Par un arrêt en date du 12 mai 2025, la Cour administrative d’appel se prononce sur la qualification fiscale des sommes appréhendées par un associé sur les comptes de sociétés qu’il dirige. En l’espèce, un contribuable, gérant et associé principal de plusieurs sociétés civiles immobilières (SCI) soumises à l’impôt sur les sociétés, a fait l’objet d’un examen de sa situation fiscale personnelle. À cette occasion, l’administration a constaté que d’importantes sommes, provenant de virements des sociétés ou de loyers directement encaissés par l’associé, avaient transité sur ses comptes bancaires personnels. L’administration fiscale a qualifié ces montants de revenus distribués en application de l’article 109 du code général des impôts, procédant ainsi à des rehaussements d’impôt sur le revenu assortis de pénalités pour manquement délibéré.
Le contribuable a saisi le tribunal administratif de Nice afin d’obtenir la décharge de ces impositions. Par un jugement du 15 juin 2023, sa demande a été rejetée. Le requérant a alors interjeté appel de cette décision. Devant la Cour, il soutenait principalement que la procédure d’imposition était irrégulière et, sur le fond, que les sommes en cause ne constituaient pas des distributions imposables mais des remboursements de ses comptes courants d’associé, arguant de liasses fiscales rectificatives produites à cet effet. Il contestait également le bien-fondé des majorations appliquées.
La question de droit soumise aux juges d’appel portait donc sur le point de savoir si un associé peut renverser la présomption de distribution de revenus attachée aux sommes qu’il a personnellement encaissées, en se prévalant de documents comptables rectifiés postérieurement à l’engagement de la procédure de contrôle. De manière subsidiaire, il s’agissait de déterminer si la répétition et l’ampleur de tels encaissements non déclarés suffisaient à caractériser l’intentionnalité requise pour l’application d’une majoration pour manquement délibéré.
La Cour administrative d’appel rejette la requête. Elle juge que la production de déclarations rectificatives et de détails de comptes courants établis après la proposition de rectification ne suffit pas à démontrer que les sommes appréhendées par l’associé correspondraient à des remboursements. Elle estime que ces fonds ont bien été « mises à la disposition » de l’associé et constituent donc des revenus distribués imposables. La Cour confirme en outre le caractère intentionnel du manquement, justifiant ainsi les pénalités. La solution, qui confirme une application rigoureuse de la présomption de distribution (I), consacre une conception exigeante de la charge de la preuve pesant sur le contribuable, dont la défaillance justifie également le maintien des sanctions (II).
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I. La confirmation d’une application rigoureuse de la présomption de distribution
La Cour rappelle avec fermeté les principes régissant l’imposition des revenus distribués, en écartant des preuves qu’elle juge insuffisantes car non probantes (A), pour se concentrer sur le seul critère pertinent, à savoir la mise à disposition effective des fonds au profit de l’associé (B).
A. Le rejet des rectifications comptables a posteriori comme moyen de preuve
L’arrêt applique sans détour les dispositions du 2° du 1 de l’article 109 du code général des impôts, selon lesquelles sont considérés comme revenus distribués « toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices ». Ce texte établit une présomption de distribution pour toute somme appréhendée par un associé, à charge pour ce dernier de prouver que ces fonds ont une autre nature, par exemple celle d’un remboursement de prêt. En l’espèce, le contribuable tentait de combattre cette présomption en produisant des « déclarations rectificatives des SCI » et des « comptes courants d’associés ouverts à son nom dans les écritures de ces sociétés ».
Cependant, la Cour relève que ces documents ont été « établis postérieurement à la réception de la proposition de rectification ». Ce faisant, elle leur dénie toute force probante. Une telle position est classique en jurisprudence fiscale, laquelle se montre particulièrement méfiante à l’égard des éléments de preuve constitués par le contribuable pour les besoins de sa propre cause après l’engagement d’un contrôle. La juridiction considère que de tels documents ne peuvent suffire à justifier l’origine et la nature des flux financiers et ne permettent pas de renverser la présomption légale. La circonstance que certains virements portaient le libellé « remboursement compte courant » est jugée tout aussi inopérante, la simple mention unilatérale d’un motif ne pouvant à elle seule établir la réalité juridique de l’opération.
B. La caractérisation des fonds effectivement mis à la disposition de l’associé
Au-delà du rejet des preuves du requérant, la Cour s’attache à la matérialité des faits pour asseoir la qualification de distribution. Le raisonnement des juges repose sur la constatation objective des flux financiers : des virements directs et des encaissements de loyers sur les comptes personnels de l’associé. Pour la Cour, ces éléments suffisent à établir que les sommes ont été « effectivement mises à la disposition » du contribuable. Cette appréciation factuelle est au cœur du mécanisme de l’article 109 du code général des impôts, qui vise à imposer toute forme d’avantage occulte qu’un associé retire de sa société.
En écartant les arguments subsidiaires du requérant, comme celui, non étayé, selon lequel une somme provenait d’une personne qui n’était pas locataire de la société, la Cour renforce sa position. Elle refuse de s’engager dans l’examen d’affirmations non prouvées et s’en tient aux faits établis par le service vérificateur et non sérieusement contestés par le contribuable dans leur matérialité. La solution réaffirme ainsi que, dès lors qu’un flux financier anormal est constaté entre une société et son associé, la charge d’apporter une preuve contraire, précise et circonstanciée, incombe exclusivement à ce dernier. Faute d’une telle preuve, la qualification de revenu distribué s’impose de plein droit.
II. La justification du manquement délibéré découlant du comportement du contribuable
La confirmation de l’imposition s’accompagne logiquement de celle des pénalités. La Cour estime que les faits de l’espèce ne relèvent pas de la simple négligence mais caractérisent une véritable intention frauduleuse (A), bien que cette solution, fondée sur une application classique des textes, ait une portée principalement didactique (B).
A. Les éléments constitutifs de l’intention d’éluder l’impôt
L’application des majorations de 40 % pour manquement délibéré, prévue par l’article 1729 du code général des impôts, exige que l’administration fiscale démontre l’intention du contribuable d’éluder l’impôt. Il ne suffit pas de constater une omission ou une inexactitude. Dans cette affaire, la Cour reprend les éléments avancés par l’administration pour justifier cette intentionnalité. Elle relève ainsi « le nombre d’encaissements sur les comptes personnels », le fait que ces sommes correspondaient à des « recettes clairement identifiées » qui auraient dû figurer dans la comptabilité des sociétés, et enfin « la nécessaire connaissance par l’intéressé, gérant et associé majoritaire de ces sociétés », de la nature de ces opérations.
L’ensemble de ces critères factuels permet à la Cour de considérer que l’administration « démontrant l’intention délibérée de M. C… d’éluder l’impôt, justifie du bien-fondé de l’application de la majoration ». Le raisonnement est fondé sur un faisceau d’indices concordants. La position de dirigeant du contribuable est un facteur déterminant, car elle implique une connaissance approfondie du fonctionnement et des obligations des sociétés. L’ampleur et la répétition des faits empêchent de plaider la simple erreur ou l’oubli, et révèlent au contraire un système organisé d’appropriation de recettes sociales en marge des règles comptables et fiscales.
B. Une décision d’espèce à la portée didactique
Cet arrêt ne constitue pas un revirement de jurisprudence ni une décision de principe énonçant une règle nouvelle. Il s’inscrit dans le droit fil d’une jurisprudence fiscale bien établie, tant sur la charge de la preuve en matière de revenus distribués que sur la caractérisation du manquement délibéré. La solution retenue est avant tout une décision d’espèce, dont l’issue dépend étroitement des faits et de l’incapacité du contribuable à fournir des justifications crédibles et contemporaines des flux financiers litigieux.
Néanmoins, la portée de la décision est avant tout pédagogique. Elle constitue un rappel sévère à l’adresse des dirigeants et associés de sociétés, en particulier de petites structures comme les SCI, sur les risques inhérents à la confusion entre leur patrimoine personnel et celui de la société. L’arrêt illustre de manière concrète que l’absence de rigueur dans la gestion comptable et le non-respect des formalités juridiques peuvent entraîner des conséquences fiscales très lourdes. Il rappelle que la présomption de distribution est une arme efficace pour l’administration fiscale et que la tentative de régularisation a posteriori, une fois le contrôle engagé, est une stratégie de défense vouée à l’échec. La décision souligne ainsi l’impératif d’une comptabilité transparente et tenue en temps réel.