Cour d’appel administrative de Nantes, le 3 octobre 2025, n°24NT00064

Un requérant, locataire d’un appartement voisin, a contesté un permis de construire accordé par le maire d’une commune littorale pour une maison individuelle. Il a d’abord saisi le tribunal administratif, qui a rejeté sa demande par un jugement du 7 novembre 2023. Le requérant a ensuite interjeté appel de ce jugement, demandant l’annulation du permis de construire ainsi que de la décision de rejet de son recours gracieux. Il soulevait plusieurs moyens, notamment l’irrégularité de la procédure d’avis de l’architecte des bâtiments de France, l’illégalité du plan local d’urbanisme au regard de documents de rang supérieur, et une erreur manifeste d’appréciation du maire pour ne pas avoir sursis à statuer. La question centrale posée à la cour administrative d’appel était donc de déterminer si le permis de construire avait été légalement délivré, ce qui impliquait de vérifier la régularité de la procédure de consultation et la légalité des règles d’urbanisme appliquées au projet. Par un arrêt du 3 octobre 2025, la cour administrative d’appel a rejeté la requête, confirmant ainsi le jugement de première instance en écartant l’ensemble des moyens soulevés par le requérant. La cour a estimé que la procédure avait été régulière et que les règles d’urbanisme applicables n’étaient entachées d’aucune illégalité.

La décision commentée s’attache à contrôler la légalité externe et interne d’une autorisation d’urbanisme en clarifiant les conditions de régularité des procédures de consultation et l’articulation des normes d’urbanisme. Il convient ainsi d’analyser la validation par le juge de la procédure d’avis tacite de l’architecte des bâtiments de France (I), avant d’examiner la confirmation de la légalité du document d’urbanisme local au regard des normes supérieures (II).

***

**I. La validation de la régularité de la procédure d’avis tacite**

Le juge administratif rappelle que la régularité d’un avis tacite dépend de la complétude du dossier transmis à l’autorité consultée. Il opère une distinction entre les irrégularités substantielles et celles qui ne le sont pas, précisant le rôle de l’architecte des bâtiments de France (A) avant d’appliquer ce raisonnement pour écarter l’argumentation du requérant (B).

**A. La portée de l’avis de l’architecte des bâtiments de France**

La cour administrative d’appel rappelle le cadre juridique applicable à la consultation de l’architecte des bâtiments de France pour un projet situé en site inscrit. Aux termes de l’article R. 425-30 du code de l’urbanisme, une telle consultation est obligatoire, et l’avis est réputé favorable à l’expiration d’un délai de deux mois en l’absence de réponse. Cependant, le juge précise qu’un avis tacite ne peut naître que si le dossier transmis est suffisamment complet pour permettre à l’autorité consultée de se prononcer en connaissance de cause. La cour introduit une nuance importante en jugeant que le caractère incomplet du dossier « ne constitue pas nécessairement une irrégularité de nature à entacher d’illégalité l’autorisation délivrée ».

Pour apprécier la portée de cette incomplétude, le juge se livre à une analyse concrète. Il lui appartient de rechercher « si ce caractère incomplet a fait obstacle à ce que l’autorité compétente dispose des éléments nécessaires pour se prononcer en connaissance de cause ». Cette approche pragmatique permet de ne pas invalider une procédure pour des omissions mineures qui n’auraient pas d’incidence sur le sens de l’avis qui aurait été rendu. La solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui cherche à neutraliser les vices de procédure purement formels, pour se concentrer sur leur impact réel sur la décision finale. Le juge de l’excès de pouvoir ne sanctionne donc pas toute irrégularité, mais seulement celle qui a privé l’administration d’une garantie ou a exercé une influence sur sa décision.

**B. L’appréciation in concreto du caractère suffisant du dossier**

En l’espèce, la cour applique ce principe avec rigueur. Le dossier de demande de permis de construire avait été transmis à l’architecte des bâtiments de France, mais des compléments demandés ultérieurement par la commune au pétitionnaire ne lui ont pas été communiqués. Ces compléments concernaient des « incohérences des déclarations du pétitionnaire quant à la superficie de la parcelle », la gestion des eaux pluviales et les dimensions d’un logement en fond de parcelle. La cour estime cependant que ces éléments étaient mineurs ou que les autres pièces du dossier permettaient de pallier leur absence.

Elle en conclut que « le défaut de transmission à l’architecte des bâtiments de France de ces informations n’a pas empêché ce dernier de se prononcer sur le projet en toute connaissance de cause ». Par conséquent, ce défaut de transmission n’a pas interrompu le délai de deux mois, et l’avis tacite favorable était valablement né à la date de délivrance du permis de construire. Cette analyse factuelle et circonstanciée démontre la volonté du juge de ne pas censurer une autorisation pour un motif de pure forme, dès lors que l’esprit de la règle de consultation a été respecté. La protection du site inscrit, finalité de l’intervention de l’architecte des bâtiments de France, n’a pas été compromise par ces omissions.

***

**II. La confirmation de la légalité du document d’urbanisme local**

La cour examine ensuite les moyens soulevés par la voie de l’exception d’illégalité à l’encontre du plan local d’urbanisme. Elle se prononce sur la hiérarchie des normes d’urbanisme en jeu (A) puis sur l’absence d’erreur manifeste d’appréciation dans le classement de la parcelle (B).

**A. L’articulation des normes d’urbanisme et le rapport de compatibilité**

Le requérant soutenait que le plan local d’urbanisme était incompatible avec la directive territoriale d’aménagement (DTA) de l’Estuaire de la Loire. La cour rappelle l’état du droit en la matière, précisant que « le rapport de compatibilité existant entre les plans locaux d’urbanisme et les directives territoriales d’aménagement ne s’impose qu’en l’absence de schéma de cohérence territoriale ». Or, en l’espèce, le territoire de la commune est couvert par un schéma de cohérence territoriale (SCoT). Le moyen tiré de l’incompatibilité avec la DTA est donc jugé inopérant, le SCoT faisant écran entre le plan local d’urbanisme et la directive.

Le juge se penche alors sur la compatibilité du plan local d’urbanisme avec le SCoT. Il rappelle que cette compatibilité s’apprécie « dans le cadre d’une analyse globale » et non par rapport à chaque disposition particulière du document supérieur. La cour examine les objectifs du SCoT pour les « espaces urbanisés sensibles » où se situe le projet, qui visent notamment à « limiter sensiblement l’urbanisation et de valoriser le patrimoine architectural et paysager ». Elle constate que, compte tenu des « dimensions très limitées » du terrain, une éventuelle non-conformité du classement de cette seule parcelle ne suffit pas à caractériser une incompatibilité globale du plan. De plus, les règles de la zone UBf3 du PLU ne sont pas jugées contraires aux objectifs du SCoT.

**B. L’absence d’erreur manifeste dans le classement de la zone**

Enfin, le requérant arguait d’une erreur manifeste d’appréciation des auteurs du plan local d’urbanisme pour avoir classé la parcelle en zone urbanisée UB. La cour écarte ce moyen en relevant que ni la présence du terrain dans un « espace remarquable » de la DTA, ni son inclusion dans un « espace urbain sensible » du SCoT n’impliquaient nécessairement une interdiction de construire. Le classement en zone UB, correspondant à une « zone déjà urbanisée à caractère d’habitat », n’est donc pas considéré comme une décision manifestement erronée par les juges du fond.

De même, la cour rejette le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation du maire qui n’a pas opposé de sursis à statuer. Elle estime que le projet, « qui consiste dans l’édification d’une maison d’habitation d’une hauteur de 6 mètres et d’une surface de plancher de 142,60 m² », n’était pas de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur plan local d’urbanisme intercommunal. Cette décision confirme le caractère limité du contrôle du juge sur l’opportunité d’une décision de sursis à statuer, qui relève d’une large marge d’appréciation de l’autorité compétente. Le juge ne sanctionne que les erreurs les plus évidentes, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture