Un particulier, après avoir acquis un bien immobilier en l’état futur d’achèvement pour le louer en meublé de tourisme, a obtenu le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé cette acquisition. L’administration fiscale a par la suite remis en cause ce remboursement et refusé un crédit de taxe ultérieur, estimant l’activité de location exonérée. Saisi du litige, le tribunal administratif de Lille a, par un jugement du 9 juin 2022, majoritairement rejeté la demande du contribuable. Sur appel de ce dernier, la cour administrative d’appel de Douai, par un premier arrêt du 22 février 2024, a infirmé le jugement, prononcé la décharge des rappels de taxe et ordonné le remboursement partiel d’un crédit de taxe. Toutefois, le ministre de l’économie ainsi que le contribuable ont tous deux saisi la cour d’un recours en rectification d’erreur matérielle. Le ministre soutenait que la cour avait omis de statuer sur la fin de non-recevoir qu’il avait opposée aux conclusions de l’appelant relatives au remboursement du crédit de taxe, tandis que le contribuable demandait la correction du montant de ce même remboursement. Se posait ainsi la question de savoir si le recours en rectification d’erreur matérielle permet au juge de réparer une omission de statuer sur un moyen et de se prononcer sur le fond de ce dernier, modifiant ainsi la portée de sa décision initiale. Par un arrêt en date du 21 mai 2025, la cour administrative d’appel de Douai répond par l’affirmative. Elle juge que l’omission de statuer sur la fin de non-recevoir constitue une erreur matérielle ayant influencé le sens de la décision, ce qui justifie non seulement de statuer sur ladite fin de non-recevoir pour l’écarter, mais également de corriger le montant alloué au contribuable en conséquence.
L’arrêt commenté offre une illustration de la fonction réparatrice du recours en rectification d’erreur matérielle, en assimilant une omission de statuer à une telle erreur (I). Cette qualification permet ensuite à la cour d’exercer une compétence corrective étendue, complétant son jugement initial sur un point de droit qui avait été éludé (II).
I. L’assimilation d’une omission de statuer à une erreur matérielle rectifiable
La recevabilité du recours en rectification est conditionnée par l’existence d’une erreur matérielle ayant exercé une influence sur le jugement de l’affaire (A). En l’espèce, cette condition est remplie par l’omission de la cour de répondre à un moyen de procédure, ce qui a permis aux deux parties adverses d’invoquer ce même mécanisme pour des motifs opposés (B).
A. L’influence déterminante de l’erreur sur le sens de la décision
Le recours prévu à l’article R. 833-1 du code de justice administrative vise à corriger des erreurs qui ne sont pas le fruit d’une appréciation juridique, mais de simples méprises factuelles ou omissions. Pour être rectifiable, l’erreur doit avoir eu une incidence directe sur la solution retenue par le juge. En l’espèce, la cour relève qu’elle a « omis de viser les conclusions de l’appelant tendant à ce remboursement de taxe, ainsi que la fin de non-recevoir opposée par l’administration ». Cette omission n’est pas une simple inadvertance formelle. En ne se prononçant pas sur la recevabilité des conclusions, la cour a statué sur le fond comme si cette question était résolue, ce qui a directement conduit à l’article 3 du dispositif ordonnant un remboursement. Le lien de causalité entre l’omission de statuer et le contenu de la décision est donc clairement établi, conférant à cette omission le caractère d’une erreur matérielle rectifiable. La cour consacre ainsi une approche extensive de la notion d’erreur matérielle, l’étendant à une carence dans l’exercice de son propre office.
B. La double invocation de la procédure de rectification
La particularité de l’espèce réside dans la saisine quasi simultanée de la cour par les deux parties au litige, chacune y voyant une erreur matérielle à son profit. Le ministre de l’économie arguait que l’omission avait vicié la décision en ce qu’elle accordait un droit sans avoir préalablement vérifié sa recevabilité. Le contribuable, quant à lui, admettait l’existence d’une erreur mais la situait dans le quantum de la somme allouée, conséquence de la confusion née de l’omission initiale. La cour administrative d’appel de Douai juge les deux recours recevables, considérant qu’ils ne soulèvent pas de litiges distincts mais se rapportent à la même erreur matérielle. Cette approche pragmatique permet de purger l’ensemble des conséquences d’une seule et même défaillance de la décision primitive. Elle démontre que le recours en rectification d’erreur matérielle peut servir de véhicule procédural tant pour contester le principe d’une condamnation que pour en ajuster le montant, dès lors que l’origine du grief est une erreur de fait ou de procédure commise par la juridiction.
La reconnaissance de l’erreur matérielle ouvre la voie à sa correction. La cour ne se limite cependant pas à un simple constat, mais utilise cette procédure pour compléter son raisonnement initial et rendre une décision définitive sur le point de droit omis.
II. La portée corrective du recours : une rectification complétant le jugement initial
En réponse au recours, la cour ne se contente pas de constater son oubli, elle statue sur le fond de la fin de non-recevoir qui avait été ignorée (A). Cette démarche la conduit logiquement à modifier le dispositif de sa décision antérieure pour en tirer toutes les conséquences quant au montant dû au requérant (B).
A. Le règlement au fond de la fin de non-recevoir omise
La véritable portée de l’arrêt réside dans le fait que la cour, sous couvert de rectification, exerce pleinement sa fonction juridictionnelle sur un point qu’elle avait initialement délaissé. Elle examine l’argument de l’administration selon lequel la demande de remboursement du crédit de taxe constituait une demande nouvelle en appel. Pour ce faire, elle analyse les écritures du contribuable en première instance, notant que celui-ci avait sollicité « le dégrèvement des suppléments de droits mis [à sa charge] au titre de 2014 à 2016 pour un montant total de 41 372 euros », incluant la somme litigieuse de 4 832 euros. Elle en déduit que le contribuable « doit être regardé comme ayant demandé le remboursement d’un crédit de taxe pour un montant de 4 832 euros dans le cadre de la première instance ». Le moyen tiré de l’irrecevabilité est ainsi écarté au fond. La rectification devient alors le support d’un jugement complémentaire, assurant que le litige soit tranché dans sa globalité sans nécessiter un pourvoi en cassation pour omission de statuer.
B. La modification conséquente du dispositif de l’arrêt
Une fois la recevabilité de la demande confirmée, la cour tire les conséquences logiques de son analyse sur le dispositif de l’arrêt du 22 février 2024. Relevant que le montant du crédit de taxe réclamé au titre de l’année 2016 « s’établit au montant de 4 832 euros », et que les motifs de sa décision initiale impliquaient que l’intéressé avait droit à ce remboursement, elle procède à une substitution de montants. L’article 3 de l’arrêt précédent est modifié pour remplacer la somme de « 1 688 euros » par celle de « 4 832 euros ». Cette correction finale illustre la finalité du mécanisme de l’article R. 833-1 du code de justice administrative : il ne s’agit pas seulement de réparer une coquille, mais de rétablir la cohérence entre les motifs d’une décision et son dispositif. L’arrêt commenté montre que la rectification d’erreur matérielle peut ainsi confiner à une véritable réformation, aboutissant à une décision plus juste et complète, expurgée de ses scories procédurales.