Cour d’appel administrative de Marseille, le 2 octobre 2025, n°23MA01123

Par un arrêt en date du 2 octobre 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille s’est prononcée sur les limites de la régularisation d’un permis de construire entaché d’illégalité.

En l’espèce, une société par actions simplifiée s’était vu délivrer un permis de construire par le maire d’une commune le 1er mars 2019, en vue de l’édification d’une boutique-hôtel. Des riverains ont saisi le tribunal administratif de Marseille d’une demande d’annulation de cette autorisation d’urbanisme. Par un jugement du 8 mars 2023, le tribunal a fait droit à leur demande en annulant l’arrêté municipal. La société pétitionnaire a alors interjeté appel de ce jugement. Dans un arrêt avant dire droit du 14 mai 2024, la Cour administrative d’appel a identifié un unique vice entachant le permis de construire, à savoir l’erreur manifeste d’appréciation du maire à ne pas avoir opposé un sursis à statuer, alors que le projet était de nature à compromettre l’exécution du futur plan local d’urbanisme intercommunal. Faisant application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, la Cour a sursis à statuer et imparti à la société un délai de douze mois pour justifier d’une mesure de régularisation. En exécution de cette décision, la société a obtenu un permis de construire modificatif le 14 mars 2025, portant non plus sur un hôtel mais sur un immeuble de bureaux et un commerce. C’est dans ce contexte que la Cour administrative d’appel a été amenée à statuer définitivement sur la légalité du permis de construire initial.

La question de droit qui se posait à la juridiction d’appel était de savoir si un permis de construire modificatif, qui altère de manière substantielle la destination, les dimensions et l’architecture d’un projet, peut constituer une mesure de régularisation valable au sens de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

La Cour administrative d’appel de Marseille répond par la négative. Elle juge qu’un tel permis modificatif n’a pas pour effet de régulariser le vice entachant l’autorisation initiale dès lors que les changements apportés au projet sont d’une ampleur telle qu’ils en modifient la nature même. La Cour relève que les modifications en termes de destination, de dimensions, de parti architectural et d’insertion dans l’environnement sont si importantes qu’elles ont pour conséquence de rompre le lien avec le permis de construire initial. Par conséquent, la juridiction d’appel rejette la requête de la société pétitionnaire et confirme l’annulation prononcée en première instance.

La décision commentée offre une illustration précise de la finalité du mécanisme de régularisation en contentieux de l’urbanisme, en réaffirmant que la pérennité de l’identité du projet constitue une condition essentielle à sa mise en œuvre (I). Elle opère ainsi une distinction claire entre la simple modification d’un projet et la création d’un projet nouveau, qui ne peut relever de la même procédure (II).

I. La réaffirmation de l’identité du projet comme condition de la régularisation

L’arrêt s’inscrit dans le cadre de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, dont il rappelle la souplesse d’application (A), tout en consacrant une limite infranchissable, celle du bouleversement complet du projet (B).

A. Un mécanisme de régularisation souple par nature

La Cour prend soin de rappeler le principe directeur de la régularisation contentieuse, en citant la formule consacrée selon laquelle « un vice entachant le bien-fondé de l’autorisation d’urbanisme est susceptible d’être régularisé, même si cette régularisation implique de revoir l’économie générale du projet en cause ». Cette disposition vise à éviter les annulations totales pour des vices qui peuvent être corrigés, assurant ainsi une meilleure sécurité juridique aux porteurs de projet et une bonne administration de la justice. La notion d’« économie générale » est entendue de manière extensive par la jurisprudence, autorisant des ajustements significatifs pour mettre l’autorisation en conformité avec les règles d’urbanisme applicables.

La régularisation peut donc concerner des aspects importants du projet, et la jurisprudence antérieure a admis des modifications touchant à la surface, à l’implantation ou à certains aspects architecturaux. L’objectif est pragmatique : permettre au projet de se réaliser, dès lors que sa substance peut être rendue compatible avec la réglementation. C’est dans ce contexte que la société pétitionnaire a tenté de purger le vice relatif à l’absence de sursis à statuer en présentant un projet différent, espérant qu’il s’inscrirait dans cette logique de correction.

B. La limite infranchissable du bouleversement de la nature du projet

Toutefois, la Cour administrative d’appel fixe une borne claire à cette souplesse. La régularisation n’est plus possible lorsque les modifications sont si profondes qu’elles aboutissent à un projet qui n’a plus rien de commun avec celui qui fut initialement autorisé. Pour parvenir à cette conclusion, le juge se livre à une analyse factuelle et comparative très détaillée. Il oppose point par point les caractéristiques du projet initial à celles du projet modifié.

Le juge constate d’abord un changement de destination, passant d’un hébergement hôtelier à un immeuble de bureaux, soit de la catégorie « commerce et activité de services » à celle, distincte, d’« autres activités des secteurs primaire, secondaire et tertiaire ». Il relève ensuite la réduction drastique des dimensions, la hauteur passant de vingt-cinq à moins de douze mètres et la surface de plancher diminuant de soixante pour cent. Enfin, il souligne la rupture radicale du parti architectural, un bâtiment à la conception « très originale » et « ogivale » laissant place à une construction « beaucoup plus classique » en pierres massives. C’est l’accumulation et l’ampleur de ces transformations qui conduisent la Cour à conclure à « un bouleversement tel qu’il en a changé la nature même ». Cette appréciation, bien que factuelle, pose un principe juridique fort : la régularisation ne peut servir à substituer un projet à un autre.

II. La distinction opérée entre modification et projet nouveau

En censurant la tentative de régularisation, la Cour clarifie la frontière entre un permis de construire modificatif et le dépôt d’une nouvelle demande (A), renforçant ainsi la portée du contrôle de l’administration et du juge sur les autorisations d’urbanisme (B).

A. La finalité distincte du permis modificatif et de la nouvelle demande

Le permis de construire modificatif est un acte accessoire qui ne peut exister sans un permis de construire initial en cours de validité. Il a pour seul objet d’apporter des changements mineurs à ce dernier, sans en remettre en cause la conception générale. En l’espèce, la Cour juge que les changements apportés dépassent manifestement ce cadre. En transformant intégralement la substance de son projet, la société pétitionnaire n’a pas cherché à « modifier » l’autorisation existante, mais bien à en obtenir une nouvelle pour un projet différent, sous le couvert d’une procédure de régularisation.

La solution retenue est ainsi parfaitement logique au regard du droit de l’urbanisme. Admettre une telle pratique reviendrait à permettre à un constructeur de contourner la procédure ordinaire de demande de permis de construire. En effet, un projet entièrement nouveau doit faire l’objet d’une instruction complète par l’administration, sur la base d’un dossier de demande autonome, et non d’une simple annexe à une autorisation antérieure. La Cour empêche ainsi un détournement de la procédure de régularisation, qui n’a pas vocation à servir de raccourci pour l’autorisation d’un projet qui n’a jamais été soumis en tant que tel à l’appréciation de l’autorité compétente.

B. La portée de la décision pour le contrôle de légalité

Cet arrêt, bien que rendu sur la base d’une appréciation souveraine des faits, revêt une portée pédagogique significative. Il offre une grille d’analyse précise aux juridictions et aux administrations pour évaluer la validité d’une mesure de régularisation. Le faisceau d’indices utilisé par la Cour, combinant la destination, les dimensions et l’architecture, constitue une méthode rigoureuse pour distinguer une modification acceptable d’un bouleversement illégitime. La décision rappelle aux acteurs de la construction que la faculté de régularisation, bien que large, n’est pas un droit à transformer indéfiniment un projet.

En définitive, la Cour administrative d’appel de Marseille réaffirme que la régularisation contentieuse est une procédure de correction et non de substitution. Elle garantit l’intégrité du contrôle de légalité en s’assurant que tout projet substantiellement nouveau soit soumis à la procédure d’instruction qu’il requiert. Cette solution préserve l’équilibre entre la sécurité juridique des projets et le respect des règles d’urbanisme, qui est l’un des fondements du droit de l’aménagement du territoire.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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