Par un arrêt du 16 mai 2025, la cour administrative d’appel de Nantes s’est prononcée sur les conditions de mise en œuvre du recours en rectification d’erreur matérielle. En l’espèce, un groupement agricole s’était vu refuser par l’autorité préfectorale une autorisation d’exploiter plusieurs parcelles de terre. Le groupement avait alors saisi le tribunal administratif de Rennes afin d’obtenir l’annulation de cette décision de refus, mais sa demande fut rejetée par un jugement du 2 mai 2023. Saisie en appel par le groupement, la cour administrative d’appel, par un premier arrêt du 6 décembre 2024, avait annulé le jugement de première instance ainsi que la décision administrative de refus. La cour avait enjoint au préfet de délivrer l’autorisation d’exploiter, mais en visant dans son dispositif des parcelles qui n’étaient pas concernées par la demande initiale du groupement. C’est dans ce contexte que le ministre de l’agriculture a saisi la cour d’un recours en rectification d’erreur matérielle, considérant que sa précédente décision statuait au-delà de l’objet du litige. Le groupement agricole, bénéficiaire de la décision, a d’ailleurs admis le bien-fondé de cette demande de rectification. Il revenait donc à la cour de déterminer si le fait d’inclure dans une injonction des parcelles étrangères au litige constituait une erreur matérielle pouvant faire l’objet du recours spécifique prévu par l’article R. 833-1 du code de justice administrative. La juridiction d’appel répond par l’affirmative, en retenant que « en incluant également, dans ses motifs et dans son dispositif, les parcelles WK68 et WL35 alors qu’elles n’ont jamais été l’objet du litige, la cour a entaché son arrêt d’une erreur matérielle ». Elle juge que cette erreur, n’étant pas imputable aux parties et ayant exercé une influence sur le jugement de l’affaire, justifie la rectification de sa précédente décision.
L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Nantes met en lumière le mécanisme de correction des erreurs matérielles, conçu comme un outil de régularisation procédurale strictement encadré (I), dont la mise en œuvre, bien que classique en l’espèce, réaffirme les limites de l’office du juge administratif (II).
I. Le recours en rectification, un mécanisme encadré au service de la cohérence du jugement
La décision commentée offre une illustration pédagogique de la manière dont le juge administratif identifie une erreur matérielle affectant l’objet même de la saisine (A) et applique ensuite de façon rigoureuse les conditions légales ouvrant droit à sa rectification (B).
**A. La caractérisation d’une erreur matérielle affectant l’objet du litige**
L’erreur rectifiée par la cour dans son arrêt du 16 mai 2025 est une erreur de fait qui a modifié la consistance même de la chose jugée. La juridiction d’appel avait, dans sa décision initiale du 6 décembre 2024, enjoint à l’administration de délivrer une autorisation d’exploiter pour une superficie totale de près de 30 hectares, alors que la demande initiale et, par conséquent, le litige ne portaient que sur environ 17 hectares. Cet écart factuel, résultant de l’ajout de deux références cadastrales étrangères à la contestation, constitue le fondement de la rectification.
La cour qualifie cette discordance d’« erreur matérielle au sens des dispositions de l’article R. 833-1 du code de justice administrative ». En statuant ainsi, elle reconnaît avoir jugé *ultra petita*, c’est-à-dire au-delà des demandes dont elle était saisie. Le juge administratif, comme le juge judiciaire, est en effet tenu par le principe dispositif qui lui interdit de se prononcer sur des prétentions qui ne lui ont pas été soumises. La rectification a donc pour objet de restaurer la concordance entre la demande des parties et la réponse du juge, assurant ainsi la cohérence du processus juridictionnel.
**B. L’application rigoureuse des conditions du recours en rectification**
Le recours en rectification d’erreur matérielle est une procédure dérogatoire au principe de dessaisissement du juge et d’autorité de la chose jugée. C’est pourquoi l’article R. 833-1 du code de justice administrative en subordonne l’ouverture à des conditions strictes, que la cour prend soin de vérifier. La décision rappelle que ce recours « n’est ainsi ouvert qu’en vue de corriger des erreurs de caractère matériel qui ne sont pas imputables aux parties et qui ont pu avoir une influence sur le sens de la décision ».
En l’espèce, la cour constate que les trois conditions cumulatives sont réunies. L’erreur est bien matérielle, puisqu’elle porte sur l’identification des parcelles en cause. Elle n’est pas imputable aux parties, le ministre demandeur à la rectification et le groupement agricole ayant tous deux souligné la méprise. Enfin, cette erreur a eu une incidence déterminante sur la portée de la décision, l’injonction adressée au préfet étant substantiellement différente avec ou sans les parcelles indûment ajoutées. L’application orthodoxe de ces critères par la cour confirme le caractère exceptionnel de ce recours, qui ne saurait servir de voie d’appel déguisée ou de moyen de remettre en cause l’appréciation juridique du juge.
II. La portée d’une solution classique réaffirmant les limites de l’office du juge
La décision de rectification, si elle ne constitue pas un revirement de jurisprudence, n’en demeure pas moins intéressante par sa fonction de rappel des principes directeurs du procès administratif (A) et se présente comme une décision d’espèce dont l’influence restera logiquement circonscrite (B).
**A. Une décision confortant la sécurité juridique et le principe dispositif**
En acceptant de corriger sa propre décision, la cour administrative d’appel fait œuvre de bonne administration de la justice. Elle assure l’effectivité du principe de sécurité juridique en garantissant que la décision qui sera exécutée par l’administration correspond exactement à ce qui a été jugé et, avant cela, à ce qui avait été demandé. Une décision entachée d’une erreur factuelle aussi manifeste serait en effet source d’insécurité pour l’administration chargée de l’exécuter comme pour les justiciables concernés.
Par ailleurs, cette solution réaffirme avec force l’empire du principe dispositif sur l’office du juge. Le juge ne peut modeler l’objet du litige à sa guise ; il est le serviteur des conclusions des parties. En se corrigeant, la cour rappelle que son pouvoir de décision, aussi étendu soit-il, trouve sa limite dans le cadre fixé par les requérants. Cette autolimitation est un gage d’impartialité et de prévisibilité pour les justiciables, qui doivent pouvoir anticiper le champ de la décision juridictionnelle à venir.
**B. Une solution d’espèce à l’influence jurisprudentielle limitée**
La portée de cet arrêt doit cependant être mesurée. Il s’agit d’une décision d’espèce, dont la solution est entièrement dictée par les faits singuliers de la cause et l’application d’une règle de procédure bien établie. L’erreur était patente et sa qualification ne prêtait guère à discussion, d’autant que les parties s’accordaient sur son existence. L’arrêt ne dégage donc aucun principe nouveau et ne modifie pas l’état du droit relatif à la notion d’erreur matérielle.
Son principal intérêt est donc illustratif. Il fournit un exemple clair de ce qui constitue une erreur matérielle de type *ultra petita* et du formalisme qui préside à sa correction. Il rappelle aux praticiens du droit l’importance d’une définition précise de l’objet de leurs demandes et la nécessité pour le juge de vérifier scrupuleusement sa propre saisine. En définitive, cette décision, par sa simplicité même, contribue à la lisibilité d’un mécanisme procédural essentiel à la qualité de la justice administrative.