Par un arrêt en date du 11 mars 2025, la cour administrative d’appel de Bordeaux s’est prononcée sur la légalité d’une délibération communale approuvant une révision du plan local d’urbanisme. Cette décision a été contestée par plusieurs associations de protection de l’environnement au motif que le nouveau document d’urbanisme classait en zones à urbaniser plusieurs espaces naturels situés sur le littoral.
Les faits ayant conduit au litige concernent la volonté d’une commune de modifier son plan local d’urbanisme afin de permettre la construction sur plusieurs secteurs jusqu’alors préservés, notamment un vaste espace boisé en arrière-dune. Des associations de défense de l’environnement, rejointes par une personne physique, ont saisi le tribunal administratif de Pau pour demander l’annulation de cette révision. En première instance, les juges ont fait partiellement droit à la demande en annulant le classement en zone à urbaniser d’un site spécifique, le « Parc d’hiver », tout en rejetant les autres moyens d’annulation visant d’autres secteurs. La commune a interjeté appel de l’annulation partielle la concernant, tandis que l’une des associations a formé un appel incident pour contester le rejet de ses autres prétentions.
La question de droit soumise à la cour administrative d’appel portait donc, d’une part, sur la qualification juridique des espaces naturels littoraux et les contraintes qui en découlent pour les documents d’urbanisme. Il s’agissait de déterminer si un espace boisé d’arrière-dune devait être protégé au titre des paysages remarquables ou des boisements significatifs en vertu de la loi Littoral. D’autre part, le litige invitait les juges à préciser les limites du contrôle exercé sur les autres choix d’aménagement de la commune, notamment au regard de l’intérêt à agir d’un élu et de la notion d’extension de l’urbanisation.
La cour administrative d’appel a rejeté l’appel principal de la commune et l’appel incident de l’association. Elle a ainsi confirmé la censure du classement du site principal, considérant qu’il constituait bien un paysage remarquable dont l’urbanisation était proscrite. En revanche, elle a validé les choix de la commune pour les autres secteurs contestés, estimant qu’ils ne méconnaissaient pas les dispositions du code de l’urbanisme.
La décision illustre ainsi une dualité dans le contrôle du juge administratif, qui applique avec rigueur les protections impératives de la loi Littoral (I), tout en faisant preuve d’une appréciation plus mesurée sur les choix d’aménagement qui ne relèvent pas de ces régimes de protection spécifiques (II).
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I. L’affirmation rigoureuse de la protection des espaces littoraux caractéristiques
La cour administrative d’appel confirme la décision des premiers juges en se fondant sur une application stricte des dispositions de la loi Littoral. Elle retient une approche d’ensemble pour consacrer l’existence d’un paysage remarquable (A) et en déduit le caractère impératif de sa protection en tant qu’espace boisé significatif (B).
A. La consécration du paysage remarquable par une approche d’ensemble
L’arrêt rappelle que les documents d’urbanisme doivent préserver les espaces et paysages remarquables du littoral. Pour ce faire, le juge ne se limite pas à une analyse parcellaire, mais évalue la cohérence et la valeur écologique et paysagère d’un site dans son ensemble. En l’espèce, la cour relève que le site en question est composé d’une chênaie abritant des espèces protégées et d’une vaste pinède. Bien que seule la chênaie soit formellement répertoriée comme un milieu d’intérêt biologique, le juge considère que la pinède adjacente est indissociable de cet espace.
Il en résulte que la pinède « forme avec cet espace remarquable une unité paysagère justifiant que l’ensemble du site […] soit qualifié de paysage remarquable ». Cette approche fonctionnelle permet d’étendre la protection au-delà des seuls périmètres strictement définis par des inventaires écologiques. La cour consacre ainsi une vision globale du paysage, où la pinède, par sa proximité et sa contribution à l’écosystème de la chênaie, participe à la valeur patrimoniale de l’ensemble et doit donc bénéficier de la même protection. Le classement en zone à urbaniser de cette partie du site était, par conséquent, entaché d’une erreur d’application de la loi.
B. La qualification impérative d’espace boisé significatif
Au-delà de la qualification de paysage remarquable, l’arrêt s’appuie sur l’obligation de classer les boisements les plus significatifs de la commune. L’article L. 121-27 du code de l’urbanisme impose en effet cette protection dans les plans locaux d’urbanisme. La cour examine les caractéristiques objectives du site pour déterminer s’il entre dans cette catégorie. Elle constate que la parcelle, « de plus de dix-sept hectares, entièrement recouverte de pins maritimes », par sa localisation en arrière-dune et sa nature de « vaste espace boisé caractéristique des espaces dunaires boisés des Landes », constitue l’un des « ensembles boisés les plus significatifs de la commune ».
Cette qualification n’est pas laissée à la libre appréciation de la commune ; elle découle directement des caractéristiques physiques et de la situation du boisement. En omettant de procéder à ce classement protecteur, la commune a méconnu une obligation légale. Cette double qualification, au titre des paysages remarquables et des boisements significatifs, conduit logiquement la cour à conclure que la décision d’ouvrir le site à l’urbanisation est entachée d’une « erreur manifeste d’appréciation ». Le contrôle du juge se montre ici particulièrement rigoureux, ne laissant aucune marge de manœuvre à l’autorité locale face à un espace dont la valeur environnementale est jugée prépondérante.
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II. La délimitation des frontières du contrôle juridictionnel en matière d’urbanisme
Si la cour se montre intransigeante sur la protection des espaces les plus emblématiques, elle adopte une posture plus retenue concernant les autres critiques formulées à l’encontre du plan local d’urbanisme. Elle opère une interprétation restrictive de la notion de conflit d’intérêts (A) et procède à une appréciation pragmatique de la notion d’extension de l’urbanisation (B).
A. L’interprétation restrictive du conflit d’intérêts et du caractère remarquable des sites secondaires
L’association requérante soulevait l’illégalité de la délibération en raison d’un possible conflit d’intérêts du maire, dont la famille était propriétaire de terrains rendus constructibles par la révision du plan. La cour écarte ce moyen en appliquant une jurisprudence constante mais exigeante. Elle admet que le maire pouvait être « regardé comme une personne intéressée », mais elle juge que sa seule participation aux débats ne suffit pas à vicier la procédure. Il aurait fallu démontrer que l’élu « ait exercé une quelconque influence sur les votes des conseillers municipaux », preuve qui n’est pas rapportée au dossier.
Concernant le caractère prétendument remarquable de ce même secteur, la cour constate qu’il n’est identifié comme tel dans aucun document de planification supérieur, tel que le schéma de cohérence territoriale. De plus, elle estime que l’association « ne démontre pas que l’unité foncière présenterait en elle-même les caractéristiques d’un espace remarquable ». Le juge se refuse ici à substituer son appréciation à celle des auteurs du plan, dès lors que le caractère exceptionnel du site n’est pas manifestement établi. La charge de la preuve pèse donc lourdement sur le requérant.
B. L’appréciation pragmatique de l’extension de l’urbanisation
La contestation portait également sur le classement en zone urbaine de parcelles situées dans l’espace proche du rivage. La loi Littoral encadre strictement l’extension de l’urbanisation dans ces secteurs. La cour rappelle toutefois que toute nouvelle construction ne constitue pas nécessairement une « extension ». Elle applique le critère jurisprudentiel selon lequel une extension n’est caractérisée que si elle « conduit à étendre ou à renforcer de manière significative l’urbanisation » ou « modifie de manière importante les caractéristiques d’un quartier ».
En l’espèce, les juges procèdent à une analyse factuelle. Ils relèvent que les parcelles en cause sont situées en périphérie d’un quartier déjà urbanisé et que leur superficie « n’est pas significative » à l’échelle de ce quartier. L’ouverture à l’urbanisation est donc considérée comme un simple comblement d’un espace interstitiel, ne contrevenant pas aux objectifs de la loi. De même, le classement d’un terrain de camping existant en zone dédiée est validé au motif qu’il se borne à reconnaître une activité existante sans permettre un développement anarchique. Sur ces points, le contrôle du juge redevient un contrôle de l’erreur manifeste, laissant à la commune une marge d’appréciation pour organiser le développement de ses espaces déjà urbanisés.