Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 6 mai 2025, n°23BX02380

Par un arrêt en date du 6 mai 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux a précisé les modalités du contrôle juridictionnel exercé sur la compatibilité d’un plan local d’urbanisme intercommunal avec les dispositions de la loi Littoral. En l’espèce, une association de protection de l’environnement a demandé l’annulation d’une délibération par laquelle un établissement public de coopération intercommunale avait approuvé son document d’urbanisme. L’association estimait ce plan illégal en raison d’un vice de procédure et de la méconnaissance de plusieurs dispositions protectrices du littoral, notamment quant au classement de certaines parcelles. Saisi en première instance, le tribunal administratif de Pau avait rejeté cette requête par un jugement du 27 juin 2023. L’association a interjeté appel de cette décision, reprenant pour l’essentiel les mêmes moyens. Il était ainsi demandé aux juges du fond de déterminer si un plan local d’urbanisme pouvait être déclaré compatible avec la loi Littoral malgré une erreur matérielle dans la représentation graphique d’une zone protégée et des contestations sur la qualification de certains secteurs. La cour administrative d’appel a rejeté la requête, confirmant le jugement de première instance et validant ainsi le document d’urbanisme. Pour ce faire, elle a d’abord écarté le vice de procédure invoqué et confirmé une interprétation restrictive de la notion d’espace remarquable (I), avant de procéder à une appréciation particulièrement pragmatique de l’application des règles d’urbanisation dans les secteurs côtiers contestés (II).

I. La confirmation d’une application rigoureuse des conditions de forme et de fond de la loi Littoral

La cour administrative d’appel valide le plan local d’urbanisme intercommunal en écartant d’abord le moyen tiré d’une prétendue irrégularité procédurale, démontrant une approche formaliste du suivi des avis d’enquête publique (A). Elle adopte ensuite une lecture stricte des critères de qualification d’un espace remarquable, en se fondant sur l’état matériel du site concerné (B).

A. Le rejet d’un vice de procédure fondé sur l’interprétation de l’avis de la commission d’enquête

La requérante soutenait que la délibération d’approbation du plan était entachée d’illégalité au motif que les réserves émises par la commission d’enquête n’ayant pas été entièrement levées, l’avis favorable rendu devait être requalifié en avis défavorable. Une telle requalification aurait imposé, selon l’association, une nouvelle délibération motivée de l’organe délibérant en application de l’article L. 123-16 du code de l’environnement. Le juge d’appel écarte ce raisonnement en rappelant que les dispositions applicables « n’exigent pas que l’organe délibérant débatte spécifiquement des conclusions du commissaire enquêteur, mais lui imposent seulement de délibérer sur le projet en ayant eu connaissance du sens et du contenu de ces conclusions ». La cour constate qu’en l’espèce, les conseillers communautaires avaient bien reçu toutes les informations nécessaires. Cette solution confirme une jurisprudence constante qui refuse d’accroître les exigences de la loi en matière de procédure consultative. Le juge administratif vérifie que l’autorité compétente a été mise en mesure de prendre sa décision en toute connaissance de cause, mais il ne s’immisce pas dans l’opportunité de suivre ou non les réserves émises, dès lors que l’avis n’est pas formellement défavorable.

B. L’exclusion de la qualification d’espace remarquable pour un site déjà urbanisé

L’association prétendait que le secteur du courant de Soustons aurait dû être classé en espace remarquable au sens de l’article L. 121-23 du code de l’urbanisme, en raison de son intérêt écologique et paysager. La cour rejette fermement cet argument en se fondant sur une constatation matérielle simple et décisive. Elle relève en effet que le site en question, bien qu’inclus dans un site inscrit, « est entièrement bâti. Il ne constitue donc pas une partie naturelle du site inscrit […] qui aurait justifié qu’il soit qualifié d’espace remarquable ». En statuant ainsi, le juge d’appel applique à la lettre les dispositions de l’article R. 121-4 du code de l’urbanisme, qui visent les « parties naturelles » des sites protégés. La décision rappelle avec force que la protection au titre des espaces remarquables a pour objet de préserver des zones naturelles de l’urbanisation, et non de remettre en cause une urbanisation existante. La présence de constructions fait donc obstacle à cette qualification, même si le site présente par ailleurs un intérêt certain, confirmant que cette protection n’a pas de caractère curatif mais préventif.

Après avoir ainsi écarté les moyens relatifs à la procédure et à la qualification d’espace remarquable, la cour s’est attachée à contrôler l’application des règles d’urbanisation dans les autres zones littorales contestées, en faisant preuve d’un réalisme notable.

II. Une appréciation pragmatique de la constructibilité en zone littorale

Le juge d’appel fait preuve d’une approche concrète pour résoudre les autres litiges relatifs à l’application de la loi Littoral. Il admet ainsi l’existence d’une erreur matérielle dans la délimitation de la bande des cent mètres, mais sans en tirer de conséquence sur la légalité du classement (A). De même, il confirme l’exclusion d’un secteur des espaces proches du rivage en se fondant sur une analyse factuelle de sa configuration (B).

A. La neutralisation de l’illégalité résultant d’un tracé erroné de la bande littorale

Le point le plus notable de l’arrêt réside dans le traitement de l’argumentation relative à la bande des cent mètres. L’association requérante soutenait qu’une parcelle était illégalement classée en zone constructible alors qu’elle se situait dans la bande d’inconstructibilité. La cour reconnaît explicitement que la délimitation de cette bande dans les documents graphiques du schéma de cohérence territoriale, reprise par le plan local d’urbanisme, est incorrecte. Elle constate que « le tracé de la bande des cent mètres figurant dans le document graphique […] est erroné ». Toutefois, et c’est là tout l’intérêt de la décision, le juge ne prononce pas pour autant l’annulation du classement. Il considère que cette erreur est sans incidence sur la légalité du classement de la parcelle, dès lors que la bande littorale « ne la recouvre que partiellement, dans sa partie déjà urbanisée, excluant toute possibilité d’une densification significative ». Cette approche finaliste, qui privilégie l’effet concret du classement sur sa conformité formelle, est remarquable. Le juge admet une illégalité graphique mais la neutralise en considérant qu’elle ne permet, en pratique, aucune nouvelle construction significative. Une telle solution témoigne d’une volonté de ne pas sanctionner des erreurs purement matérielles si elles sont sans conséquence sur l’objectif de protection poursuivi par la loi.

B. La confirmation d’une interprétation restrictive de la notion d’espace proche du rivage

Enfin, l’association contestait l’exclusion du secteur des arènes du périmètre des espaces proches du rivage, où l’urbanisation doit être limitée. La cour examine les critères de distance et de covisibilité pour rejeter cette prétention. Elle relève que le site est « éloigné d’environ 800 mètres sans visibilité de l’un avec l’autre en raison de l’important secteur urbanisé qui les séparent ». Elle ajoute que les arènes sont également séparées du lac voisin par « un ensemble de bâtiments » et forment un espace distinct. Ce faisant, la cour s’en tient à une lecture classique et factuelle des critères dégagés par la jurisprudence pour définir un espace proche du rivage. Elle confirme que la seule proximité géographique ne suffit pas et que la continuité de l’urbanisation ou l’absence de lien visuel avec le rivage sont des éléments déterminants pour exclure un secteur de ce périmètre de protection. L’analyse du juge se fonde ici sur la configuration des lieux et la rupture créée par l’urbanisation existante, ce qui justifie de ne pas soumettre la parcelle en cause au régime plus contraignant de l’extension limitée.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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