Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 17 juin 1998. – Wilhelm Mecklenburg contre Kreis Pinneberg – Der Landrat. – Demande de décision préjudicielle: Schleswig-Holsteinisches Oberverwaltungsgericht – Allemagne. – Environnement – Accès à l’information – Directive 90/313/CEE – Mesure administrative de gestion de l’environnement – Instruction préliminaire. – Affaire C-321/96.

Par un arrêt rendu en réponse à une question préjudicielle, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les contours du droit d’accès à l’information en matière d’environnement. La décision a pour origine un litige opposant un particulier à une autorité administrative allemande. Ce particulier avait sollicité la communication d’un document, en l’occurrence la position adoptée par l’administration chargée de la préservation des sites dans le cadre d’une procédure d’approbation des plans de construction d’un tronçon routier.

L’autorité administrative a refusé de transmettre l’information demandée, estimant d’une part que cette prise de position ne constituait pas une « information relative à l’environnement » au sens de la directive 90/313/CEE, et d’autre part que la communication de ce document était exclue car il s’inscrivait dans une « instruction préliminaire ». Saisie du litige, la juridiction administrative de première instance a rejeté le recours pour un autre motif, tiré de la confidentialité des délibérations des autorités publiques. La juridiction d’appel, le Schleswig-Holsteinisches Oberverwaltungsgericht, a alors décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice deux questions préjudicielles.

Il s’agissait pour la Cour de déterminer, d’une part, si la position adoptée par une administration dans le cadre d’une procédure d’approbation de plans constitue une « information relative à l’environnement » au sens de l’article 2, sous a), de la directive 90/313. Il lui était demandé, d’autre part, de définir si une procédure administrative qui se limite à préparer une mesure administrative peut être qualifiée d’« instruction préliminaire » au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la même directive, justifiant ainsi un refus de communication.

À ces questions, la Cour répond de manière claire. Elle juge premièrement qu’une telle position administrative relève bien de la notion d’information relative à l’environnement dès lors qu’elle est « de nature à influer, en ce qui concerne les intérêts de la protection de l’environnement, sur la décision d’approbation de tels plans ». Elle juge secondement que la notion d’« instruction préliminaire » doit être interprétée de manière restrictive et ne vise que les procédures qui précèdent immédiatement une phase contentieuse ou quasi contentieuse. Par cette double clarification, la Cour consacre une conception large du droit d’accès à l’information (I), tout en limitant de manière stricte les exceptions permettant aux autorités de s’y opposer (II).

***

I. L’interprétation extensive de la notion d’information environnementale

La Cour de justice adopte une définition large de l’« information relative à l’environnement », incluant des actes préparatoires qui ne constituent pas en eux-mêmes des décisions. Elle inclut ainsi les avis internes dans le champ de la directive (A) et établit par là même une conception fonctionnelle de l’information (B).

A. L’inclusion des avis internes dans le champ de la directive

L’article 2, sous a), de la directive 90/313 définit l’information relative à l’environnement comme « toute information disponible […] qui concerne l’état des eaux, de l’air, du sol, de la faune, de la flore, des terres et des espaces naturels, ainsi que les activités […] ou les mesures les affectant ou susceptibles de les affecter ». L’enjeu pour la Cour était de déterminer si une simple « position » d’une administration, acte interne et préparatoire, pouvait être qualifiée de « mesure » au sens de ce texte.

La Cour répond par l’affirmative en s’appuyant sur le libellé de la disposition. Elle souligne que l’emploi des termes « y compris les mesures administratives » démontre que ces dernières ne sont qu’une illustration des « activités » ou « mesures » visées par la directive. Le législateur communautaire a donc entendu donner à cette notion une « signification large », qui ne se limite pas aux seules décisions formelles. Le raisonnement de la Cour s’écarte d’une approche purement formelle du droit administratif, qui pourrait considérer qu’une simple prise de position n’est pas un acte décisoire et échapperait ainsi au champ d’application de la directive.

En conséquence, la Cour juge que pour être qualifié d’information environnementale, il suffit qu’un acte soit « susceptible d’affecter ou de protéger l’état d’un des secteurs de l’environnement ». Elle abandonne ainsi un critère organique ou formel au profit d’une approche matérielle, fondée sur l’objet et l’effet potentiel de l’information. Cette solution assure une portée pratique et effective au droit d’accès, en évitant que les autorités ne puissent soustraire à la transparence une partie importante de leur processus décisionnel.

B. La consécration d’une conception fonctionnelle de l’information

En conditionnant la qualification d’information environnementale à la capacité de l’acte à « influer […] sur la décision d’approbation », la Cour adopte une définition résolument fonctionnelle. Ce n’est pas la nature juridique de l’acte qui importe, mais son rôle dans le processus décisionnel et son lien avec la protection de l’environnement. Cette approche est essentielle pour garantir l’effet utile de la directive, dont l’objectif est d’assurer la plus grande transparence possible.

La valeur de cette interprétation réside dans sa cohérence avec les finalités du texte. Une définition restrictive aurait permis aux administrations de garder confidentiels des avis et rapports déterminants pour la décision finale, vidant ainsi de sa substance le droit d’accès du public. En adoptant une vision large, la Cour renforce le contrôle citoyen sur les décisions publiques ayant un impact sur l’environnement. Elle fait prévaloir le principe de transparence sur la confidentialité des délibérations administratives internes.

La portée de cette décision est considérable. Elle établit que toute information détenue par une autorité publique, dès lors qu’elle est pertinente pour une question environnementale, est en principe accessible. Cela oblige les administrations à considérer que leurs analyses, rapports et avis internes sont susceptibles d’être communiqués. Cette jurisprudence a ainsi durablement influencé la manière dont le droit à l’information environnementale est appliqué, en favorisant une culture de la transparence au sein des administrations.

Après avoir largement défini le champ des informations accessibles, la Cour examine avec une égale rigueur les motifs qui peuvent justifier un refus de communication.

II. L’interprétation restrictive des dérogations au droit d’accès

La directive prévoit des exceptions au principe d’accès, que la Cour interprète de manière stricte. Elle rejette une acception large de la notion d’« instruction préliminaire » (A), assurant ainsi l’effectivité du principe de transparence environnementale (B).

A. Le rejet d’une acception purement administrative de l’instruction préliminaire

L’article 3, paragraphe 2, troisième tiret, de la directive autorise les États membres à refuser l’accès à des informations relatives à des « affaires qui sont […] ou qui font l’objet d’une instruction préliminaire ». L’autorité allemande soutenait que la procédure d’approbation des plans constituait une telle instruction. La Cour rejette cette lecture extensive, en rappelant que les dérogations à un principe général doivent être interprétées strictement.

Pour définir la notion d’« instruction préliminaire », la Cour utilise plusieurs méthodes d’interprétation. D’un point de vue systémique, elle observe que cette notion est placée aux côtés de celles de « procédure judiciaire » et d’« enquête ». Elle en déduit que le texte vise « exclusivement […] les procédures à caractère juridictionnel ou quasi juridictionnel, ou, en tout cas, des procédures qui débouchent inévitablement sur une sanction ». Une procédure administrative classique de préparation d’une décision n’entre pas, en principe, dans ce cadre. L’interprétation téléologique, fondée sur l’objectif de transparence de la directive, vient conforter ce raisonnement.

Enfin, la Cour procède à une analyse comparative des différentes versions linguistiques de la directive. Elle relève que les termes utilisés dans les autres langues, tels que « preliminary investigation proceedings » en anglais ou « opsporingsonderzoeken » en néerlandais, renvoient à des activités d’enquête précédant une procédure contentieuse. Cette démarche confirme que l’« instruction préliminaire » doit être comprise comme « la phase qui précède immédiatement la procédure judiciaire ou l’enquête » et non comme une simple étape de préparation d’un acte administratif.

B. La garantie de l’effectivité du principe de transparence environnementale

En retenant une acception aussi stricte de la notion d’instruction préliminaire, la Cour prévient un risque majeur de détournement de la directive. Admettre qu’une simple procédure administrative puisse constituer un motif de refus aurait offert aux États membres un moyen aisé de paralyser le droit d’accès à l’information. Toute décision administrative étant préparée par une procédure, l’exception serait devenue la règle.

La valeur de cette seconde partie de l’arrêt est donc de garantir l’effectivité du droit consacré par la directive. La Cour envoie un signal clair : les exceptions ne doivent pas être utilisées pour recréer une culture du secret administratif que le législateur a voulu combattre. Cette solution est conforme à l’esprit de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, qui sera signée quelques mois plus tard et qui consacre une approche similaire.

La portée de cette jurisprudence est fondamentale pour l’ensemble du droit de la transparence administrative. Elle établit un principe de proportionnalité dans l’application des dérogations : une exception ne peut être invoquée que si elle est nécessaire pour protéger les intérêts spécifiques qu’elle vise, en l’occurrence le bon déroulement d’une enquête ou d’une procédure juridictionnelle. Cette interprétation rigoureuse des exceptions est devenue une constante dans la jurisprudence de la Cour, bien au-delà du seul domaine de l’environnement.

Source : Cour de cassation – Base Open Data « Judilibre » & « Légifrance ».

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