Cour d’appel administrative de Lyon, le 30 avril 2025, n°23LY02141

Un litige opposant un maître d’œuvre à une commune au sujet du règlement financier de prestations a conduit une cour administrative d’appel à se prononcer, par une décision en date du 30 avril 2025, sur l’interprétation des clauses d’un marché public. À l’origine de l’affaire, une collectivité avait engagé une opération d’aménagement et confié la maîtrise d’œuvre par un premier contrat en 2002. Un sinistre ayant affecté le projet, un second marché, qualifié de complémentaire, fut conclu en 2012 avec le même prestataire pour mener l’opération à son terme. À l’achèvement des travaux, le maître d’œuvre a présenté une facture finale incluant, outre le solde des prestations, une demande d’actualisation des prix portant sur l’ensemble des deux marchés successifs, ainsi que le paiement de sa mission d’assistance aux opérations de réception.

Face au refus de la personne publique, le cocontractant a saisi le tribunal administratif de Dijon, lequel a rejeté sa demande. Le maître d’œuvre a alors interjeté appel du jugement, maintenant ses prétentions financières. Il soutenait être en droit de bénéficier de l’actualisation des prix en vertu des stipulations contractuelles et d’obtenir le paiement des prestations relatives à la réception des ouvrages. La commune, en défense, concluait au rejet de la requête, arguant du caractère infondé des moyens soulevés. La question de droit soumise aux juges d’appel était double. D’une part, il s’agissait de déterminer si les clauses d’actualisation des prix d’un marché public pouvaient s’appliquer à deux contrats successifs considérés comme un tout, et ce, même lorsque le délai entre la fixation du prix et le début d’exécution de chaque contrat pris isolément était inférieur au seuil déclenchant cette actualisation. D’autre part, la cour devait établir si la rémunération de la mission d’assistance aux opérations de réception était due lorsque le prestataire n’avait pas mené à bien l’intégralité des tâches y afférentes, notamment le suivi de la levée des réserves.

La cour administrative d’appel a répondu par la négative à ces deux interrogations. Elle a d’abord écarté la demande d’actualisation en soulignant que les deux marchés constituaient des contrats distincts pour lesquels les conditions de mise en œuvre de la clause n’étaient pas remplies. Ensuite, elle a refusé le paiement de la mission d’assistance au motif que celle-ci n’avait pas été entièrement achevée par le cocontractant. La solution adoptée par la cour repose ainsi sur une lecture rigoureuse des engagements contractuels, d’abord quant aux mécanismes financiers du marché (I), puis quant aux conditions d’exécution des missions dues par le titulaire (II).

I. L’application stricte du mécanisme d’actualisation des prix

La cour administrative d’appel, pour rejeter la demande du maître d’œuvre relative à l’actualisation du prix de ses prestations, a adopté un raisonnement en deux temps. Elle a d’abord affirmé l’autonomie des deux contrats successifs (A) avant de procéder à une vérification méticuleuse des conditions d’application de la clause d’actualisation pour chacun d’eux (B).

A. Le rejet d’une approche unitaire de contrats successifs

Le requérant fondait sa demande sur une vision globale de l’opération, considérant les deux marchés comme un ensemble unique justifiant une actualisation continue des prix. La cour a fermement écarté cette analyse en rappelant que, nonobstant leur objet commun, les deux conventions formaient des entités juridiques distinctes. Elle juge qu’« à la date de conclusion du second contrat, dit marché complémentaire, le 15 novembre 2012, le premier contrat, conclu le 20 décembre 2002, avait été exécuté dans tous ses éléments ». Cette distinction est fondamentale, car elle impose une appréciation séparée des droits et obligations nés de chaque contrat.

En conséquence, la cour affirme que « les deux contrats constituent des contrats distincts ayant chacun donné lieu à une offre de prix ». Le fait que le second marché renvoie aux clauses du premier n’a pas pour effet de fusionner les deux accords ni de prolonger les effets du contrat de 2002, lequel était déjà éteint. Cette interprétation consacre le principe de l’autonomie des contrats et de la force obligatoire qui s’attache à chacun d’eux. Le juge administratif refuse ainsi de créer une fiction juridique en unifiant artificiellement deux relations contractuelles distinctes, même si elles s’inscrivent dans une même opération de travaux publics. Cette orthodoxie juridique garantit la sécurité des transactions en se tenant à la volonté initialement exprimée par les parties lors de chaque nouvelle contractualisation.

B. La vérification rigoureuse des conditions de l’actualisation

Après avoir posé le principe de l’analyse disjointe des deux marchés, la cour s’est attachée à vérifier si les conditions de mise en œuvre de la clause d’actualisation étaient réunies pour chacun d’eux. Les stipulations contractuelles prévoyaient que le prix ferme serait actualisé uniquement si un délai supérieur à trois mois s’écoulait entre le mois d’établissement des prix et la date de commencement d’exécution des prestations. La finalité d’une telle clause est de compenser l’érosion monétaire subie par le titulaire en cas de retard anormal du pouvoir adjudicateur à lancer l’exécution du marché, et non de couvrir l’allongement de la durée du chantier lui-même.

La cour a examiné, pour chaque contrat, ce délai de latence. Pour le marché de 2002, elle relève que le commencement d’exécution a même précédé la signature de l’acte d’engagement, rendant de fait la condition de délai non applicable. Pour le marché de 2012, le délai entre le mois d’établissement des prix, octobre 2012, et le début des études en décembre 2012, est resté inférieur au seuil de trois mois. La conclusion de la cour est donc sans appel : « Pour chaque contrat, le délai séparant la date d’établissement du prix du marché et la date de commencement d’exécution des prestations, est demeuré inférieur à trois mois ». Le requérant n’était par conséquent pas fondé à solliciter une quelconque somme à ce titre. Cette approche, purement littérale et objective, illustre la discipline que le juge s’impose dans l’interprétation des clauses financières, refusant de substituer une appréciation en équité à l’application stricte des termes convenus.

Au-delà de la question financière, le litige portait également sur l’achèvement des prestations du maître d’œuvre, conditionnant leur paiement.

II. L’indivisibilité de la mission d’assistance à la réception

La cour a également rejeté la demande de paiement de la mission d’assistance aux opérations de réception (AOR), en se fondant sur une appréciation stricte de l’obligation de service fait. Elle considère que l’inaccomplissement d’une partie de la mission constitue un obstacle dirimant au paiement de sa totalité (A), réaffirmant ainsi un principe fondamental du droit des contrats administratifs (B).

A. Le non-achèvement de la mission comme obstacle au paiement

Le contrat, complété par les dispositions réglementaires alors en vigueur, définissait précisément l’étendue de la mission AOR. Celle-ci ne se limitait pas à organiser les opérations de réception, mais incluait expressément le « suivi des réserves formulées lors de la réception des travaux jusqu’à leur levée ». Or, le juge constate qu’au cours des opérations de réception en 2014, des réserves ont bien été émises par le maître d’œuvre lui-même. Deux ans plus tard, la commune relevait que ces réserves n’étaient toujours pas levées, empêchant la réception définitive de l’ouvrage.

De ce simple constat factuel, la cour tire une conséquence juridique implacable. La mission AOR forme un tout indivisible dont l’un des éléments essentiels, le suivi et la levée des réserves, n’a pas été accompli. Le juge en déduit que le maître d’œuvre n’est « pas fondé à soutenir avoir réalisé la mission AOR ». En d’autres termes, une mission partiellement exécutée est une mission non achevée. La cour conclut logiquement que « dès lors que cette mission n’a pas été achevée, M. A… ne peut en obtenir le paiement ». Cette solution souligne l’importance pour le maître d’œuvre de mener sa mission à son terme absolu, la levée des réserves étant la formalité qui clôt définitivement la phase d’exécution des travaux et atteste de la conformité de l’ouvrage.

B. La réaffirmation du principe de service fait

En statuant de la sorte, la cour administrative d’appel ne fait que rappeler l’exigence du « service fait », corollaire de l’article 1103 du code civil qui consacre la force obligatoire des contrats. Dans le cadre des marchés publics, ce principe veut que la rémunération due par la personne publique soit la contrepartie exacte des prestations prévues au contrat et effectivement réalisées par son cocontractant. Le paiement ne peut intervenir que si l’obligation a été exécutée dans son intégralité et conformément aux stipulations contractuelles.

La décision commentée est une illustration topique de ce principe. Le maître d’œuvre, n’ayant pas mené à bien la totalité des tâches inhérentes à la mission AOR, ne pouvait prétendre à la rémunération correspondante. Il ne s’agit pas d’une décision de principe venant bouleverser l’état du droit, mais d’une décision d’espèce qui applique avec rigueur une règle bien établie. Sa portée est avant tout pédagogique : elle rappelle aux maîtres d’œuvre l’étendue de leurs obligations et les conséquences d’une exécution imparfaite. Pour le juge, l’obligation de suivi des réserves n’est pas une simple formalité, mais le cœur même de l’assistance due au maître d’ouvrage pour garantir la livraison d’un ouvrage sans défauts. L’absence de diligence dans cette dernière phase du chantier prive légitimement le prestataire de son droit à rémunération.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Avocats en droit immobilier et droit des affaires - Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture