Cour d’appel administrative de Marseille, le 30 janvier 2025, n°23MA00406

En matière de fiscalité de l’urbanisme, l’articulation entre le fait générateur d’une imposition et le délai de reprise dont dispose l’administration pour en établir le montant constitue une source de contentieux. Par un arrêt en date du 30 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille a précisé les règles applicables en la matière pour la redevance d’archéologie préventive due au titre de constructions non autorisées. En l’espèce, un particulier avait achevé en juillet 2009 une construction sans autorisation. Un procès-verbal constatant cette infraction au code de l’urbanisme fut dressé le 9 août 2014. Ce n’est que le 13 décembre 2018 que l’administration fiscale émit un titre de perception visant à recouvrer la redevance d’archéologie préventive correspondante. Le contribuable saisit alors le tribunal administratif de Marseille afin d’obtenir l’annulation de ce titre et la décharge de la somme réclamée. Par un jugement du 19 décembre 2022, sa demande fut rejetée. Le requérant interjeta appel de cette décision, soutenant principalement que le droit de reprise de l’administration était prescrit. La question de droit qui se posait à la Cour était donc de savoir si le procès-verbal d’infraction, qui constitue le fait générateur de la redevance pour une construction illégale, a pour effet d’interrompre le délai de reprise dont dispose l’administration. La Cour administrative d’appel de Marseille annule le jugement de première instance, considérant que la créance de l’administration était prescrite. Elle juge que le délai de reprise de six ans a commencé à courir à compter de l’achèvement des travaux en 2009, et que le procès-verbal dressé en 2014 n’a pas eu pour effet d’interrompre ce délai.

La solution retenue par la Cour repose sur une application rigoureuse des règles de prescription applicables à la redevance d’archéologie préventive (I), consacrant une dissociation nette entre le fait générateur de l’imposition et le mécanisme du délai de reprise (II).

I. La stricte application du délai de reprise administratif

La Cour administrative d’appel de Marseille fonde sa décision sur une interprétation littérale des textes régissant le droit de reprise de l’administration. Elle en déduit que le point de départ de ce délai est intangible (A) et que le procès-verbal d’infraction ne figure pas au nombre des actes interruptifs de prescription (B).

A. Le point de départ du délai fixé à l’achèvement des travaux

Le juge d’appel rappelle les dispositions de l’article L. 331-21 du code de l’urbanisme, qui fixent un régime spécifique pour le recouvrement des taxes d’urbanisme en cas de construction sans autorisation. Ce texte prévoit que « le droit de reprise s’exerce jusqu’au 31 décembre de la sixième année qui suit celle de l’achèvement des constructions ». Dans le cas présent, il était constant et d’ailleurs mentionné dans le procès-verbal que les travaux avaient été achevés au cours de l’année 2009. En application stricte de cette disposition, la Cour établit que le délai de reprise dont bénéficiait l’administration fiscale expirait le 31 décembre 2015. L’émission du titre de perception, intervenue le 13 décembre 2018, était par conséquent tardive. La solution est logique car elle applique sans détour une règle de computation des délais claire, protectrice des droits du contribuable face à une éventuelle inertie de l’administration.

B. L’absence d’effet interruptif du procès-verbal d’infraction

L’administration soutenait implicitement que le procès-verbal dressé en 2014 avait pu interrompre la prescription. La Cour écarte fermement cette analyse en se fondant sur une lecture combinée de l’article L. 331-21 du code de l’urbanisme et de l’article L. 189 du livre des procédures fiscales. Elle énonce de manière explicite que le procès-verbal d’infraction aux règles d’urbanisme « n’a pas eu, en tout état de cause, pour objet ou pour effet d’interrompre le délai de reprise ». Pour produire un tel effet, un acte doit comporter une reconnaissance de dette par le contribuable ou s’analyser en une notification du montant des impôts réclamés, ce qui n’est pas la nature d’un procès-verbal se limitant à constater une situation matérielle illicite. Cette interprétation est conforme à la jurisprudence constante qui apprécie de manière restrictive les causes d’interruption de la prescription fiscale.

Cette application rigoureuse des règles de prescription découle d’une distinction fondamentale opérée par le juge entre la naissance de l’obligation fiscale et son recouvrement forcé.

II. La dissociation du fait générateur et du délai de reprise

L’arrêt commenté offre une illustration claire de l’autonomie des notions de fait générateur de l’impôt (A) et de prescription du droit de reprise de l’administration (B).

A. Le procès-verbal d’infraction, simple fait générateur de la redevance

Conformément à l’article L. 524-4 du code du patrimoine, « en cas de construction sans autorisation (…), le fait générateur de la redevance d’archéologie préventive est (…) le procès-verbal constatant les infractions ». La Cour ne remet nullement en cause cette règle. Le procès-verbal du 9 août 2014 est bien l’événement qui a rendu la redevance exigible. Cependant, la Cour précise que si le fait générateur conditionne l’existence même de la dette fiscale, il n’a pas d’incidence directe sur le délai accordé à l’administration pour agir en recouvrement. La Haute Juridiction rappelle ainsi que si le procès-verbal fait naître l’obligation, il faut, pour déterminer le point de départ du délai de reprise, se référer à la date d’achèvement des travaux qu’il mentionne.

B. L’autonomie affirmée des règles de recouvrement

La portée de cet arrêt réside dans l’affirmation de l’indépendance des règles de procédure fiscale par rapport à celles qui déterminent l’assiette de l’impôt. Le fait générateur relève du droit fiscal substantiel, tandis que le délai de reprise est une règle de procédure dont l’objectif est de sécuriser les situations juridiques en sanctionnant l’inaction de l’administration dans un délai raisonnable. En jugeant que le fait générateur n’interrompt pas la prescription, la Cour rappelle que seule l’administration est maîtresse de ses délais. Il lui appartient, une fois l’infraction constatée et la redevance devenue exigible, d’engager les procédures de recouvrement avec diligence, sans pouvoir se prévaloir de ses propres actes de constatation pour prolonger indéfiniment son droit d’agir. Cette solution garantit un juste équilibre entre la nécessité de recouvrer l’impôt et le droit des citoyens à ne pas être exposés à une insécurité juridique perpétuelle.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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