Cour d’appel administrative de Bordeaux, le 2 octobre 2025, n°23BX02094

Par un arrêt en date du 2 octobre 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux a été amenée à se prononcer sur les modalités d’appréciation de la régularité de l’affichage d’un permis de construire, conditionnant le déclenchement du délai de recours des tiers. En l’espèce, le maire d’une commune du littoral avait délivré un permis de construire pour une maison individuelle, une annexe et une piscine. Le bénéficiaire de cette autorisation avait procédé à son affichage sur le terrain d’assiette du projet. Une société voisine, estimant que cet affichage était irrégulier, a d’abord formé un recours gracieux tardif, qui fut implicitement rejeté, avant de saisir le tribunal administratif d’une demande d’annulation du permis.

Par un jugement du 7 juin 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande comme irrecevable, au motif que le délai de recours contentieux de deux mois était expiré. La société requérante a alors interjeté appel de ce jugement. Elle soutenait que les irrégularités affectant l’affichage du permis, notamment son déplacement et sa fixation précaire, n’avaient pu faire courir le délai de recours à son encontre. La commune et le bénéficiaire du permis, devenu entre-temps une autre société par transfert de l’autorisation, ont conclu au rejet de la requête en se prévalant de la régularité de l’affichage, attestée par plusieurs constats d’huissier. La question de droit qui se posait à la cour était donc de savoir si des imperfections matérielles affectant un panneau d’affichage, qui demeure néanmoins visible et lisible depuis la voie publique, sont de nature à faire obstacle au déclenchement du délai de recours des tiers.

À cette question, la cour administrative d’appel répond par la négative. Elle juge que dès lors que les constats d’huissier établissent la visibilité et la lisibilité continues du panneau depuis l’extérieur du terrain pendant deux mois, les circonstances que celui-ci ait été déplacé de quelques centimètres ou qu’il ait été légèrement courbé sont sans incidence sur la régularité de l’affichage et le point de départ du délai de recours. Par conséquent, elle confirme l’irrecevabilité de la demande de première instance pour tardiveté.

L’étude de cette décision conduit à examiner la méthode rigoureuse d’appréciation de la régularité de l’affichage retenue par le juge (I), avant d’analyser la portée de cette solution qui tend à renforcer la sécurité juridique du titulaire de l’autorisation d’urbanisme (II).

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I. Une appréciation pragmatique de la régularité de l’affichage

La cour fonde sa décision sur une analyse concrète des faits qui lui sont soumis, en s’attachant à la finalité des règles d’affichage (A) tout en accordant une valeur déterminante aux éléments de preuve les plus probants (B).

A. La prévalence de la visibilité effective sur la perfection matérielle

Le contentieux de l’affichage des autorisations d’urbanisme est régi par les articles R. 600-2 et R. 424-15 du code de l’urbanisme, qui imposent un affichage sur le terrain « de manière visible de l’extérieur » pendant une période continue de deux mois pour faire courir le délai de recours des tiers. Le juge administratif a développé une jurisprudence constante selon laquelle l’appréciation de cette visibilité doit se faire au cas par cas. La décision commentée s’inscrit dans ce courant en ne s’arrêtant pas aux critiques formelles émises par la société requérante.

En effet, celle-ci faisait valoir que le panneau avait été déplacé au cours de la période d’affichage et qu’il présentait une légère déformation. La cour ne conteste pas ces faits, mais elle les juge inopérants. Elle estime que la seule question pertinente est de savoir si le panneau est demeuré visible et lisible depuis la voie publique. En relevant que malgré ces imperfections, « sa visibilité par les tiers ne s’en est pas trouvée affectée au regard des exigences posées par les dispositions précitées », la cour adopte une approche fonctionnelle. L’essentiel est que l’information des tiers ait été assurée, et non que le support de cette information soit resté dans un état matériel irréprochable et statique. Cette solution privilégie l’esprit de la loi sur une lecture excessivement littérale.

B. La force probante décisive du constat d’huissier

Pour établir la réalité de l’affichage, il incombe au bénéficiaire du permis de construire d’en rapporter la preuve. Face à cette exigence, le recours à un constat d’huissier de justice est la voie la plus sûre. Dans cette affaire, le titulaire du permis avait pris la précaution de faire constater l’affichage à quatre reprises sur une période de plus de trois mois. Ces procès-verbaux, qui attestaient de la parfaite visibilité et lisibilité du panneau à chaque passage, ont constitué le fondement principal du raisonnement de la cour.

La juridiction souligne que la société requérante « ne produit aucun élément probant, tel qu’un constat ou des photographies des lieux pendant la période considérée, de nature à remettre en cause la continuité de l’affichage telle qu’établie par les constats d’huissier ». Ce faisant, elle confirme le poids quasi-irréfragable d’un tel mode de preuve. Les simples allégations, même plausibles, sur la facilité de dépose du panneau ou son invisibilité en cas d’ouverture du portail, ne peuvent suffire à combattre les constatations objectives d’un officier ministériel. La charge de la contre-preuve qui pèse sur le tiers requérant devient alors particulièrement lourde, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’équilibre entre les parties.

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II. Une solution protectrice de la sécurité juridique du permis de construire

En validant un affichage malgré ses imperfections mineures, la cour renforce la prévisibilité pour les constructeurs (A) et limite de manière stricte les possibilités de remise en cause tardive des autorisations d’urbanisme (B).

A. La consolidation de la position du bénéficiaire de l’autorisation

Cette décision illustre la volonté du juge administratif de ne pas paralyser les projets de construction pour des motifs de pur formalisme. En refusant de sanctionner des défauts matériels mineurs qui n’ont pas empêché l’information des tiers, la cour envoie un signal clair aux porteurs de projet : un affichage réalisé avec sérieux, et prouvé par des moyens adéquats, est suffisant pour purger le droit de recours des tiers. Cela contribue à sécuriser les opérations de construction, qui représentent des investissements économiques et humains souvent importants.

Cette approche pragmatique s’inscrit dans un mouvement législatif et jurisprudentiel plus large visant à limiter le contentieux abusif ou dilatoire en matière d’urbanisme. En validant le point de départ du délai de recours dans de telles circonstances, le juge permet au titulaire du permis de savoir avec une plus grande certitude à partir de quand son autorisation devient définitive, sous réserve de l’absence de retrait administratif. L’insécurité juridique qui pourrait naître d’une remise en cause perpétuelle de la régularité de l’affichage est ainsi contenue, ce qui favorise la réalisation effective des projets autorisés.

B. Le rejet d’une prorogation du délai de recours, y compris en cas de fraude alléguée

La portée de l’arrêt est d’autant plus forte que la cour écarte sans détour tous les arguments qui auraient pu permettre à la requérante d’échapper à la forclusion. Non seulement elle valide l’affichage, mais elle précise également que « la circonstance, à la supposer établie, que le permis aurait été obtenu par fraude n’a pu davantage avoir pour effet de proroger ce délai ». Cette affirmation est d’une grande importance pratique.

Elle confirme que le délai de recours contentieux de l’article R. 600-2 du code de l’urbanisme est un délai préfix, dont le non-respect entraîne une irrecevabilité d’ordre public. Même un moyen aussi grave que la fraude, qui peut pourtant être invoqué sans condition de délai dans le cadre d’un recours en retrait par l’administration, ne permet pas au tiers de s’affranchir du délai de deux mois qui lui est imparti pour agir. Cette solution, bien établie, rappelle la distinction fondamentale entre l’action ouverte aux tiers et les pouvoirs de l’administration. Elle clôt ainsi définitivement la porte à toute contestation juridictionnelle de l’autorisation par la société voisine, conférant à l’acte une stabilité maximale à son égard.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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