Cour d’appel administrative de Nantes, le 10 janvier 2025, n°23NT00914

Par un arrêt en date du 10 janvier 2025, une cour administrative d’appel a été amenée à se prononcer sur la légalité d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable de travaux concernant l’édification d’une antenne de radiotéléphonie mobile. En l’espèce, une société de télécommunication avait déposé une déclaration préalable pour l’installation d’un pylône de près de cinquante mètres de hauteur et de ses locaux techniques. Le maire de la commune d’implantation ne s’était pas opposé au projet, décision que plusieurs riverains ont alors contestée. Saisi de trois requêtes, le tribunal administratif de Nantes les a jointes et rejetées par un jugement du 31 janvier 2023. Les requérants ont interjeté appel de ce jugement, soulevant de multiples moyens tenant tant à la régularité du jugement qu’au bien-fondé de la décision administrative. Ils soutenaient principalement que le projet, en raison de son emprise au sol, aurait dû faire l’objet d’un permis de construire et non d’une simple déclaration préalable. Ils arguaient également de l’insuffisance du dossier de déclaration, de la méconnaissance des règles de desserte par les réseaux et de la violation du principe de précaution au regard des risques sanitaires et environnementaux allégués. La question de droit posée à la cour était donc de déterminer, d’une part, le régime d’autorisation d’urbanisme applicable aux antennes-relais de radiotéléphonie mobile et, d’autre part, l’étendue du contrôle que l’autorité administrative doit exercer sur de tels projets au regard notamment des risques invoqués. La cour administrative d’appel rejette les requêtes, considérant que le projet relevait bien de la procédure de déclaration préalable. Elle précise que pour l’appréciation des seuils d’emprise au sol et de surface de plancher, « seules la surface de plancher et l’emprise au sol des locaux et installations techniques doivent être prises en compte, et non l’emprise au sol des pylônes ». La cour écarte par ailleurs les autres moyens, rappelant que le contrôle au titre du code de l’urbanisme ne se confond pas avec celui relevant d’autres législations.

La décision commentée clarifie ainsi le régime procédural applicable à l’installation des antennes-relais (I), tout en réaffirmant les frontières du contrôle exercé par l’autorité d’urbanisme (II).

I. La clarification du régime d’urbanisme applicable aux antennes-relais

L’arrêt apporte une précision essentielle sur les modalités de calcul des seuils déterminant la procédure applicable aux antennes de radiotéléphonie (A), ce qui confirme une approche pragmatique du contenu du dossier de déclaration (B).

A. L’interprétation des critères de la déclaration préalable

La cour administrative d’appel valide le raisonnement des premiers juges en opérant une lecture combinée des dispositions de l’article R. 421-9 du code de l’urbanisme. Cet article soumet à déclaration préalable les constructions nouvelles qui, en dehors des secteurs protégés, présentent une hauteur supérieure à douze mètres mais une emprise au sol et une surface de plancher inférieures ou égales à cinq mètres carrés, tout en prévoyant un régime spécifique pour les antennes-relais. Le j) de cet article vise en effet « Les antennes-relais de radiotéléphonie mobile et leurs systèmes d’accroche, quelle que soit leur hauteur, et les locaux ou installations techniques nécessaires à leur fonctionnement dès lors que ces locaux ou installations techniques ont une surface de plancher et une emprise au sol supérieures à 5 m² et inférieures ou égales à 20 m² ». Face à l’articulation de ces dispositions, l’arrêt énonce une règle d’interprétation claire en affirmant que « pour l’appréciation des seuils applicables à ces projets de constructions (…) seules la surface de plancher et l’emprise au sol des locaux et installations techniques doivent être prises en compte, et non l’emprise au sol des pylônes ».

Cette solution a le mérite de la simplicité et de la prévisibilité juridique. En excluant l’emprise au sol du pylône lui-même, qui peut être structurellement large mais ne constitue pas un volume bâti au sens usuel, la cour concentre l’analyse sur les seuls éléments techniques qui créent une surface bâtie, à savoir les locaux et installations techniques. Le projet en cause, malgré une hauteur de plus de quarante-sept mètres et une dalle de trente-six mètres carrés, relevait donc de la déclaration préalable car les installations techniques en elles-mêmes présentaient une surface de plancher inférieure à cinq mètres carrés. Cette interprétation entérine le fait que la hauteur, même très importante, d’un pylône n’est pas en soi un critère suffisant pour imposer le régime plus lourd du permis de construire, le législateur ayant privilégié les critères de surface de plancher et d’emprise au sol des constructions annexes.

B. La confirmation d’une approche pragmatique du contrôle du dossier

Découlant logiquement de cette qualification procédurale, le contrôle exercé par l’autorité d’urbanisme sur la composition du dossier de déclaration préalable s’en trouve défini. Les requérants invoquaient l’insuffisance du projet architectural et l’absence de certaines pièces qu’ils estimaient requises. La cour rappelle la jurisprudence constante selon laquelle la circonstance qu’un dossier « ne comporterait pas l’ensemble des documents exigés (…), ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, ne serait susceptible d’entacher d’illégalité l’autorisation d’urbanisme que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier auraient été de nature à fausser l’appréciation portée par l’autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable ».

Appliquant ce principe, elle juge que les pièces fournies, bien qu’imparfaites, étaient suffisantes pour permettre au service instructeur d’apprécier l’insertion du projet dans son environnement. Elle écarte également l’argument tiré de l’absence d’informations sur la puissance des antennes, en rappelant « qu’il n’appartient pas à l’autorité en charge de la délivrance des autorisations d’urbanisme de veiller au respect de la réglementation des postes et communications électroniques ». Cette dissociation des contrôles est une constante du droit de l’urbanisme et trouve ici une nouvelle illustration. L’autorisation d’urbanisme a pour seul objet la vérification de la conformité du projet aux règles d’occupation des sols, et non à l’ensemble des réglementations sectorielles susceptibles de s’appliquer par ailleurs.

II. La réaffirmation des limites du contrôle exercé en matière d’urbanisme

Au-delà de la question procédurale, l’arrêt réitère la place circonscrite du principe de précaution dans le contentieux de l’urbanisme (A) et le strict cloisonnement des polices administratives (B).

A. L’application maîtrisée du principe de précaution

Les requérants invoquaient l’article 5 de la Charte de l’environnement, estimant que les risques sanitaires et environnementaux liés aux ondes électromagnétiques, bien qu’incertains, justifiaient une opposition au projet. La cour, tout en reconnaissant que l’autorité d’urbanisme doit prendre en compte le principe de précaution, en encadre strictement l’application. Elle rappelle que ce principe « ne lui permettent pas (…) de refuser légalement la délivrance d’une autorisation d’urbanisme en l’absence d’éléments circonstanciés sur l’existence, en l’état des connaissances scientifiques, de risques, même incertains, de nature à justifier un tel refus d’autorisation ».

Cette position s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence du Conseil d’État, qui exige que l’invocabilité du principe de précaution soit étayée par des éléments précis et non par de simples craintes ou des hypothèses générales. En l’espèce, la cour analyse méthodiquement les pièces produites par les requérants, telles que des avis partiels, des articles de presse ou des études non concluantes. Elle les juge insuffisantes pour remettre en cause les rapports d’agences sanitaires nationales et internationales qui, en l’état actuel des connaissances, n’établissent pas de risque avéré. La décision illustre ainsi que le juge administratif, s’il ne nie pas la nécessité d’une vigilance, se refuse à faire du permis de construire ou de la non-opposition à déclaration un instrument de moratoire fondé sur des risques hypothétiques non documentés.

B. Le strict cloisonnement des polices administratives

L’un des arguments des appelants portait sur l’incapacité du maire à s’assurer du respect des valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques. La cour rejette ce moyen en le qualifiant d’inopérant. Elle énonce clairement que « le contrôle du respect de cette réglementation relève de la police spéciale des communications électroniques en application du code des postes des communications électroniques et non de la réglementation de l’urbanisme ». Cette solution constitue une application orthodoxe du principe d’indépendance des législations et de non-confusion des polices administratives.

Le maire, lorsqu’il statue sur une demande d’autorisation d’urbanisme, exerce une police administrative spéciale dont l’objet est précisément délimité par le code de l’urbanisme. Il ne saurait, à cette occasion, exercer les pouvoirs qui relèvent d’une autre police spéciale, en l’occurrence celle confiée à l’Agence nationale des fréquences pour le contrôle des émissions d’ondes radioélectriques. De même, les obligations d’information du public prévues par le code des postes et communications électroniques ne sont pas des conditions de légalité des autorisations d’urbanisme. L’arrêt confirme que la légalité d’une décision d’urbanisme s’apprécie uniquement au regard des règles qu’elle a pour objet d’assurer. Les droits des tiers et le respect d’autres réglementations sont, par principe, préservés mais ne peuvent être contrôlés au sein de cette procédure spécifique, sauf disposition expresse contraire.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture