapacité totale du gérant. En conséquence, la mise en œuvre de la procédure d’évaluation d’office prévue à l’article L. 74 du livre des procédures fiscales était pleinement justifiée.

B. L’extension de la responsabilité à l’associé exerçant la gérance

L’argument principal de la société requérante reposait sur le principe de personnalité des peines, selon lequel elle ne pouvait être sanctionnée pour une faute commise par des entités juridiques distinctes, ses filiales. La cour écarte ce moyen en retenant une conception réaliste de l’exercice du pouvoir au sein du groupe. Elle juge que les principes de responsabilité personnelle et de personnalité des peines ne font pas obstacle à l’application de la sanction à la société mère.

Son raisonnement repose sur le constat que « l’EURL Saferim détient la quasi-totalité des parts des SCI Villa Verde et Pégase et que les trois sociétés ont le même dirigeant ». Cette double qualité d’associé quasi-unique et de gérant commun place la société mère en position de contrôle total sur ses filiales. Dès lors, elle ne peut être considérée comme un tiers étranger à l’obstruction. En tant que dirigeante de fait et de droit des sociétés contrôlées, elle était tenue de veiller au respect de leurs obligations fiscales. Le manquement à cette obligation lui est donc directement imputable. La cour en conclut que la requérante « n’est pas fondée à soutenir qu’elle n’a pas participé à l’opposition à contrôle reprochée aux SCI ». Cette solution s’inscrit dans une logique pragmatique qui prévaut en droit fiscal, où la réalité des pouvoirs prime souvent sur le formalisme des structures juridiques.

II. La conformité réaffirmée de la pénalité pour opposition à contrôle au droit conventionnel

Après avoir validé l’imputation de la sanction, la cour confirme sa compatibilité avec la Convention européenne des droits de l’homme. Elle écarte le grief tiré d’une atteinte au droit à un procès équitable (A) ainsi que celui fondé sur une violation du droit de propriété (B).

A. Le rejet de l’argument d’une sanction automatique contraire au droit à un procès équitable

La requérante soutenait que le caractère automatique de la majoration de 100 %, prévue par l’article 1732 du code général des impôts, méconnaissait l’article 6 de la Convention européenne. La cour réfute cette analyse en rappelant que le contribuable dispose de plusieurs garanties. D’une part, l’administration doit établir la matérialité de l’opposition à contrôle. D’autre part, et surtout, le juge de l’impôt « exerce un plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l’administration pour appliquer l’amende et décide, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir cette amende, soit d’en prononcer la décharge ».

Cette motivation, conforme à la jurisprudence constante du Conseil d’État, souligne que l’existence d’un recours de pleine juridiction devant le juge de l’impôt suffit à garantir les exigences du procès équitable. Le mécanisme de l’article 1732 n’est donc pas celui d’une sanction purement automatique, mais celui d’une pénalité déclenchée par des faits précis et entièrement soumise au contrôle a posteriori d’un juge disposant de pouvoirs étendus. La sanction n’est donc pas infligée sans que le contribuable ait pu contester utilement les faits qui la fondent. La solution est classique mais réaffirme que la sévérité d’une sanction fiscale n’emporte pas sa non-conventionnalité dès lors que les droits de la défense et le droit au juge sont préservés.

B. La justification de l’atteinte au droit de propriété par un objectif légitime

La société arguait enfin que la pénalité de 100 % portait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de ses biens, garanti par l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention. La cour procède ici à un contrôle de proportionnalité classique. Elle reconnaît que la majoration constitue une ingérence dans le droit de propriété, mais juge cette ingérence justifiée.

Elle énonce que l’application de cette majoration, « qui a pour objet de lutter contre la fraude fiscale, n’a pas porté une atteinte disproportionnée, au regard de l’objectif poursuivi ». L’objectif de lutte contre la fraude fiscale est un motif d’intérêt général reconnu comme légitime. La cour estime que la sanction est adaptée à la gravité du manquement, l’opposition à contrôle fiscal étant une obstruction qui paralyse l’une des prérogatives essentielles de la puissance publique. En liant l’assiette de la pénalité aux droits rappelés, le législateur a instauré un lien de proportionnalité entre l’impôt éludé et la sanction. La décision confirme ainsi que la répression de l’obstruction fiscale, par une pénalité dissuasive, constitue un juste équilibre entre la sauvegarde de l’intérêt général et la protection du droit de propriété.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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