Par un arrêt en date du 27 mars 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur la légalité d’une réglementation locale instaurant un régime d’autorisation préalable et de compensation pour la transformation de locaux d’habitation en meublés de tourisme. Cette décision intervient dans un contexte de tension croissante sur le marché du logement dans de nombreuses zones touristiques, opposant le droit de propriété et la liberté d’entreprendre des propriétaires-bailleurs à l’objectif d’intérêt général de préservation du parc de logements destinés à la location de longue durée.
En l’espèce, une communauté d’agglomération du Pays basque avait adopté, par des délibérations des 5 mars et 9 juillet 2022, un règlement soumettant le changement d’usage d’un logement en meublé de tourisme à une autorisation préalable. Cette autorisation était elle-même conditionnée à une compensation, consistant en la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage. Plusieurs loueurs, regroupés en association, ainsi que des sociétés et des particuliers, ont contesté cette réglementation. Après le rejet de leurs requêtes par le tribunal administratif de Pau par un jugement du 6 mars 2023, ils ont interjeté appel. Les requérants soutenaient principalement que le dispositif portait une atteinte disproportionnée à leurs libertés fondamentales, faute de justification suffisante, et qu’il instaurait une discrimination injustifiée.
Il était donc demandé à la cour administrative d’appel de déterminer si un mécanisme de compensation aussi contraignant était justifié par une raison impérieuse d’intérêt général et proportionné à l’objectif de lutte contre la pénurie de logements, conformément aux exigences du droit de l’Union européenne. La cour devait également examiner si l’exclusion des personnes morales d’un régime dérogatoire spécifique violait le principe d’égalité.
La cour administrative d’appel valide le principe et les modalités générales du mécanisme de compensation, le jugeant justifié et proportionné au regard de la crise du logement avérée sur le territoire. Elle procède toutefois à une annulation partielle de la réglementation, estimant que la distinction opérée entre personnes physiques et personnes morales pour l’un des régimes dérogatoires constitue une rupture d’égalité non justifiée.
Cette décision illustre l’équilibre délicat que le juge administratif doit opérer entre la protection des libertés économiques et la poursuite d’objectifs d’intérêt général. Il convient ainsi d’analyser la validation par la cour d’un dispositif de compensation rigoureux (I), avant d’examiner la portée de cette solution, nuancée par la censure d’une disposition jugée discriminatoire (II).
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I. La consécration d’un encadrement rigoureux des meublés de tourisme
La cour administrative d’appel confirme la validité du règlement contesté en s’appuyant sur une démonstration circonstanciée de la nécessité de la mesure au regard du contexte local (A) et sur une appréciation stricte de sa proportionnalité par rapport à l’objectif poursuivi (B).
A. La reconnaissance d’une raison impérieuse d’intérêt général
La cour examine en premier lieu la justification de la réglementation, en se conformant à la grille d’analyse dégagée par la Cour de justice de l’Union européenne. Elle rappelle qu’un régime d’autorisation préalable, potentiellement restrictif pour la libre prestation de services, doit être justifié par une « raison impérieuse d’intérêt général ». En l’espèce, la lutte contre la pénurie de logements est invoquée par la collectivité. Le juge administratif se livre à une analyse approfondie des pièces du dossier pour vérifier la matérialité et l’ampleur de cette pénurie.
Il ressort de l’arrêt que la cour accorde un poids déterminant aux études produites par l’agence d’urbanisme locale. Celles-ci démontrent une augmentation très significative du nombre de locations de courte durée entre 2016 et 2020, une forte croissance démographique, un prix médian des loyers élevé et une pression accrue sur le parc de logements sociaux. La cour conclut de ces éléments que « la zone littorale du Pays basque est confrontée à une pénurie de logements ». En validant ce constat, le juge légitime l’intervention de la puissance publique pour réguler un marché dont l’évolution est jugée préjudiciable à l’accès au logement pour la population permanente. L’argument des requérants selon lequel le lien de causalité direct entre l’essor des meublés touristiques et la hausse des loyers ne serait pas quantifié est écarté, la cour considérant que la concomitance et l’ampleur des phénomènes suffisent à établir le lien nécessaire à la justification de la mesure.
B. L’appréciation de la proportionnalité de l’obligation de compensation
Une fois la justification admise, la cour contrôle si le dispositif de compensation ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif. La réglementation imposait une compensation dès le premier mètre carré, ce qui constitue une contrainte forte pour les propriétaires. La cour relève toutefois plusieurs éléments qui, selon elle, assurent le caractère proportionné de la mesure.
D’une part, le périmètre d’application est limité aux vingt-quatre communes de la « zone tendue », là où la pression est la plus forte. D’autre part, le règlement prévoit des exceptions notables, notamment pour la location de la résidence principale dans la limite de cent vingt jours par an et pour des régimes spécifiques comme les locations mixtes à destination des étudiants. Surtout, la cour souligne que l’obligation de compensation peut être satisfaite par différents moyens, incluant l’achat de « droits de commercialité » auprès de tiers, ce qui crée un marché de la compensation. La cour juge ainsi que « la réglementation adoptée par la communauté d’agglomération du Pays basque répond, de manière proportionnée, à l’objectif d’intérêt général poursuivi ». Elle écarte par là même l’argument d’une atteinte excessive au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre. La simple difficulté à trouver des locaux de compensation, soulevée par les requérants étude à l’appui, n’équivaut pas, pour le juge, à une impossibilité rendant le dispositif illégal.
Après avoir ainsi validé le cœur du dispositif, la cour se penche sur une disposition plus spécifique du règlement, dont l’examen révèle les limites du pouvoir réglementaire de la collectivité.
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II. La portée d’une validation encadrée par le principe d’égalité
Si l’arrêt consacre la possibilité pour une collectivité d’instaurer un mécanisme de compensation très restrictif, il rappelle que cette prérogative doit s’exercer dans le respect des principes fondamentaux, au premier rang desquels le principe de non-discrimination. La décision a donc une portée importante pour les politiques locales du logement (A), tout en réaffirmant le rôle du juge comme garant de l’égalité devant la loi (B).
A. La consolidation du pouvoir de régulation des collectivités locales
En jugeant le dispositif de compensation proportionné malgré sa rigueur, la cour envoie un signal fort aux autres collectivités confrontées à des problématiques similaires. La décision confirme que face à une situation de pénurie de logements documentée et objective, les autorités locales disposent d’une marge d’appréciation étendue pour restreindre l’activité de location meublée de courte durée. La cour admet que la mesure puisse rendre l’activité « plus difficile », sans pour autant la rendre « impossible », ce qui constitue un critère d’appréciation pragmatique.
L’arrêt souligne également l’importance pour les collectivités de fonder leurs décisions sur des données locales précises et des études objectives. C’est bien la qualité des diagnostics produits par la communauté d’agglomération qui a permis de justifier la mesure contestée. La portée de cet arrêt est donc double : il encourage les politiques volontaristes de régulation tout en les conditionnant à une justification rigoureuse et factuelle de la situation locale. L’exclusion de certains locaux du dispositif de compensation, comme les rez-de-chaussée commerciaux, est d’ailleurs validée au nom de la protection de la « commercialité » de la zone, un autre objectif d’intérêt général.
B. La censure d’une rupture d’égalité injustifiée
La cour ne donne cependant pas un blanc-seing total à la collectivité. Elle annule l’article du règlement qui réserve aux seules personnes physiques le bénéfice d’une autorisation temporaire sans compensation pour les locations « mixtes » (neuf mois pour un étudiant, trois mois en tourisme). L’association requérante soutenait que cette exclusion créait une discrimination à l’encontre des personnes morales, y compris des sociétés civiles immobilières à caractère familial.
La cour accueille ce moyen en se fondant sur le principe d’égalité. Elle rappelle que toute différence de traitement doit être en rapport direct avec l’objet de la loi et ne pas être manifestement disproportionnée. Or, en l’espèce, « la communauté d’agglomération ne justifie pas du rapport direct de cette exclusion avec l’objet de la loi ». Le juge constate que la collectivité n’apporte aucun argument pour expliquer pourquoi une personne morale, par sa nature même, ne pourrait pas participer à l’objectif de logement des étudiants. Cette censure partielle, bien que limitée à un dispositif spécifique, est significative. Elle démontre que même dans la poursuite d’un intérêt général prééminent, une collectivité ne peut instaurer des distinctions arbitraires. Le juge administratif exerce ici pleinement son rôle de gardien des droits fondamentaux en veillant à ce que les critères de différenciation soient pertinents et objectifs.