L’autorisation d’urbanisme constitue un instrument essentiel par lequel l’administration exerce son contrôle sur l’aménagement du territoire, en veillant notamment à la préservation de la sécurité publique. Un arrêt rendu par une cour administrative d’appel le 7 mars 2025 illustre avec rigueur la portée de ce contrôle lorsque des risques naturels sont susceptibles d’affecter un projet de construction.
En l’espèce, une société a obtenu un permis de construire, puis un permis modificatif, pour un projet de réhabilitation et de construction de plusieurs bâtiments à usage de logements, de commerces et de stationnements. Le projet était situé au pied d’une falaise dans une zone soumise à un plan de prévention des risques de mouvements de terrain. Des voisins, constitués en société civile immobilière et en syndicat de copropriétaires, ont formé un recours gracieux contre le permis initial, qui a été implicitement rejeté. Ils ont alors saisi le tribunal administratif de Caen, qui a annulé les deux permis de construire ainsi que la décision de rejet du recours gracieux. La société bénéficiaire des autorisations a interjeté appel de ce jugement, soutenant notamment la régularité de son projet au regard des règles de sécurité et d’urbanisme.
La question de droit soulevée par cette décision était de déterminer dans quelle mesure l’insuffisance de l’évaluation des risques naturels affectant un projet de construction justifie l’annulation d’un permis de construire sans possibilité de régularisation.
La cour administrative d’appel rejette la requête de la société pétitionnaire, confirmant ainsi l’annulation prononcée en première instance. Elle juge que le maire a commis une erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme en autorisant le projet sans disposer d’une étude géotechnique complète permettant d’évaluer précisément les risques de mouvements de terrain et de définir les mesures de prévention nécessaires. En conséquence, la cour estime que cette carence fondamentale dans l’appréciation du risque pour la sécurité publique ne permet pas d’envisager une mesure de régularisation du permis de construire.
L’analyse de cette décision conduit à examiner le contrôle rigoureux exercé par le juge sur l’obligation d’appréciation du risque pour la sécurité publique (I), avant d’étudier les conséquences radicales qui en découlent quant au sort de l’autorisation d’urbanisme (II).
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I. Le contrôle rigoureux de l’obligation d’appréciation du risque pour la sécurité publique
La cour administrative d’appel confirme la censure du permis de construire en s’appuyant sur une conception stricte de l’obligation de sécurité, qui impose une évaluation préalable et complète des risques (A) et entraîne par contagion la violation d’autres règles d’urbanisme (B).
A. La confirmation de l’exigence d’une étude préalable et complète des risques
L’arrêt rappelle avec force que l’autorité compétente pour délivrer une autorisation d’urbanisme doit se fonder sur une analyse suffisante des risques pour la sécurité publique. En vertu de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, un projet peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la sécurité publique. La cour souligne qu’il appartient à l’administration d’apprécier ce risque en tenant compte « tant de la probabilité de réalisation de ces risques que de la gravité de leurs conséquences ». En l’espèce, le projet se situait dans une zone classée à risque « moyen ou faible » de mouvements de terrain, mais à proximité immédiate d’une zone à risque « fort ».
Le juge relève que si une première étude géotechnique avait été menée, elle avait conduit à l’abandon d’une partie du projet initial en raison des « risques de déstabilisation de la falaise ». Cependant, pour le projet finalement autorisé, aucune nouvelle étude n’avait été réalisée pour évaluer l’impact des démolitions et des nouvelles constructions au pied de la falaise. Une note produite ultérieurement par un bureau d’études a même confirmé la nécessité d’investigations supplémentaires pour évaluer la stabilité du site et définir des mesures de confortement. Pour la cour, cette absence d’analyse approfondie à la date de délivrance du permis est rédhibitoire. Elle considère qu’en l’absence « de toute étude propre à évaluer précisément le niveau de risque », il n’était pas possible pour le maire de s’assurer que le projet prévoyait les mesures suffisantes pour le prévenir. Le contrôle du juge s’attache donc moins au risque lui-même qu’à la capacité effective de l’administration à l’apprécier au moment de sa décision.
B. L’application extensive de la méconnaissance des règles d’urbanisme locales
La défaillance dans l’appréciation du risque sécuritaire contamine la légalité du projet au regard d’autres dispositions du plan local d’urbanisme. D’abord, la cour juge que le projet méconnaît l’article UF 1 du règlement local, qui interdit les occupations du sol incompatibles avec la sécurité. Pour les juges, la logique est implacable : en l’absence d’une étude attestant de la prise en compte du risque de mouvements de terrain, le projet ne peut être regardé comme « compatible » avec cette exigence de sécurité. La violation de l’article R. 111-2 entraîne ainsi mécaniquement celle de la disposition locale qui en est le corollaire.
Ensuite, la cour valide également les autres moyens d’annulation retenus par les premiers juges, tenant à la méconnaissance des règles de hauteur et de stationnement. Elle constate que l’un des bâtiments projetés dépassait la hauteur maximale autorisée par l’article UF 10 du règlement, sans que les exceptions prévues pour les saillies architecturales soient applicables. De même, elle relève que le projet ne respectait pas l’obligation de créer une place de stationnement par tranche de 60 m² de surface d’habitation, comme l’exige l’article UF 12. La tentative de régularisation par l’acquisition d’une place de stationnement après la délivrance du permis est jugée inopérante, car l’appréciation de la légalité s’effectue à la date de l’acte. Cette accumulation de vices, bien que secondaires par rapport à la question de la sécurité, vient conforter la fragilité juridique de l’autorisation délivrée.
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II. Les conséquences radicales de l’insuffisante évaluation des risques
La constatation de cette carence fondamentale dans l’instruction du dossier conduit la juridiction administrative à prononcer une sanction sévère, se traduisant par l’annulation inévitable du permis pour erreur manifeste d’appréciation (A) et, de manière plus notable, par un refus pragmatique de toute mesure de régularisation (B).
A. L’annulation inévitable du permis de construire pour erreur manifeste d’appréciation
La cour confirme que le maire a entaché sa décision d’une « erreur manifeste d’appréciation au regard des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme ». Cette qualification n’est pas neutre. Elle sanctionne une erreur d’une gravité particulière dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administration. En l’espèce, le caractère manifeste de l’erreur ne résulte pas d’une mauvaise appréciation d’un risque connu, mais de la décision même d’autoriser un projet en dépit d’une ignorance substantielle d’un risque avéré.
En se bornant à assortir le permis de construire de prescriptions générales, alors qu’il « ne disposait pas des éléments lui permettant d’apprécier précisément le risque », le maire a failli à son obligation première de protection de la sécurité publique. La décision de la cour réaffirme que le principe de précaution, sans être directement nommé, innerve l’application du droit de l’urbanisme. Face à un risque potentiellement grave, l’incertitude ne doit pas profiter au pétitionnaire mais commander la prudence à l’administration. L’annulation totale de l’arrêté initial et du permis modificatif apparaît dès lors comme la seule sanction à la hauteur de la défaillance constatée.
B. Le refus pragmatique d’une mesure de régularisation
L’aspect le plus significatif de cet arrêt réside dans le refus de la cour de faire application des mécanismes de régularisation prévus aux articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. Ces dispositions permettent au juge de sauver un projet en n’annulant que la partie viciée ou en sursoyant à statuer pour permettre au titulaire du permis de corriger l’illégalité. Cependant, la cour écarte cette possibilité, estimant qu’il « n’est pas établi que les vices (…) sont susceptibles d’être régularisés ».
Le raisonnement des juges est d’une grande logique pratique. Un vice est régularisable si sa nature et sa portée sont identifiées, permettant ainsi d’envisager une mesure corrective qui ne bouleverse pas l’économie générale du projet. Or, en l’espèce, le vice principal ne réside pas dans un défaut technique précis, mais dans l’absence même d’une évaluation du risque. Faute de connaître l’ampleur du danger et la nature des travaux de confortement qui seraient éventuellement nécessaires, il est impossible de savoir si une régularisation est réalisable et si elle n’imposerait pas une modification si substantielle du projet qu’elle en changerait la nature même. En refusant la régularisation face à une telle incertitude, la cour fixe une limite importante à ces outils de sauvetage des autorisations d’urbanisme : ils ne sauraient servir à pallier une instruction manifestement insuffisante sur un enjeu aussi fondamental que la sécurité publique.