Cour d’appel administrative de Lyon, le 9 mai 2025, n°23LY01989

Par un arrêt en date du 9 mai 2025, la Cour administrative d’appel a procédé à l’annulation d’une décision par laquelle la Commission nationale d’aménagement commercial avait refusé d’autoriser l’extension de la surface de vente d’un hypermarché. En l’espèce, une société exploitant une grande surface commerciale a sollicité une autorisation pour un projet d’extension de 510 mètres carrés. Suite au refus initial de la commission départementale d’aménagement commercial du 24 novembre 2022, la société a saisi la Commission nationale qui, par une décision du 23 mars 2023, a confirmé ce refus. La société a alors formé un recours devant la juridiction administrative, soutenant que la décision nationale était entachée d’illégalités, notamment une erreur de fait substantielle sur la dimension du projet et une appréciation erronée de sa compatibilité avec les objectifs légaux d’aménagement du territoire et de développement durable. Le problème de droit posé au juge administratif consistait donc à déterminer si l’appréciation portée par la commission sur le projet, au regard des critères fixés par le code de commerce, reposait sur des faits matériellement exacts et sur une juste interprétation des objectifs d’intérêt général. La Cour administrative d’appel a répondu par la négative, en annulant la décision de refus. Elle a jugé que la commission avait fondé son analyse sur une superficie erronée et avait mal apprécié les effets du projet. La juridiction a notamment relevé que la commission « a ainsi fondé sa décision sur une superficie qui représente plus du double de l’extension sollicitée », ce qui a nécessairement vicié son appréciation globale.

Cette décision illustre le contrôle approfondi exercé par le juge sur les décisions des commissions d’aménagement commercial, en censurant une appréciation fondée sur des éléments matériellement inexacts et une interprétation rigide des normes applicables (I), tout en rappelant la nécessité d’une mise en balance pragmatique des différents objectifs poursuivis par le législateur (II).

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I. La censure d’une appréciation administrative matériellement et juridiquement erronée

La Cour administrative d’appel fonde sa décision d’annulation sur deux motifs principaux, tenant d’une part à une erreur de fait d’une particulière gravité (A) et d’autre part à une interprétation jugée incorrecte des objectifs légaux en matière d’aménagement du territoire (B).

A. Le caractère dirimant de l’erreur de fait sur la consistance du projet

Le juge administratif relève en premier lieu que la Commission nationale d’aménagement commercial a commis une erreur de fait déterminante en retenant une surface d’extension de 1 285 m², alors que le projet ne portait en réalité que sur 510 m². Cette inexactitude matérielle, qui conduit à plus que doubler la dimension réelle de l’opération, est considérée par la cour comme ayant eu une incidence directe sur l’ensemble de l’appréciation de la commission. Une telle erreur vicie à la racine l’analyse des impacts potentiels du projet, que ce soit en termes de concurrence, de flux de clientèle ou d’artificialisation des sols.

En qualifiant cette erreur de décisive, la juridiction rappelle que l’exercice du pouvoir d’appréciation de l’administration doit impérativement reposer sur des faits matériellement exacts. Lorsque la base factuelle est faussée dans des proportions aussi importantes, la décision qui en découle ne peut qu’être illégale. Le contrôle du juge n’est donc pas limité à une simple vérification de l’absence d’erreur manifeste ; il s’étend à la matérialité des faits qui soutiennent la décision administrative. La censure est ici d’autant plus logique que l’ensemble des critères d’évaluation prévus par l’article L. 752-6 du code de commerce sont directement ou indirectement liés à la dimension et à la nature du projet.

B. La rectification de l’appréciation portée sur l’aménagement du territoire

Au-delà de l’erreur de fait, la cour rectifie également l’appréciation que la commission avait portée sur la compatibilité du projet avec les objectifs d’aménagement du territoire. Premièrement, elle juge que le projet n’est pas incompatible avec le schéma de cohérence territoriale de l’agglomération. Alors que la commission avait estimé que le projet ne répondait pas à des activités déficitaires, la cour adopte une lecture plus souple et finaliste du document d’urbanisme, en relevant que la modernisation d’un hypermarché vieillissant participe à l’adaptation de l’offre commerciale aux besoins des ménages, un objectif également poursuivi par le schéma.

Deuxièmement, le juge contredit l’analyse de la commission concernant l’impact sur le tissu commercial existant. Il souligne que l’impact prévisionnel sur le commerce de proximité est faible, de l’ordre de 2 % du chiffre d’affaires additionnel, et que le projet vise à lutter contre l’évasion commerciale. De plus, le renforcement de certains secteurs comme le bricolage et le jardinage répond à une densité commerciale inférieure à la moyenne nationale dans la zone de chalandise. La cour substitue ainsi sa propre appréciation des pièces du dossier à celle de la commission, estimant « qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet d’extension aura un impact significatif sur les commerces existants ».

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II. La réaffirmation d’un contrôle de proportionnalité sur les objectifs de la loi

L’arrêt ne se contente pas de sanctionner des erreurs, il précise également la manière dont les objectifs légaux, notamment en matière de développement durable, doivent être appréciés (A), consacrant ainsi le rôle du juge comme garant d’une analyse équilibrée et proportionnée (B).

A. L’application pragmatique du critère de développement durable

S’agissant du critère de développement durable, la juridiction administrative se livre à une analyse concrète et globale du projet. Elle reconnaît que les critères environnementaux prévus par l’article L. 752-6 du code de commerce sont bien applicables à l’extension d’un bâtiment existant. Toutefois, plutôt que de s’arrêter au constat de l’ancienneté du bâtiment principal, la cour prend en considération l’ensemble des mesures positives prévues par le porteur de projet. Elle énumère ainsi les efforts consentis : la perméabilisation de places de stationnement, l’installation d’ombrières photovoltaïques, la plantation d’arbres, la gestion des eaux pluviales ou encore l’installation de bornes de recharge pour véhicules électriques.

La cour note également les engagements en matière de performance énergétique à l’intérieur du bâtiment, tels que le remplacement des éclairages et des meubles froids. En concluant que le projet « ne peut être regardé comme méconnaissant les objectifs fixés par le législateur en matière de développement durable », le juge administratif envoie un signal clair : l’appréciation de ce critère doit s’opérer au travers d’un bilan global des avantages et inconvénients du projet, en valorisant les améliorations apportées à une situation existante, même si celle-ci n’est pas parfaite au regard des normes les plus récentes.

B. La garantie judiciaire d’une mise en balance cohérente des critères

En définitive, cet arrêt illustre la pleine mesure du contrôle exercé par le juge sur les décisions de la Commission nationale d’aménagement commercial. Ce contrôle ne se limite pas à la légalité externe ou à l’erreur manifeste d’appréciation ; il s’agit d’un contrôle normal qui s’assure de la rectitude des faits, de la qualification juridique de ceux-ci et de la cohérence de la balance opérée entre les différents objectifs, parfois contradictoires, fixés par le législateur. En annulant une décision fondée sur une base factuelle erronée et sur une appréciation déséquilibrée des critères légaux, la cour réaffirme que le pouvoir discrétionnaire de la commission n’est pas absolu.

La portée de cette décision réside dans le rappel fait à l’administration que ses refus doivent être solidement motivés en fait et en droit. Un projet de modernisation et d’extension, même modeste, ne saurait être rejeté sur la base d’approximations ou d’une application trop rigide des documents de planification. Le juge administratif se positionne ainsi en gardien de la proportionnalité, veillant à ce que les objectifs d’intérêt général, aussi légitimes soient-ils, ne conduisent pas à paralyser l’adaptation nécessaire du tissu commercial, dès lors que le porteur de projet démontre une prise en compte sérieuse des impératifs environnementaux et d’aménagement du territoire.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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